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reur livra sa première bataille le 12 octobre 1850 dans les plaines de Satory. Il eut peu de succès. Aussi s'empressa-t-il d'envoyer à l'Assemblée un message conciliant qui semblait jeter un voile sur le passé : « Entendons-nous, disait-il, pour que ce ne soit jamais la violence qui décide des destinées de notre pays. » Cela, signé de la main qui préparait les félonies et les massacres du 2 décembre!

Que pouvait la minorité? Que pouvaient contre 500? Rien. Toujours fidèles à la loi, à. Constitution et au droit, ils signalaient l'hypocrisie de ce langage; ils combattaient la majorité et ils attendaient 1852 avec confiance dans le succès de la lutte électorale ou de la résistance au coup d'État.

Cependant, l'embauchage de l'armée, les séductions de cantine, les cris inconstitutionnels, le renvoi des généraux suspects de fidélité à l'Assemblée, les ouvertures de corruption faites à d'autres, tout annonçait un troisième acte à la comédie de Strasbourg et de Boulogne. Hélas! à lui seul, celui-là devait être une horrible tragédie!...

Des législateurs. souverains, animés du sentiment de leur devoir et forts du témoignage de leur propre conscience, n'eussent point hésité à traduire le coupable à la barre d'une haute cour de justice. Au lieu de cela, que fit la majorité?

A

Une petite guerre misérable, qui ne la déconsidéra pas moins aux yeux de la bourgeoisie qu'elle ne s'était déconsidérée précédemment à ceux du peuple. Elle s'en prend aux subalternes, elle chasse les Baroche et les Rouher de leurs bancs par un vote de méfiance. L'Élysée la met au régime, il lui envoie un ministère provisoire. Elle l'accepte. Puis il lui renvoie les mêmes Rouher et Baroche, et elle les accueille!! Étaitil possible de servir mieux les intérêts de ceux qui voulaient l'amoindrir? Quand on subit de pareils affronts, on les mérite.

A partir de ce moment, l'Assemblée était perdue. Le président, enhardi, la menace du haut de la tribune des banquets et des inaugurations de chemins de fer; ses ministres la bravent, ses journaux la vilipendent, et la bourgeoisie qui la méprise, le peuple qui la déteste regardent ces avilissements avec dédain. Pour que le premier sergent de ville venu la prenne au collet sans que personne la défende, il suffira d'écrire sur ses portes insolemment fermées : Le suffrage universel est rétabli.

Nous nous trompons peut-être. Il restait encore une ancre de salut, la maîtresse ancre, la Constitution. Quoique faussée en maint endroit, la Constitution était encore assez forte pour résister. C'était donc le moment de s'y ratiacher. O comble d'aveuglement! c'est celui que

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l'on choisit pour la ruiner dans l'esprit public Au mois de juillet 1851, à propos de révision, la majorité s'embarque, de gaieté de cœur, dans une discussion où chacun de ses orateurs s'efforce de mettre en lambeaux le pacte fonda mental. Ce radeau de sauvetage, comme ils l'appellent eux-mêmes, c'est à qui le coulera bas. Insensés! les généraux vendus au crime sourient à vous entendre; vos discours montent jusqu'aux tribunes des gardes nationaux dont vous réclamcrez bientôt le concours au nom de cette loi que vous bafouez. Et puis, ne voyezvous pas, plus loin, le singe de Boulogne prêt à vous répéter, comme autrefois le traître du 18 brumaire : « La Constitution! mais vous l'avez violée le 12 juin, le 31 mai, à Rome, à Paris, partout. Il n'y a pas un de vos actes, pas une phrase de vos journaux, pas un de vos derniers discours qui n'aient insulté avant moi, plus que moi, à la majesté de la loi. >>

Après cette habile campagne, l'Assemblée met deux ou trois départements de plus en état de siége et se proroge.

Au retour, elle apprend qu'un coup d'État préparé pendant son absence n'a reculé que devan les mesures bien prises de la présidence, occupée par le général Bedeau, et de son bureau. Elle commence, enfin, à croire qu'elle a trop fortifié les décembristes, et elle veut se défen drẻ.

Les questeurs déposent une proposition tendant à confirmer un article de la Constitution (c'était mettre en doute la Constitution elle-même), et à faire revivre un ancien décret qui plaçait la force publique à la disposition non pas de l'Assemblée, mais du président de l'Assemblée : c'était demander protection seulement à l'armée.

En face d'une telle proposition, que devait faire la minorité dont l'appoint devenait nécessaire par suite des divisions de la majorité?

y avait un moyen sûr, infaillible, de réduire à néant toutes les machinations élyséennes, c'était de mettre confiance dans le peuple, c'était de parler au peuple dont la moindre intervention aurait fait rentrer tous les coquins sous terre; c'était de le rattacher à la Constitution et à l'Assemblée, en lui rendant le suffrage universel. On le propose; la majorité, y compris les questeurs eux-mêmes, refuse! On ne voulait done recourir qu'aux baïonnettes seules. Pourquoi ? N'était-ce pas pour s'en servir contre la République, quand on les aurait employées à réduire le président conspirateur? La Montagne ne pouvait en douter, surtout à voir les dispositions haineuses que l'on montrait toujours envers elle. Un de ses membres, M. Sartin, rouge plein de modération, digne de toute confiance, vinet se plaindre à la tribune, avec une convenance parfaite, de brutalités révoltantes

dont il a été l'objet pendant la prorogation. Le sabre a été levé sur sa tête : c'est un avant-goût du sort qu'on réserve à tous. La majorité en prend-elle souci? Nullement; elle rit aux éclats! Entre deux affirmations, celle d'un représentant du peuple, et celle d'un gendarme, la majorité des représentants du peuple déclare qu'elle croit le gendarme et passe à l'ordre du jour!

Arrive la discussion de la proposition des questeurs. Ils la développent, et l'un d'eux, le général Leflô, trouve le moyen d'insulter la révolution de février, cette révolution qui a fondé la République et dont il fait l'œuvre « de quelques hommes. » Un orateur de la minorité dit que c'est au peuple qu'il faut demander secours si l'on est en péril; que le peuple suffit à tout: le rapporteur déclare que le peuple, c'est l'insurrection, et que la proposition est dirigée autant contre lui que contre le pouvoir exécutif.

Les républicains ne pouvaient hésiter, ils votèrent en masse contre la proposition. Elle fut rejetée.

On a dit qu'ils donnèrent ainsi l'armée à l'assassin de Boulogne. Nous n'en croyons rien. Le rejet de la proposition des questeurs n'a pu revêtir la dissolution de l'Assemblée d'un caractère légal aux yeux de personne. L'armée a parfaitement su qu'en soutenant les décembri

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