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§ 509.

De l'administration de la communauté.

1o Le mari est réputé seigneur et maître de la communauté. En d'autres termes, la loi lui attribue, en qualité de chef de l'association conjugale, le pouvoir d'user et de disposer des biens de la communauté comme de ses biens personnels, sous les restrictions cependant qui seront ci-après indiquées. Ainsi, le mari a non-seulement le droit d'administrer les biens communs; il peut encore les aliéner et les grever de servitudes ou d'hypothèques, sans le concours de la femme. Art. 1421. Il ne doit même aucune indemnité à celle-ci, lorsqu'il dissipe ou qu'il laisse dépérir ces biens 2.

La femme n'est pas admise à former opposition aux actes d'administration ou de disposition du mari. Elle n'a d'autre ressource, pour mettre ses intérêts à l'abri de la mauvaise gestion de ce dernier, que de provoquer la séparation de biens.

Quelque étendus que soient les pouvoirs conférés au mari en sa qualité de seigneur et maître de la communauté, il doit cependant les exercer sans fraude. Les actes par lui passés sont à considérer comme frauduleux, non-seulement lorsqu'ils ont eu pour objet de lui procurer ou de procurer à ses héritiers un avantage au détriment de la communauté, mais encore lorsque, sans aucune inten

dans les biens communs non encore partagés. La solution adoptée au texte se justifie par cette idée que, comme les sociétés civiles en général, la communauté ne constitue pas une personne morale (§ 505, texte n° 1, et note 2), et ce, par des raisons analogues à celles que nous avons développées à la note 5 du § 383. Lebrun, liv. II, chap. III, sect. III, no 20. Besançon, 24 juin 1858, Sir., 59, 2, 39. Voy. en sens contraire Troplong, III, 1763 et suiv.; Bordeaux, 6 juillet 1832, Sir., 33, 2, 54.

1 Dire que le mari est seigneur et maître de la communauté, ce n'est pas dire que la femme n'ait, jusqu'à la dissolution de la communauté, qu'une simple expectative de copropriété. La qualification de seigneur et maître de la communauté n'a, en ce qui concerne la femme, d'autre objet que de marquer l'étendue des pouvoirs qui appartiennent au mari, en vertu du mandat que la loi lui confère comme chef de l'union conjugale. Cpr. § 505, texte n° 2 et note 3. C'est seulement en ce qui concerne les créanciers du mari et de la femme que cette qualification doit être entendue dans un sens absolu. Cpr. texte no 2 et note 13 infra.

Pothier, no 470. Odier, I, 214. Rodière et Pont, I, 656. Troplong, II,

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tion de s'avantager ou d'avantager les siens, le mari ne les a faits qu'en haine de sa femme et dans la vue de la frustrer. Dans l'une et l'autre hypothèse, la femme est en droit de se faire indemniser par le mari. Elle est même admise à demander contre les tiers la révocation des actes passés à leur profit, lorsqu'ils se sont rendus complices de la fraude commise par celui-ci. Cette complicité, qui, dans les circonstances ordinaires, ne doit être admise qu'avec la plus grande réserve, pourra l'être plus facilement lorsqu'il s'agira d'actes passés en prévision d'une dissolution imminente de la communauté dont les tiers auraient eu connaissance. C'est ce qui a lieu dans l'hypothèse prévue par l'art. 271, et pour les actes passés par le mari, soit dans les derniers moments de sa vie, soit à la veille de la mort de sa femme 3.

Le droit de disposition du mari sur les biens communs est d'un autre côté soumis aux restrictions suivantes :

a. Il ne peut disposer entre-vifs, à titre gratuit, ni des immeubles de la communauté*, ni de la totalité ou d'une quotité du mobilier de celle-ci, si ce n'est pour l'établissement des enfants communs. Mais il est autorisé à donner à toutes personnes des objets mobiliers spécialement et individuellement désignés, quels qu'en soient la quantité et la valeur, pourvu d'ailleurs que la do

* Comme le dit fort bien Coquille (Questions et réponses, quest. 96), la seigneurie de la communauté est attribuée au mari quatenus bona fides patitur, non etiam ut fraudibus via aperiatur. C'est aussi ce qui a toujours été reconnu par nos anciens auteurs. Voy. Lebrun, liv. I, chap. V, dist. I, no 60; Pothier, no 467. Ces idées doivent, à plus forte raison, être appliquées sous l'empire du Code Napoléon, qui a apporté au pouvoir du mari des restrictions inconnues dans l'ancien Droit. Troplong, II, 871 et suiv. Colmar, 25 février 1857, Sir., 57, 2, 321.

* Le Code Napoléon a, sous ce rapport, restreint les pouvoirs que les coutumes, et notamment celle de Paris, attribuaient au mari, relativement aux biens communs. Aux termes de l'art. 225 de cette dernière coutume, le mari pouvait disposer, sans le consentement de la femme, des immeubles communs par donation ou autre disposition entre-vifs, à son plaisir et volonté, à personne capable, et sans fraude.

* Le terme établissement ne doit pas être pris ici dans le sens restreint d'un établissement par mariage, mais dans l'acception générale que lui attribue l'art. 201.- Cpr. sur le droit de disposition du mari pour l'établissement des enfants communs : Troplong, II, 901 et 902; Req. rej., 2 janvier 1844, Sir., 44, 1, 9.

Toullier, XII, 311. - Cependant l'excès d'une pareille donation donnerait facilement à présumer, lors même qu'elle aurait eu lieu au profit d'un étranger, que le mari l'a faite en fraude des droits de la femme. Pothier, no 481. Battur, II, 537. Troplong, II, 887.

nation ne soit pas faite en fraude des droits de la femme, et spécialement que le mari ne se réserve pas l'usufruit des objets donnés. Art. 1422.

Les donations faites par le mari en dehors des limites déterminées par l'art. 1422, ne sont pas opposables à la femme, qui peut demander, lorsqu'elle accepte la communauté, que les biens donnés soient compris au partage. Ce droit cependant ne lui appartiendrait plus, si elle avait concouru à ces actes, soit comme codo

7 Civ. cass., 14 août 1855, Sir., 55, 1, 776. L'action compétant à cet effet à la femme est immobilière; et si la restitution, ne pouvant s'opérer en nature, s'effectue en valeurs mobilières, ces valeurs n'appartiennent pas au donataire ou légataire du mobilier. Req. rej., 16 février 1852, Sir., 53, 1, 18.

Suivant une opinion assez accréditée, le concours ou le consentement de la femme à la donation immobilière faite par le mari, ne la rendrait pas non recevable à la critiquer. Voy. Delisle, Consultation, Sir., 44, 2, 386; Odier, I, 225; Rodière et Pont, 1, 662; Marcadé, sur les art. 1421 à 1423, no 2; Bourges, 10 août 1840, Sir., 44, 2, 357; Caen, 3 mars 1843, Sir., 44, 2, 386. Voy. aussi Douai, 29 août 1855, Sir., 55, 2, 739. Mais cette opinion doit, à notre avis, être rejetée. Le rapprochement des art. 1421 et 1422 prouve que le législateur, en interdisant au mari de disposer à titre gratuit des immeubles de la communauté, après lui avoir permis de les aliéner à titre onéreux sans le concours de la femme, a simplement voulu le soumettre, pour les dispositions à titre gratuit, à la nécessité d'obtenir ce concours. La restriction apportée au pouvoir du mari étant uniquement établie dans l'intérêt de la femme, on ne voit pas pourquoi il lui serait interdit de renoncer à l'effet de cette restriction. En vain dit-on que, dans ce système, la femme ne se trouvera plus suffisamment protégée, puisqu'il est à craindre que son consentement soit déterminé par l'ascendant ou l'obsession du mari. Cette objection est en opposition avec les principes fondamentaux du régime de communauté, sous lequel la femme, duement autorisée, jouit d'une entière capacité de s'engager ou de disposer de ses biens. En vain aussi prétend-on que la donation serait nulle, comme entachée d'une condition potestative, en ce qu'il dépendrait de la femme de la rendre inefficace à son égard, en renonçant à la communauté. Cet argument, qui resterait sans application à l'hypothèse où la femme se serait bornée à donner son consentement à la donation faite par le mari seul, n'est pas même exact dans l'hypothèse où elle a participé à la donation, comme codonatrice pour moitié. En effet, la renonciation à la communauté ne portera aucune atteinte à l'efficacité de la donation, qui ne pourra être attaquée, ni par le mari, qui serait non recevable à se prévaloir d'une prohibition établie contre lui, ni par la femme, à laquelle sa renonciation a fait perdre toute espèce de droits sur les biens de la communauté. La seule question qui puisse s'élever en pareil cas, c'est de savoir si la femme devra indemniser son mari pour la moitié de la valeur des biens donnés; et cette question, qui ne concerne que les rapports des époux, est complétement étrangère au sort de la donation. Delvincourt, III, p. 34. Duranton, XIV, 272. Rolland de Villargues, Rép. du not., vo Communauté, no 356. Glandaz, Encyclopédie, vo Communauté conjugale, no 206. Taulier, V, p. 88. Troplong, II,

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natrice, soit même simplement pour y donner son adhésion". Du reste, dans le cas même où une donation faite par le mari seul serait déclarée non opposable à la femme, elle n'en devrait pas moins avoir son effet par rapport au mari ou à ses héritiers, soit que les objets donnés tombent dans leur lot, soit qu'ils tombent dans le lot de la femme. Au dernier cas, le donataire aurait droit de réclamer contre le mari ou ses héritiers la valeur de ces objets 10. Arg. art. 1423.

b. Le mari ne peut, par acte de dernière volonté, ou au moyen d'une institution contractuelle, disposer des biens communs que jusqu'à concurrence de sa part dans la communauté. Lorsqu'il a ainsi donné, soit un immeuble, soit un objet mobilier de la communauté, le donataire ou légataire n'est autorisé à réclamer cet objet en nature qu'autant que, par l'événement du partage, il est

à 906. Riom, 5 janvier 1844, Sir, 44, 2, 385 et 388. Amiens, 15 février 1849, Sir., 49, 2, 174. Req. rej., 5 février 1850, Sir., 50, 1, 337. Req. rej., 29 avril 1851, Sir., 51, 1, 329. Poitiers, 10 juin 1851, Sir, 51, 2, 609.

* Lorsque la femme, après avoir concouru comme codonatrice à la donation faite par le mari, renonce à la communauté, elle doit, en général, indemnité au mari pour moitié de la valeur des objets donnés. Il en serait cependant autrement si, d'après les circonstances, la femme pouvait être considérée comme étant intervenue à la donation, non pour exercer personnellement un acte de libéralité, mais seulement comme commune en biens, et pour renoncer par son adhésion au droit éventuel de critiquer cette donation.

10 Toullier, XII, 314. Duranton, XIV, 275. Odier, I, 223. Rodière et Pont, I, 667. Marcadé, sur les art. 1421 à 1423, no 5. Voy. cep. Troplong, II, 891. D'après cet auteur, le donataire ne pourrait, au cas où l'immeuble donné est tombé au lot de la femme, réclamer du mari, que la valeur de la moitié de cet immeuble. Il se fonde sur ce que ce dernier ne saurait être tenu à garantie pour la part de la femme, à raison du caractère frauduleux dont la donation de cette part se trouverait entachée. Mais ce motif nous paraît doublement erroné. Il est d'abord évident qu'il ne s'agit pas ici d'une question de garantie, et M. Troplong le reconnaît lui-même, en convenant que le mari doit bonifier au donataire la moitié de la valeur de l'immeuble donné, ce à quoi il ne serait pas tenu, à moins d'une promesse formelle, si on devait décider la question d'après les principes relatifs à la garantie d'éviction. D'un autre côté, la donation d'un conquêt, faite par le mari seul, ne saurait être considérée comme un acte frauduleux, puisqu'elle ne peut en aucun cas préjudicier à la femme. De quel droit, d'ailleurs, le mari viendrait-il se prévaloir d'une fraude qu'il aurait commise, pour se soustraire à l'obligation d'exécuter, sinon in specie, du moins en valeur, la donation qu'il a faite? Nous ajouterons que si la femme, au lieu de demander que l'immeuble donné soit compris au partage, se borne à réclamer une indemnité de la moitié de la valeur de l'immeuble, la donation subsistera pour le tout, le mari se trouvant obligé au paiement de cette indemnité. Or, on ne comprendrait pas que l'option de la femme pût influer sur le sort de la donation.

tombé au lot des héritiers du mari. Au cas contraire, ces derniers doivent lui en payer la valeur. Art. 1423 “.

c. La femme peut, en cas de séparation de biens, demander l'annulation des actes d'aliénation d'objets de la communauté, consentis par le mari depuis l'introduction de la demande, par cela seul que ces actes lui portent préjudice. Arg. art. 1445. Si cependant la séparation de biens ne s'est opérée que comme conséquence d'une séparation de corps, la femme n'est admise à critiquer ces actes, vis-à-vis des tiers, qu'à charge de prouver que le mari les a faits en fraude de ses droits, et que les tiers avec lesquels il a traité, ont été complices de cette fraude ". Arg. art. 271.

2o Tous les engagements contractés par le mari durant la communauté, soit par l'effet d'une convention ou d'un quasi-contrat, soit même par suite d'un délit ou d'un quasi-délit, grèvent la communauté 13. Il importe peu, en ce qui concerne les engagements conventionnels, que le mari les ait contractés, soit dans son intérêt personnel ou dans celui d'un tiers, soit dans l'intérêt de la communauté, et que celle-ci en ait ou non profité 1.

Le principe que toutes les dettes contractées par le mari grèvent la communauté, s'applique même aux amendes qu'il a encourues par suite d'un délit de Droit criminel. Art. 1424.

Toutefois, et par exception à ce principe, la communauté n'est tenue, ni de l'amende, ni même des réparations civiles et des dépens 15 auxquels le mari aurait été condamné, avant la loi du

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L'art. 1423 est-il applicable aux dispositions testamentaires faites par la femme? Voy. pour la négative §§ 675 et 676, note 17.

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2 Cpr. sur ces deux propositions: § 516, texte no 6 et note 49; § 493, texte n° 3, et notes 14 à 18.

13 Art. 1409, no 2, cbn. 1424 et 1425. Ce principe, qui était universellement reconnu dans l'ancien Droit, est une conséquence du pouvoir de disposer conféré au mari par le deuxième alinéa de l'art. 1421. Toullier, XII, 217. Duranton, XIV, 246. Rodière et Pont, 1, 624. Odier, I, 191. Troplong, II, 720 et 726. — En · combinant le principe dont il s'agit avec la règle que toutes les dettes de la communauté peuvent être poursuivies pour le tout sur les biens personnels du mari (Cpr. § 510), on peut dire que les biens de la communauté sont, en ce qui concerne les créanciers personnels du mari et ceux de la communauté, censés former partie intégrante du patrimoine du mari.

14 Pothier, no 248. Toullier, XII, 217. Rodière et Pont, 1, 625. Troplong, II, 721 à 725. Cpr. note 17 infra.

15 Le mot condamnations, dont se sert l'art. 1425, comprend les réparations civiles et les dépens, aussi bien que l'amende. Toullier, II, 223. Odier, 1, 242 bis. Rodière et Pont, 1, 635. Colmar, 29 décembre 1849, Sir., 52, 2, 193.

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