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on adopta l'idée d'une proclamation au peuple. Il fallait compter avec la difficulté de trouver une presse, et il était impossible que l'unanimité des républicains n'approuvât pas la Montagne de se mettre tout d'abord en relation avec le peuple, de lui signaler le danger, de l'appeler aux armes. Le citoyen Victor Hugo qui, depuis le premier jusqu'au dernier jour, n'a pas un instant manqué à la résistance, rédigea sur-lechamp la proclamation suivante :

AU PEUPLE ET A L'ARMÉE.

Louis-Napoléon Ronaparte est un traître. « Il a violé la Constitution.

«Il s'est lui-même mis hors la loi.

« Les représentants républicains rappellent au peuple et à l'armée les articles 68 et 110 « de la Constitution ainsi conçus :

« Article 68. Toute mesure par laquelle le « président de la république dissout l'Assemblée, «la proroge, ou met obstacle à l'exercice de

son mandat, est un crime de haute trahison. «Par ce seul fait, le président est déchu de ses fonctions, les citoyens sont tenus de lui refuser obéissance. »

« Article 110. L'Assemblée constituante confie la défense de la présente Constitution et les

droits qu'elle consacre, à la garde nationale "et au patriotisme de tous les Français.

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«Le peuple désormais et à jamais en possession du suffrage universel, le peuple qui n'a besoin d'aucun prince pour le lui rendre, saura châtier le rebelle.

Que le peuple fasse son devoir, les repré⚫sentants républicains marchent à sa tête. Vive la république, vive la Constitution, vive le suffrage universel! >>

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Chacun s'empressa de donner son nom, et un manuscrit fut remis à deux jeunes gens non représentants qui assistaient à la réunion; ils savaient où trouver une presse, et promirent d'apporter trois ou quatre mille exemplaires au rendez-vous pris pour quatre heures.

Inutile de donner les noms de ceux qui signèrent. Les absents pour une cause involontaire seraient jaloux à juste titre.

La réunion de la rue de la Cerisaie, chez notre ancien collègue de la Constituante, le citoyen Beslay, a été la plus nombreuse de toutes. On y ouvrit l'avis de s'ériger en convention, mais cette idée fut repoussée. La très-grande majorité ne voulait de dictature d'aucun genre. L'opinion générale fut que les représentants républicains avaient un devoir à remplir, celui de se répan

dre dans la ville pour se mettre à la tête de la résistance et la provoquer s'il était nécessaire, La délibération était à peine ouverte depuis une demi-heure, qu'on fut averti de l'approche d'un corps de troupes et de sergents de ville. Les Montagnards tenaient à n'être pas pris. Dans cet espoir que l'apparition de leurs écharpes sur les barricades pourrait enlever le peuple, ils voulaient rester libres; afin de tenter cette chance des armes, ils ne voulaient pas trouver sous les verrous un refuge qui les enlevât au devoir de la lutte. Ils furent donc obligés de se disperser, après avoir eu soin de prendre un nouveau rendez-vous pour le soir, à neuf heures, chez un de leurs collègues, quai Jemmapes.

D'autres réunions restreintes, plus ou moins nombreuses, se tinrent dans la journée sur différents points, mais elles furent dissoutes de la même manière.

:

Jamais les représentants ne purent se rassembler seuls il y avait toujours des étrangers au milieu d'eux. C'est encore un des inconvénients et tout à la fois des avantages de nos mœurs démocratiques, que personne ne se reconnaisse le droit de parler et d'agir pour les autres, que les soldats veuillent avoir part aux délibérations des capitaines. Les Montagnards ne se crurent jamais permis de s'isoler; parmi les citoyens qui se joignirent à eux, il se glissa nécessaire

ment des mouchards. La police ne manquait jamais d'être instruite immédiatement de nos résolutions.

Il fut aisé pour chacun de remarquer, en arrivant quai Jemmapes, que la maison était surveillée et pouvait être cernée en un clin d'œil par la brigade Marulaz, campée tout à côté, place de la Bastille, au pied même de la colonne de Juillet, ce triomphal mausolée des héros de la liberté !

Les premiers arrivés quai Jemmapes jugèrent sagement que l'on ne pourrait jamais ainsi obtenir une action centrale, une direction indispensable; ils nommèrent un comité de résistance chargé d'aviser aux meilleurs moyens de défendre la république menacée, et se retirèrent. Ce comité, choisi parmi les membres présents, était composé des citoyens Carnot, Deflotte, J. Favre, V. Hugo, Madier-Montjau et Michel (de Bourges). Ils s'adjoignirent le citoyen Schoelcher dans une nouvelle réunion qui eut lieu à minuit, Fue Popincourt, chez le citoyen Cournet. Nous ne craignons pas de donner ces divers noms; ils ont été trop en évidence pour qu'une dernière publicité puisse les compromettre.

Rue Popincourt, on fut unanimement d'avis qu'il fallait en venir aux mains. Les ouvriers, avaient été toute la journée froids, silencieux, réservés. Nous avons expliqué déjà les motifs de

l'état d'expectative dans lequel ils se tenaient. Quelques-uns, néanmoins, avaient dit que les faubourgs donneraient si les représentants se montraient. Les représentants résolurent de se transporter au milieu même du peuple, afin de se mettre à sa disposition. En conséquence, ils prirent rendez-vous pour le lendemain matin, huit heures, à la salle Roysin, café socialiste da faubourg Saint-Antoine. Ils n'avaient aucun plan déterminé, mais le dessein bien arrêté de prêter l'influence des écharpes parlementaires au soulèvement de la population, de se mettre à la tête du peuple et de livrer bataille.

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Douze ou quinze représentants se trouvaient déjà à la salle Roysin à huit heures et demie Chacun est convaincu de la nécessité absolu d'un acte, d'un acte de résistance, à force ou verte. C'est, quelle que soit l'issue, glorifier parti, et accomplir un devoir. Déjà la journé d'hier a été bien longue. Pas un coup de fus tiré dans les vingt-quatre heures contre le po voir exécutif en révolte! Cela lui donne avantage considérable. On sait la puissance de faits accomplis, si odieux, si profondémen immoraux qu'ils puissent être; or chaque hear

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