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textuellement; sinon, je me chargerai de ce soin. Je ne donnerai jamais ma parole d'honneur à des gens sans honneur, à des traîtres, à des parjures, à des brigands sans foi ni loi. » Le commandant fit de vains efforts pour obtenir quelque adoucissement à cette réponse, au moins dans la forme; il fut obligé de la transmettre à son gouvernement. Madame Leflò ne revit son mari que quand elle put marcher.

Jusqu'au 8 décembre, les prisonniers furent gardés intérieurement par un poste de soldats. Mais la garnison leur montra assez de sympathie pour devenir suspecte. On leur envoya en conséquence une escouade de gardiens de la prison centrale de Poissy, et c'est en présence d'un de ces hommes qu'ils durent recevoir leurs visites, visites limitées d'ailleurs de midi à quatre heures.

Vers le 25, ils virent arriver, pour remplacer les soldats du 48e qui les servaient, trois hommes de la plus mauvaise figure, sentant le crime ou tout au moins la geôle d'une lieue. Chacun des prisonniers eut la même idée sur leur compte. Le général Lamoricière, plus impétueux que les autres, déclara tout net au commandant de place que ces trois hommes étaient des empoisonneurs, et qu'il ne voulait pas qu'ils entrassent chez lui, surtout au moment des repas. Le fait est que c'étaient des condamnés extraits de Poissy. Leur service se borna à espionner.

On n'épargna ainsi aux prisonniers de Ham aucun mauvais traitement moral. On s'attacha, on mit un soin tout particulier à ne placer auprès d'eux que des ennemis. Le commissaire de police qui les avait suivis leur était si brutalement hostile, que, dans la salle commune de l'hôtel de ville de la petite ville de Ham, il dit tout haut, à côté de madame Busnel, sœur du général Bedeau : « Ah! les gredins, nous avons la victoire, ils verront ! »

Les conspirateurs ne pouvaient cependant garder indéfiniment ces gredins sous les verrous. M. Roger (du Nord) avait été mis en liberté le 10 décembre, sans que ni lui ni les siens eussent fait aucune démarche. M. Morny s'était à la fin souvenu d'une vieille amitié durant laquelle il avait plus d'une fois puisé dans la bourse de celui qu'il s'était vu forcé d'emprisonner pour sauver la France de l'anarchie parlementaire. Le général Cavaignac avait été élargi le 19. Il fallait ou relâcher les autres ou les faire juger pour crime de conspiration contre le candide président de la République. Le procès parut difficile; non pas que les conseils de guerre, toujours fidèles à la consigne, n'eussent condamné à mort tous ces coupables comme tant d'autres, si on le leur avait ordonné; mais on craignit le scandale. Les Élyséens, jugeant toujours des autres par eux-mêmes, espérèrent pen

dant quelque temps une lâcheté qui les couvrirait. A tous les parents ou amis des prisonniers qui allaient demander une permission de les voir on fit entendre uniformément ces paroles : « Si ces messieurs sont encore détenus, c'est qu'ils le veulent bien. Ils n'ont qu'à faire une demande au prince, elle sera favorablement accueillie.» La liberté en échange du déshonneur! Ce langage n'ayant pas réussi, on en essaya un autre : «< Qu'ils demandent seulement à voyager quelques mois, et ils sortiront sur-le-champ. » Quand on reconnut enfin qu'on ne lasserait pas leur constance, on prit le parti de les chasser de France. On ne pouvait moins; c'était une satisfaction promise aux généraux envieux qui avaient livré l'armée de Paris.

Les formes employées dans cette dernière exécution ne furent pas moins blessantes que la captivité n'avait été pénible.

Le 8 janvier, sans qu'ils eussent reçu le moindre avis, chacun d'eux entendit verrouiller sa porte à trois heures de la nuit. On les mettait au secret de nouveau. Qu'est-ce encore? se demandèrent-ils: c'était le secrétaire intime de M. Morny, M. Léopold Lehon, jeune homme de vingt-quatre à vingt-cinq ans, décoré depuis pour cette mission, qui venait les informer individuellement qu'on allait les expédier à l'étranger entre deux agents de police; celui-ci

en Allemagne, celui-là en Angleterre, cet autre en Belgique, etc.

M. Léopold se montra embarrassé, contraint, timide, en leur signifiant cet ukase. Le colonel Charras nous peignait ainsi son attitude et sa physionomie : « Ce gaillard-là a toujours regardé ses bottes en me parlant ; je n'ai pas pu voir la couleur de ses yeux; il ne les a pas même levés lorsque m'ayant dit que son gouvernement se croyait en droit de disposer de moi, je lui répondis Ce droit-là je le connais, c'est celui de Cartouche et de Mandrin, c'est celui du plus fort. Il ne les leva pas non plus lorsque, après m'avoir offert de me prêter de l'argent de la part de son gouvernement, si je n'en avais pas pour ce voyage subit, je lui répondis que l'argent sorti de pareille source me salirait les mains. >>

Le lieutenant-colonel Charras a raconté dans la note qu'on va lire comment s'est opéré le dernier acte de violence consommé sur sa personne. Disons d'abord ce qui motiva cette note. Les décembriseurs firent accompagner chacun des prisonniers de Ham par deux agents de police qui avaient ordre de ne pas les quitter jusqu'à leur destination. Ce gouvernement de malappris ne respecte pas même les territoires étrangers. Il prétend donner, hors de France, à ses estafiers, un droit quelconque sur les victimes de ses fu

reurs. Les ministres belges, MM. Ch. Rogier, Frère et Tesch, durent s'émouvoir en apprenant une telle offense faite aux droits internationaux; ils demandèrent aux bannis s'ils se plaignaient d'avoir été violentés en Belgique par des agents français. La note de notre ami est la réponse à cette demande; elle explique pourquoi aucun de ces messieurs ne voulut faire une plainte formelle. Il reste à savoir si celui des ministres que la chose concernait plus particulièrement, bien instruit du fait, quoiqu'il n'en fùt pas saisi directement par les lésés, ne devait pas à la dignité de la nation belge de demander compte à qui de droit.

Note remise le 12 janvier 1852 à M. Verheyen.

« Je soussigné, Charras, Jean-Baptiste-Adolphe, lieutenant-colonel de l'armée française, représentant du peuple à l'Assemblée nationale, déclare ce qui suit, sur l'invitation de M. Verheyen, administrateur de la sûreté publique du royaume de Belgique :

« Le8 janvier à quatre heures et demie du matin, un individu qui, en réponse à ma demande, se dit être le chef du cabinet du ministre de l'intérieur, entra dans ma chambre au château de Ham, où j'étais retenu prisonnier, et m'annonça que j'allais être extrait de cette pri

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