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habituelle Voyons, commissaire, est-ce que vous ne pouvez pas laisser tous ces gredins-là dans l'antichambre? » Sur quoi M. Courteille pénétra, avec deux agents seulement, jusqu'à la chambre à coucher. A peine entré, il se précipita sur un pistolet double qu'il aperçut. « Oh ! n'ayez pas peur, dit le colonel, il n'est pas chargé. Mais tenez, vous pouvez le rendre au général Renaud. C'est lui qui me l'a donné à Mascara, et je suis sùr qu'il est à cheval pour aider à l'accomplissement du crime. » Dans la pensée de M. Charras, le général Renaud devait être un des instruments du complot; à défaut d'ambition et de cupidité, sa dose d'intelligence en faisait une proie facile pour les parjures. Du reste, le général Renaud a rendu à Mascara des services qui pourront lui valoir, dans la nouvelle noblesse, le titre de comte de Mascara.

Au moment de sortir, M. Charras se rapprocha de M. Courteille : « Voyons, monsieur, soyez franc; dites-moi si vous êtes chargé de me faire assassiner? » M. Courteille se récria beaucoup. « Tiens, parblen! quand on fait la besogne que vous faites en ce moment, est-ce qu'on n'est pas capable de tout? Mais il ne s'agit pas de cela; j'ai assez souvent joué ma vie dans les combats pour être habitué à l'idée de la mort; si je vous fais pareille question, c'est uniquement pour que vous me laissiez le temps d'écrire à ma

sœur. » Le commissaire de police protesta encore de ses instructions pacifiques, et comme le jour commençait à poindre, il insista pour que le colonel se décidât à descendre. L'escalier et la cour étaient remplis d'agents de police et de gendarmes mobiles. Outre cela, il y avait, à l'entrée de la rue de la Concorde, un piquet de cinquante soldats commandés par un officier (MM. Charras et Changarnier demeuraient à l'entrée du faubourg Saint-Honoré, presque en face l'un de l'autre.) Notre ami, placé dans une voiture avec le commissaire et deux sergents de ville, put reconnaître, lorsqu'il passa devant cette troupe, que plusieurs soldats étaient déjà chancelants d'ivresse! Il avait bien fallu leur enlever l'usage de la raison, car on les avait mis là pour faire feu si quelque obstacle ou quelque résistance survenait à l'enlèvement du général Changarnier et du colonel Charras, deux hommes particulièrement redoutés des conspirateurs.

Ce fut en route seulement que le commissaire annonça à son captif qu'il le conduisait à Mazas. Comme il arriva pour le général Bedeau, pour le général Changarnier, pour M. Nadaud, il lui avait dit d'abord qu'il le menait chez le préfet de police. « Ah! vous me menez à la prison de Mazas; eh bien, tenez pour certain que si jamais la chance tourne, et que je redevienne quelque chose dans le pays, votre vie est au bout de ce

que vous faites. Mais j'accomplis un devoir, colonel; j'obéis à mon chef. - Non, non ; vous savez bien, vous savez parfaitement que vous violez la Constitution. Vous parlez de devoir; votre devoir est de désobéir? Le dernier des policemen, en Angleterre, refuserait de se prêter au service criminel que vous faites. » Tout était inutile, leur parti était pris.

En arrivant à Mazas, M. Charras remarque, dans la cour, que l'officier commandant le piquet de gendarmerie tournait la tête comme pour éviter de voir ni d'être vu. Au greffe,'il trouva, outre le directeur, un homme portant l'uniforme de colonel et la croix de commandeur de la Légion d'honneur. « Je suis représentant du peuple, dit-il au directeur; on m'a enlevé de mon domicile, contrairement à la loi; sachez bien que si vous me recevez, vous prenez part à un attentat. Je proteste de la manière la plus formelle, et je prends à témoin l'officier de l'armée que voici. C'est un officier; ce doit être un homme honorable. » A ces mots, le commandeur, qui se cachait le visage dans le collet de son manteau, s'éloigna tout à coup malgré les apostrophes de M. Charras. « Voyons, ne vous en allez donc pas; montrez donc un peu votre figure, que je voie si je vous connais..... Oh! vous ne voulez pas ? C'est bon! » Notre ami, M. Charras, avait toujours cru que cet individu,

qui cachait si bien son visage, était quelque agent de police déguisé en officier supérieur pour en imposer à la troupe chargée de garder Mazas. Il se trompait. M. Mayer nous apprend que cet homme était un certain colonel Thirion, qui n'avait pas eu honte de prendre l'administration des cellules de Mazas pendant la nuit! M. Thirion avait certainement bien la conscience de son crime; il n'osait fixer les yeux sur personne; il commandait en baissant la tête, mais il tenait sans doute à rivaliser avec son ami, le général Forey.

Ce ne fut pas, comme chez M. Charras, à coups de hache, ce fut par trahison que l'on pénétra chez notre jeune collègue, M. Valentin, lieutenant aux chasseurs de Vincennes. Il occupait, rue du Bac, deux pièces dont l'entrée était commune avec l'habitation du propriétaire, M. Scaillette, ancien officier de la garde impériale. La porte de l'appartement était en bois de chêne, épaisse, d'une solidité exceptionnelle, munie d'un vasistas à grillage serré; enfin, fermée à l'intérieur par deux forts verrous et un crochet de retrait en fer. Bien qu'il ne se préoccupât plus guère du coup d'État dont on parlait depuis si longtemps, M. Valentin n'avait pas cessé d'y croire. Aussi, profitant du hasard qui lui donnait une sorte de château-fort, il avait prescrit de n'ouvrir, de nuit surtout, sous aucun

prétexte, avant qu'on eût reconnu les visiteurs par le vasistas. Malgré cela, au moment où le commissaire de police Dourlens, accompagné de douze sergents de ville et guidé par le concierge, arriva près de la porte, elle lui fut ouverte par la servante de M. Scaillette, laquelle se chargea également d'introduire cette étrange compagnie dans la chambre à coucher de M. Valentin. Tout s'était fait sans le moindre bruit, et notre collègue, profondément endormi, se trouva réveillé par deux estafiers dont l'un le saisissait aux épaules et l'autre aux pieds. Il ne doute point qu'il n'ait été livré, car en ouvrant les yeux il vit le commissaire de police déjà maître d'un placard où se trouvaient déposées une carabine de tir et deux paires de bons pistolets chargés. En même temps, un des agents mettait la main sur le coffre d'un divan qui contenait des papiers et une volumineuse correspondance. M. Valentin doute d'autant moins qu'il ait été trahi par la servante de M. Scaillette, que ces deux meubles furent les seuls inspectés, et que ses habits et sa chaussure avaient été enlevés de la chambre, où personne n'entrait d'ordinaire avant sept ou huit heures du matin. De ces diverses circonstances réunies, il est impossible de ne pas conclure ceci : police savait que le jeune et bouillant représentant du peuple était bien armé; elle savait que l'état des

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