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La femme qui a fait prononcer la séparation de biens jouit du même droit 17,

La règle d'après laquelle le droit au préciput ne s'ouvre qu'au

systèmes. Celui que nous proposons prend son point de départ dans ce principe incontestable que le débiteur d'une dette, soit actuelle, soit éventuelle, ne saurait être tenu de fournir caution qu'autant qu'il s'y trouve astreint par une convention, par un jugement, ou par une disposition formelle de la loi. Nous en concluons tout d'abord que le mari ne peut, dans aucun cas, et alors même que la communauté aurait été dissoute par suite d'une séparation de corps prononcée sur sa demande, exiger de la femme qui accepte la communauté, une caution pour la restitution de la moitié de la somme ou des objets soumis à son préciput. On ne trouve, en effet, dans l'art. 1518 rien qui l'y autorise; et bien loin de là, cet article, en accordant à la femme seule le droit de demander caution, fournit contre le mari un argument a contrario parfaitement concluant. Voy. en ce sens Bellot des Minières, III, 274; Toullier, XIII, 397; Odier, II, 880; Rodière et Pont, II, 302; Marcadé, sur l'art. 1518, no 3. Cpr. Zachariæ, § 529, note 8. Voy. en sens contraire: Delvincourt, III, part. I, p. 48, part. II, p. 94; Taulier, V, p. 205, no 4. La controverse ne peut donc, à notre avis, sérieusement s'établir que sur le point de savoir si la femme qui a fait prononcer la séparation, soit de corps, soit de biens, peut demander caution au mari, même en acceptant la communauté. Les considérations suivantes nous portent à adopter la négative, et à restreindre ainsi pour la femme la faculté de demander caution au cas où elle renonce à la communauté, et où elle conserve malgré cela son droit au préciput. En disant que la somme ou la chose que constitue le préciput reste toujours provisoirement au mari, l'art. 1518 suppose évidemment que la femme a renoncé à la communauté, car de quel droit le mari retiendrait-il, même au cas d'acceptation, la totalité de la somme ou de la chose soumise au préciput, dont la moitié tout au moins doit revenir à la femme à titre de partage, et pourquoi placerait-on cette dernière, qui cependant a obtenu la séparation de corps ou de biens, dans une position provisoire pire que celle dans laquelle elle se trouverait si aucun préciput n'avait été stipulé à son profit. D'un autre côté, la faveur spéciale que la loi a fait à la femme s'explique parfaitement, quand on la restreint au cas où elle renonce à la communauté. Cette renonciation, en effet, élève contre le mari une présomption de mauvaise administration, et rend d'autant plus nécessaires des garanties destinées à protéger les intérêts de la femme, que les valeurs formant l'objet de son préciput demeurent tout entières aux mains du mari, ce qui ne peut jamais se rencontrer pour le préciput de ce dernier qui, n'étant pas admis à renoncer à la communauté, reçoit toujours au moins la moitié des valeurs composant son préciput. Nous ajouterons que notre interprétation, qui aboutit, en définitive, à absoudre le législateur du reproche d'inconséquence ou d'inexactitude qu'on lui a adressé, trouve dans ce résultat même sa complète justification. Voy. en ce sens : Toullier, XIII, 397; Rodière et Pont, II, 302; Marcadé, sur l'art. 1518, no 3. Voy. en sens contraire: Delvincourt, loc. cit.; Dnranton, XV, 194; Taulier, V, p. 204, no 1; Odier, II, 881; Troplong, III, 2135; Zachariæ, § 529, texte et note 7.

17 Arg. art. 1518. Battur, II, 474. Duranton, XV, 195. Odier, II, 882. Rodière et Pont, II, 304. Marcadé, sur l'art. 1518, no 4.

décès de l'un des époux, est susceptible d'être modifiée par les parties. C'est ainsi, par exemple, que la femme peut stipuler que son droit au préciput s'ouvrira dans le cas de dissolution de la communauté, par suite de séparation de biens ou de séparation de corps prononcée à sa requête 18.

Le préciput ne peut, de sa nature, s'exercer que par voie de prélèvement sur la masse commune, composée conformément aux règles développées au § 519. Ainsi, la femme ne peut, en général, réclamer son préciput qu'en acceptant la communauté. Ainsi encore, elle ne peut, en cas d'insuffisance de la masse commune, exercer son préciput sur les biens propres du mari. Il en serait autrement, pour l'une et l'autre de ces conséquences, si la femme avait stipulé le droit de prendre son préciput, même en renonçant à la communauté. Dans cette hypothèse, elle serait autorisée à le réclamer malgré sa renonciation; et elle pourrait en poursuivre le paiement sur les biens propres du mari, quand même elle accepterait la communauté 19. Art. 1515.

Du reste, la clause de préciput n'altère en rien les droits qui, sous le régime de la communauté légale, appartiennent aux créanciers des époux. Ces créanciers peuvent donc poursuivre la vente des objets dont le prélèvement a été stipulé au profit de l'un des époux, sauf à celui-ci son indemnité pour la valeur de ces objets. Art. 1519. Cette indemnité ne peut être poursuivie que sur la part de l'autre époux dans la masse commune, à moins qu'elle ne soit due à la femme, et que celle-ci n'ait stipulé le préciput même pour le cas de renonciation à la communauté, auquel cas elle peut poursuivre son indemnité sur les biens personnels du mari 20.

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Merlin, Rép., vo Préciput conventionnel, § 1, no 1. Battur, II, 474. Toullier, XIII, 398. Duranton, XV, 181 et 182. Odier, II, 874. Rodière et Pont, II, 288. Marcadé, sur l'art. 1518, no 4. Troplong, III, 2129 et 2130. Req. rej., 26 janvier 1808, Sir., 8, 1, 809. Limoges, 6 août 1849, Sir., 50, 2, 108. 19 Pothier, no 448. Duranton, XV, 187. Rodière et Pont, II, 209. On voit, d'après cela, que la clause par laquelle la femme se réserve la faculté de reprendre, en cas de renonciation, une certaine somme pour lui tenir lieu de ses apports, lui est moins avantageuse que la clause de préciput, avec stipulation qu'elle aura droit au préciput même en cas de renonciation. La femme peut user de cette dernière clause, même en acceptant la communauté, tandis qu'elle ne peut user de la première qu'en y renonçant.

20 C'est ce que les rédacteurs du Code Napoléon ont voulu exprimer dans l'art. 1519 par ces termes, sauf le recours de l'époux conformément à l'art. 1515. Observations du Tribunat (Locré, Lég., XIII, p. 256). Odier, II, 887. Rodière et Pont, II, 310. Marcadé, sur l'art. 1519.

§ 530.

e. Des clauses tendant à modifier la règle du partage égal de la com

munauté.

La règle d'après laquelle la masse commune se partage par moitié entre les deux époux ou leurs héritiers, est susceptible d'être modifiée de diverses manières, et notamment par les clauses suivantes'. Art. 1520.

1° Les futurs époux peuvent, quelle que soit l'importance respective de leurs apports, assigner, soit à l'un d'eux nommément, soit au survivant ou aux héritiers du prémourant, une part ou plus forte ou moindre que la moitié de la communauté. Cette convention peut être faite, soit purement et simplement, soit sous une condition, par exemple pour le cas où il n'y aura pas d'enfants du mariage3.

L'époux dont les droits ont été réduits, ne supporte les dettes de la communauté que dans la proportion de la part qu'il prend dans l'actif. Art. 1521, al. 1. Cette règle de contribution reste étrangère aux rapports des époux et de leurs créanciers respectifs, tant que dure la communauté; et même après sa dissolution, elle ne peut être opposée à ces derniers par le mari qu'autant qu'il s'agit de dettes personnelles à la femme, dont il n'est tenu qu'en sa qualité d'associé, et non comme chef de la communauté. Quant à la femme, elle ne peut être poursuivie pour les dettes communes qui ne procèdent pas de son chef, que dans la proportion

'L'énumération que renferme l'art. 1520 n'est pas limitative. Ainsi, par exemple, les époux peuvent assigner à l'un d'eux les immeubles, et à l'autre le mobilier de la communauté. Les effets de cette clause se détermineraient par des principes analogues à ceux qui régissent la convention dont s'occupe l'art. 1521. Cpr. § 522, texte et note 33. Marcadé, sur l'art. 1520. Troplong, III, 2143. Req. rej., 16 avril 1880, Sir., 33, 1, 171. Voy. en sens contraire: Rodière et Pont, II, 316, note 2. Ainsi encore les époux peuvent attribuer au survivant la totalité, soit de l'actif mobilier, soit de l'actif immobilier, en sus de sa part dans le surplus de la communauté. Douai, 17 juin 1847, Sir., 49, 2, 71.

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L'art. 1520, qui porte à l'époux survivant ou à ses héritiers, présente un singulier vice de rédaction. Il est évident que l'on a voulu dire, à l'époux survivant ou aux héritiers du prémourant.

* Bellot des Minières, III, p. 278. Duranton XV, 199. Odier, II, 921. Rodière et Pont, II, 320. Marcadé, sur l'art. 1521, no 1. Troplong, III, 2145.

de sa part dans l'actif, lorsqu'elle est inférieure à la moitié; mais aussi peut-elle l'être dans cette proportion, lorsque sa part est supérieure à la moitié. Il est du reste bien entendu que, sauf son recours tel que de droit, chacun des époux demeure tenu envers les créanciers de l'intégralité des dettes qui procèdent de son chef.

La convention par laquelle les époux, en assignant à l'un d'eux une part dans l'actif ou plus grande ou moindre que la moitié, stipuleraient que cet époux supportera les dettes communes dans une proportion différente de cette part, serait nulle, non-seulement en ce qui concerne le partage du passif, mais encore en ce qui concerne celui de l'actif. En pareil cas, la communauté se partagerait donc activement et passivement comme si les époux n'avaient pas dérogé aux règles de la communauté légale, c'est-àdire par moitié. Art. 1521, al. 2.

Lorsque la femme a stipulé une part plus forte que la moitié dans l'actif de la communauté, elle n'en jouit pas moins, ainsi que ses héritiers, des droits mentionnés aux art. 1453 et 14833.

Si les époux ont assigné au survivant ou aux héritiers du prémourant une part supérieure ou inférieure à la moitié, la convention ne reçoit son exécution qu'après le décès de l'un des époux. Il en est de même de la convention par laquelle il a été assigné à l'un des époux, en cas de survie, une part plus forte que la moitié, Ainsi, lorsque la communauté vient à se dissoudre par suite de séparation de corps ou de biens, elle se partage provisoirement par moitié entre les deux époux, sans que celui d'entre eux qui peut éventuellement avoir droit à une part supérieure à la moitié, soit autorisé à demander caution à l'autre.

M. Duranton (XV, 206) enseigne que si l'époux chargé de payer les dettes dans une proportion plus forte que sa part dans l'actif, consentait à les supporter dans cette proportion, ou si l'époux dispensé de contribuer aux dettes dans une proportion égale à sa part dans l'actif, offrait de les supporter dans cette proportion, l'autre époux ne serait pas admis à opposer la nullité de la convention. Mais nous ne saurions partager cette manière de voir. La disposition du deuxième alinéa de l'art. 1521 est trop explicite pour qu'il soit possible d'admettre que les rédacteurs du Code n'aient voulu frapper de nullité que la stipulation relative au partage des dettes. C'est la convention tout entière qu'ils ont déclarée nulle, en suivant l'opinion de Pothier (no 449). Delvincourt, JII, p. 93. Battur, II, 480. Odier, II, 893. Rodière et Pont, II, 325. Marcadé, sur l'art. 1521, no 2. Troplong, III, 2150.

5 Odier, II, 894. Rodière et Pont, II, 326.

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Cpr. § 529, texte, notes 15 et 16. Rodière et Pont, II, 327. Voy. cependant Odier, II, 895.

2o Les futurs époux peuvent stipuler que l'un d'eux ou ses héritiers n'auront à prétendre qu'une certaine somme pour tous droits de communauté.

Cette stipulation peut être faite sous telles conditions que les parties jugent convenables. Elle peut notamment être subordonnée au prédécès de l'un des époux, en ce sens qu'elle ne produira d'effet qu'à l'égard de ses héritiers, et qu'au cas de survie de cet époux la communauté se partagera par moitié. Art. 1523. La convention dont il est actuellement question constitue un forfait, au moyen duquel la masse commune est d'avance abandonnée à l'autre époux ou à ses héritiers. L'époux dont les droits ont été ainsi fixés à une certaine somme, est fondé à la réclamer, peu importe que l'actif de la communauté, après déduction des dettes, suffise ou non pour l'acquitter. Art. 1522.

Lorsque c'est le mari ou ses héritiers qui retiennent, en vertu de la clause dont il s'agit, la totalité de la communauté, les droits et les obligations des époux ou de leurs héritiers, soit entre eux, soit à l'égard des tiers créanciers, sont, sauf le paiement de la somme promise, les mêmes que dans le cas où la femme renonce à la communauté légale. Ainsi, le mari ou ses héritiers sont tenus, soit envers les créanciers, soit envers la femme ou ses héritiers, de l'intégralité des dettes communes. Art. 1524, al. 1. Ainsi encore, les créanciers n'ont aucune action contre la femme ou ses héritiers, si ce n'est pour les dettes au paiement desquelles elle se trouve personnellement obligée; et lorsqu'elle est poursuivie à raison de pareilles dettes, elle a son recours tel que de droit contre le mari. Art. 1524, al. 2 cbn. 1494. Enfin, la femme reste débitrice des récompenses ou indemnités qu'elle peut devoir à la communauté ou au mari 7.

Lorsque, en vertu de la clause qui a fixé les droits du mari à une certaine somme, c'est la femme qui garde la communauté, elle est tenue, tant à l'égard du mari ou de ses héritiers, qu'à l'égard des créanciers, de toutes les dettes communes. Elle ne peut cependant, quand elle a rempli les formalités prescrites par l'art. 1483, être poursuivie que jusqu'à concurrence de son émolument, à moins qu'elle ne se trouve personnellement engagée. Quant au mari, il

Battur, II, 486 et suiv. Duranton, XV, 211. Rodière et Pont, II, 333. Troplong, III, 2160.

*Tout en reconnaissant que ce point est fort délicat, nous croyons devoir maintenir la solution donnée par M. Bellot des Minières (III, p. 297 et 298) et par Zachariæ (§ 530, texte et note 11). Le bénéfice que l'art. 1483 accorde à la

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