Page images
PDF
EPUB

raient sur leurs pères et mères si le ministre de la guerre ou le commandant le leur ordonnait : ce sont des habiles, venus précisément afin de cueillir les lauriers du boulevard Poissonnière et de prendre part au bénéfice de la terreur. La cupidité, l'ambition ne servirent pas seules à les entraîner; l'envie est entrée pour beaucoup dans leur défection. Seconde couche des officiers supérieurs africains, après avoir brillamment commencé leur carrière, ils l'ont à jamais souillée par jalousie de la position politique des anciens.

Qu'ajouter au dire de M. P. Mayer? Nous affirmions que les généraux et colonels du 2 décembre avaient été corrompus; où en trouver une preuve plus éclatante que dans le propre aveu des corrupteurs? Nous le constatons bien, on est allé en Afrique « assurer aux cadets la place des aînés et leur certifier des espérances » en exploitant « leur horreur du parlementarisme, » c'est à-dire, leurs sentiments d'envie contre les ainés qui étaient à l'Assemblée nationale.

L'Europe le voit-elle assez clairement ? L'insurrection du 2 décembre n'a trouvé ses moteurs que dans les plus mauvaises passions du cœur humain.

Donc, l'état-major, c'est aussi M. P. Mayer qui le dit, « ne comptait plus que des généraux » décidés à passer le Rubicon ou à mourir. »

Ce n'était pas encore assez on chercha tous les régiments qui s'étaient trouvés, à diverses époques, en collision avec le peuple, et on les rassembla à Paris; c'est ainsi, par exemple, que le 14 de ligne, celui dont un bataillon se trouvait à l'affaire du boulevard des Capucines, était maintenu dans la capitale depuis 1849. On comptait entraîner plus facilement ces régiments à toutes les violences qu'on voudrait leur demander.

Les hommes du passé, y compris M. le général Changarnier, la première victime de la conjuration militaire des généraux, avaient pris soin d'animer l'armée entière contre la population. Ils lui répétaient sans cesse que l'uniforme avait été déshonoré en février 1848 et qu'un baptême de sang était nécessaire pour lui rendre son premier lustre. Ils lui faisaient croire qu'elle avait été vaincue, parce que, très-volontairement, elle n'avait pas voulu soulever une guerre civile en tournant ses balonnettes contre la population. Le 2 décembre, dans son placard aux soldats, M. Bonaparte ne manqua pas d'exploiter ces éléments de haine ; il leur dit avec une noire perfidie: « En 1830 comme en 1848 on vous a « traités en vaincus. Après avoir flétri votre des« intéressement héroïque, on a dédaigné de ⚫ consulter vos sympathies et vos vœux, et cependant vous êtes l'élite de la nation. » Que

[ocr errors]

l'on juge de l'effet d'aussi perpétuelles excitations sur l'esprit des. soldats!

Tous les moyens de compression militaire étaient fortement organisés. Dix ou douze jours avant l'attentat, le colonel d'un régiment (et il est probable que même chose eut lieu partout) réunit ses officiers pour leur lire les instructions, en cas de combat, laissées par les différents généraux en chef, qui s'étaient succédé : MM. Changarnier, Baraguay d'Hilliers et Magnan. » Au premier signal, tous les hommes devaient être conduits rapidement au lieu désigné d'avance pour le régiment, les officiers ralliant les retardataires et ne laissant dans les casernes que les cantinières et les élèves musiciens. Les cuisiniers mêmes, ce qui n'arrive pas d'ordinaire, étaient tenus de suivre. Les troupes, campées dans les baraques du quai de l'Archevêché et des Invalides, avaient ordre de tout abandonner. Les officiers étaient chargés de parcourir, en bourgeois, les terrains assignés à leur régiment, afin d'étudier les moyens de communication, de défense, etc. Une fois sur le terrain, on devait placer des sentinelles pour empêcher qui que ce fùt d'approcher de la troupe à plus de cinquante pas. De fortes patrouilles devaient parcourir incessamment les environs et disperser tout rassemblement PAR LA FORCE ET SANS SOMMATION. S'il était permis d'user de quelques ménage

ments envers les citoyens inoffensifs, il fallait être sans pitié pour les ennemis de l'ordre et s'emparer, sans formalités, des maisons dont l'occupation deviendrait nécessaire pour les opérations militaires. »

Le cahier contenant ces instructions, confié aux officiers supérieurs, fut simplement lu aux autres officiers. Ceux-ci, pour la plupart, traitèrent cela de précautions superflues; les autres prirent la chose au sérieux et firent du zèle. Quelques-uns furent choisis pour faire un rapport sur l'attaque et la défense de certains points. On voit que les mesures étaient bien prises.

Tout étant ainsi préparé, les principaux conspirateurs, MM. Persigny, Maupas, Bonaparte, Saint-Arnaud et Morny procédèrent à la perpétration du crime dans la nuit du 2 décembre. C'est M. Maupas qui, à titre de préfet de police, en eut la part la plus laborieuse. On avait résolu d'arrêter préventivement seize représentants du peuple et soixante et dix-huit citoyens dont on redoutait l'influence sur le peuple ou sur l'armée. Dans ce but, les officiers de paix, qui sont les lieutenants des commissaires de police et qui commandent à un certain nombre d'agents, eurent ordre de prévenir leur personnel et de se réunir à cinq heures du matin chez leurs commissaires respectifs. Les sergents de ville furent de leur côté consignés à la préfec

ture à onze heures du soir. La veille, pour justifier ces préliminaires, on répandit le bruit dans le monde de la rue de Jérusalem qu'il s'agissait de faire une grande razzia de réfugiés étrangers et de proscrits français revenus de Londres. Enfin, ceux des commissaires de police que l'on voulait employer furent appelés à la préfecture à minuit et introduits successivement un à un dans le cabinet de M. Maupas, qui leur confia les projets du gouvernement et le rôle qu'ils avaient à y jouer. Presque tous ces hommes avaient été choisis de longue main parmi les bonapartistes ; si bien que pas un ne refusa d'entrer dans le complot, que pas un seul n'eut assez d'honneur, de patriotisme et de respect de la loi, sinon pour révéler les criminels desseins dont il recevait l'ouverture, du moins pour ne pas s'y associer. Nous ignorons quelle somme leur a été donnée à chacun. M. Maupas leur remit des mandats d'arêt préparés à l'avance, tous uniformément notivés sur l'accusation « de complot contre la sûreté de l'État et de détention d'armes de guerre. »

L'historiographe M. Mayer a de grandes admirations pour M. Maupas signant ces mandats d'arrêt. «Il lui fallait surtout, dit il, cette chaleur de cœur, cet enthousiasme de dévouement dont la jeunesse ne fait qu'exciter les élans. Quelle responsabilité de signer de son nom, sans

« PreviousContinue »