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une guerre. Il peut en résulter des voies de fait et du sang répandu. L'auteur de ces idées est décidément la cause première de ce trouble: irez vous l'en rendre responsable? Quelle absurdité!

2o. La responsabilité des auteurs et des comé diens est une injure à la nation, puisque vous substituez le jugement arbitraire d'un megistrat au jugement de la nation entière; car de deux choses f'une: ou une pièce de théâtre déplaira au public, ou le public l'accueillera. Si le public l'accueille, de quel droit le magistrat s'avisera-t-il de vouloir contredire la voix publique et universelle en matière de pensées? Ce magistrat prétendroit-il être plus sage, plus ami des mœurs, plus patriote que le public assemblé, que la nation? Est-ce à lui, magistrat, à trier à la nation sa nourriture morale, quand la nation elle-même s'est déclarée maîtresse de ce choix; quand il est injurieux pour elle d'oser penser qu'elle pourroit repousser la vertu pour accueillir le vice? Et si d'après ce systême de responsabilité, le magistrat trouvoit à propos de blâmer les dogmes de tel auteur que la nation auroit accueillis, ne s'érigeroit-il pas en régent, qui voudroit ne laisser parvenir à l'entendement de ses disciples que les idées qu'il jugeroit à propos de leur transmettre? Or quelle monstrueuse administration ne supposeroit pas une telle faculté? et l'ancien régime ne seroit-il pas préférable?

Qu'est-ce qu'un théâtre? C'est une assemblée de citoyens libres, où un auterr, homme libre, vient exposer en action des idées récréatives ou tou chantes, pour rendre plus sensibles aux spectateurs la morale, ou la politique, ou la religion. L'auteur en appelant les citoyens au spectacle de son travail, leur dit: Mon but est de vous instruire en vous amusant, venez, écoutez-moi, et jugez-moi. Le public vient à cet appel, et l'auteur n'a pas, ne peut avoir d'autre tribunal. S'il plaît, les citoyens l'accueillent, s'il déplait, les citoyens le condamnent: le magistrat n'a que faire là. Ne

seroit-il pas absurde et insultant, nous le répétons, que dans cette association de citoyens libres, et qui se conviennent réciproquement du parterre au théatre et du théâtre au parterre, qui sont d'accord sur la matière qui se traite, et sur la façon dont elle est traitée, qu'un magistrat vint s'interposer juge dans cet accord respectif, et qu'il voulût prouver aux uns qu'ils parlent mal, et aux autres qu'ils écoutent à tort ? C'étoit à faire à la vieille police ministérielle qui faisoit passer dans sa filière, et le génie des uns et la conscience des auties; mais aujourd'hui ce qui plaît au public assemblé, au public éclairé, au public calme, aux bons Français réunis ne doit et ne peut être soumis à la dénégation de ses délégués.

Reposez-vous sur ce public assemblé, sur ce tribunal plus sévère, et plus vertueux_en_niasse que ne le furent tous les parlemens de France, et toutes les polices du monde; reposez-vous, dis-je, sur lui de la leçon à donner, de la punition à infliger à l'écrivain téméraire, qui oseroit attaquer les saintes loix; attendez-vous fermement à sa justice prompte et bien assise: Hé! plût au ciel que les magistrats que nous nous sommes donnés en exerçassent une pareille dans leur administration respective!

3. La responsabilité dont il s'agit est enfin une perfidie manifeste, en ce qu'elle apporte à la culture des arts, à l'exploitation des théâtres une gêne insidieuse, en ce que par les entraves qui doivent en résulter, les artistes, et les entrepreneurs doivent tôt ou tard se livrer eux-mêmes pieds et mains liés à la puissance ministérielle ; et nous le prouvons. Il est clair que là où il n'est et ne peut être établi de loi positive entre le juste et l'injuste, entre le bien et le mal, entre la permission et la défense, le citoyen doit être nécessairement dans une ignorance absolue de son devoir; que de cette ignorance il ne peut résulter pour lui qu'une appréhension continuelle de mal

faire, et de cette appréhension une pusillanimité extrême dans ses conceptions s'il est auteur, et dans ses représentations s'il est comédien. Que reprocherez-vous à l'écrivain dramatique, qui sera froid et plat, qui n'aura osé être ni complaisant, ni rigoriste, ni aristocrate, ni patriote? II vous objectera la responsabilité, et vous seriez injuste de lui imputer à non-talent les comédies détestables, et les pitoyables tragédics qu'il vous présentera; faute d'autres, il vous faudra venir bailler à ces misérables productions. Ne voila-t-il pas un peuple bien amusé, une nation bien instruite, et des patriotes bien électrisés ?.....

Mais supposons que les écrivains poussés par leur génie, franchissent les craintes que doit inspirer cette responsabilité, et qu'ils enfantent des chefs d'oeuvre brillans de hardiesse patriotique, étincelans du saint amour de la patrie, et brûlans de cette haine profonde que l'on doit aux tyrans. Voici les comédiens responsables, et sur-tout fidèles amis de la puissance ministérielle, qui ne vou dront pas jouer ces pièces. Avec toutes les baïonnettes du monde le comédien ne pourra être contraint à débiter l'ouvrage dont il lui sera recommandé de ne pas se charger. Êtes-vous le juge de son intelligence? Voulez-vous qu'il voje autrement qu'il ne lui plaira de voir? La responsabilité ! on ne guerit pas de la peur. Montrez-lui la loi qui lui assigne positivement le vers peccable et le vers repréhensible. Bien plus, le magistrat est inhabile à le contraindre; car ce magistrat ne peut pas prononcer sur les cas de la responsabilité applicables à la pièce que le comédien refuse de jouer. Effet naturel des loix extravagantes de forcer le magistrat à respecter l'extravagance.

Que faudra-t-il faire alors? La police vous díra : prenez un terme moyen, demandez la censure, le magistrat répondra de tout, vous n'aurez rien à craindre; et voilà justement où l'on veut vous

mener.

Ne le souffrez pas, citoyens; ne soyez pas les dupes des tyrans; soyez seuls juges vous-mêmes de cette responsabilité. Oh! quel juge admirable que le public! Ces jours passés une pièce eut le plus grand succès au théâtre italien. Un journaliste, M. Ducray Duménil, auteur des PetitesAffiches, s'avisa de brocarder dans ses feuilles sur l'ouvrage accueilli du public; le public séant en son tribunal fit apporter les feuilles de l'auteur, les condamna à être lacérées en plein théâtre, et ce qui fut dit fat fait.

Quant à l'article 8 du décret, il nous étonne encore. Il semble que nous ne puissions jamais faire que le bien à demi. On écarte hors de l'enceinte des spectacles la force armée: fort bien. Mais pourquoi y laisser un ou plusieurs officiers civils, à moins que ce ne soit pour leur donner l'entrée gratis, ce qui étoit encore l'usage de l'ancien régime? Ne se lassera-t-on pas de regarder toujours les Français comme des cannibales, toujours prêts à s'égorger? Ne diroit-pn pas, à voir les garnitures innombrables d'officiers civils et militaires que l'on établit par-tout, que la nation française sort des enfers, où elle a pris l'habitude de se dévorer et de s'entre-choquer unguibus et rostro, pugnis et calcibus? Ne diroit-on pas encore que toute la perversité humaine est dans le coeur des citoyens, et que toute la sagesse céleste est retirée dans la tête des fonctionnaires publics, comme toute la modération des anges dans les bataillons de l'armée? Allez-vous danser? un grenadier inspecte vos cabrioles. Allez-vous manger? un caporal vous coupe les morceaux. Allez-vous acheter une boîte de pastilles chez le bonbonier? un sergent vous mène aux balances. Allez-vous faire un tour de promenade ? la sentinelle vous montre la carte du pays. Allez-vous écouter la parole de Dieu? un sous-lieutenant vous exhorte à la componction. Demandez-vous le viatique? deux grenadiers viennent se fourrer dans votre ruelle.

Enfin mort, bien mort, pour peu que vous ayiez marqué dans le monde, la bayonnette ne vous quitte pas, et les éternels agens des hommes d'ordre vous suivent jusqu'au tombeau. Eh! grand Dieu! hommes que le peuple a choisis pour administrer ses affaires, ne comprendrez-vous jamais que cette force armée que vous placez partout est précisément le germe de la guerre parmi les hommes de paix, quand ils ont l'ame fière et courageuse e! ne voyez vous pas que votre méthode est justement l'inage de la sentinelle qui fume sa pipe sur la porte du magasin à poudre! Relevez la sentinelle...... ou bien l'explosion vous fera

sauter.

L'officier et les plusieurs officiers civils dans l'intérieur des spectacles sont inutiles et dangereux; car nous osons vous prédire qu'un tel homme n'appellera jamais la force armée, qu'il n'arrive malheur. Comment, dans une salle où les citoyens sont pressés et amoncelés, pourra-til faire pénétrer les soldats jusqu'au délinquant, sans molester, presser, écraser les citoyens paisibles? En outre, de deux choses l'une: ou les citoyens paisibles se prêteront au rétablissement de l'ordre; et s'ils doivent s'y prêter, pourquoi ne pas se reposer sur eux de l'expulsion des brouillons? ou plus à portée de juger le fait que le magistrat juché dans sa loge, ils s'opposeront à l'enlèvement du citoyen, que dans ce cas nous supposons n'être pas coupable: et qui ne voit dèsfors une rixe sanglante s'élever entre le public et la force armée essentiellement obéissante? D'ail leurs, si l'officier civil est corrompu ou vendu, n'aura-t-il pas ses mouchards dispersés dans la salle qui crieront haro à point nommé sur le citoyen qui manifestera son opinion; en un mot, c'est ôter à cinquante habits bleus le pouvoir arbitraire, pour le remettre à un seul homme en habit noir, c'est autoriser les aristocrates à rede mander l'ancienne police. Les Anglais n'ont parmi

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