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Celui qui a enlevé une femme mineure ou majeure 1o, et qui l'a tenue plus ou moins longtemps en charte privée ", peut, sur la demande de toute partie intéressée, être déclaré père de l'enfant dont cette femme est accouchée, lorsque l'époque de la conception coïncide avec celle de la séquestration ". Il n'est d'ailleurs

de rendre la déclaration de paternité obligatoire pour le juge, puisqu'il est impossible de fixer le moment précis de la conception, et qu'ainsi le concours de l'époque de l'enlèvement avec celle de la conception n'est jamais certain. D'après cette observation, l'art. 340 fut définitivement adopté dans les termes du Code. Cpr. Locré, Lég., VI, p. 31, art. 14; p. 119 à 123, nos 2 à 4; p. 148 et 149, art. 27; p. 179, n° 17; p. 183 à 185, nos 8 à 10.

1 Lex non distinguit. Peut-être objectera-t-on que l'art. 31, sect. I, tit. II, part. II, du Code pénal des 25 septembre-6 octobre 1791, sous l'empire duquel le Code Napoléon a été discuté, n'incriminait le rapt que lorsqu'il avait été commis envers une fille âgée de moins de quatorze ans. Mais nous répondrons que si, d'après la législation pénale en vigueur lors de la discussion du Code Napoléon, le rapt ne dégénérait en délit sui generis que dans l'hypothèse qui vient d'être indiquée, il n'en constituait pas moins, en toute autre circonstance, une atteinte à la liberté individuelle, définie et punie par cette même législation. Voy. Code pénal des 25 septembre-6 octobre 1794, part. II, tit. I, sect. III, art. 19. Or, les rédacteurs de l'art. 340, en se servant du terme générique enlèvement, ont clairement manifesté l'intention de ne pas restreindre l'exception établie par cet article à l'hypothèse où la recherche de paternité serait dirigée contre l'auteur d'un crime de rapt proprement dit. Nous répondrions de la même manière, et à l'aide des art. 341 à 344 du Code pénal de 1810, à l'objection tirée des art. 354 à 357 du même Code. Demolombe, V, 489.

"Plus la séquestration se prolongera, et plus la présomption de la paternité du ravisseur acquerra de gravité. Cpr. la note suivante.

1 Cette rédaction nous paraît exprimer, mieux que ne le fait celle de l'art. 340, le véritable esprit de la loi, tel qu'il ressort de la discussion au Conseil d'état, analysée dans la note 9 supra. Cpr. Paris, 28 juillet 1821, Sir., 21, 2, 233. Quant à l'époque de la conception, il faut, en recourant aux présomptions établies par les art. 312, al. 2, 314 et 315, la placer dans l'intervalle qui s'est écoulé depuis le commencement du trois centième jour jusqu'à la fin du cent quatrevingtième avant et non y compris celui de la naissance de l'enfant. Cpr. § 546, texte no 3. Toutefois, il importe de remarquer que si, en règle générale, l'enfant peut, en se tenant d'ailleurs dans les limites ci-dessus indiquées, assigner à sa conception le moment le plus favorable à ses intérêts, sans que le juge soit autorisé à reporter cet événement à une époque différente, il n'en est pas de même dans l'hypothèse actuelle. Si, par exemple, la séquestration avait duré depuis le trois centième jour jusqu'au deux cent quatre-vingt-cinquième avant la naissance de l'enfant, et que ce dernier voulût placer sa conception dans cet intervalle de temps, le juge ne serait pas obligé de s'en tenir à cette fixation; il pourrait, en faisant usage du pouvoir discrétionnaire que l'art. 340 lui accorde, précisément à raison de l'incertitude qui règne sur le moment de la conception, rejeter la recherche de paternité, dans le cas où les autres circonstances de la cause tendraient à démontrer qu'elle n'est pas fondée. — Quid juris, si la séquestration

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pas nécessaire que le fait de l'enlèvement ait été préalablement jugé par un tribunal de justice répressive 13.

L'exception dont il est question ne s'applique qu'au rapt de violence et non à celui de séduction". Cette exception ne peut être étendue au cas de viol 15.

s'était prolongée depuis le commencement du trois centième jour jusqu'à la fin du cent quatre-vingtième avant la naissance? La paternité du ravisseur semblerait devoir être la conséquence forcée d'un pareil concours de circonstances. Toutefois, dans ce cas-là même, le jugement qui refuserait de la déclarer, échapperait à la censure de la Cour de cassation. Cpr. en sens divers: Rolland de Villargues, no 268; Delvincourt, 1, p. 233; Toullier, II, 941; Demolombe, V, 493. 13 Duvergier, sur Toullier, If, 941, note a. Demolombe, V, 492. Cpr. Paris, 28 juillet 1821, Sir., 21, 2, 235. Voy. en sens contraire: Loiseau, p. 418; Toullier, II, 941. Ces auteurs ne donnent aucune raison à l'appui de leur manière de voir, qui est repoussée par le texte même de l'art. 340, et qui, si elle était admise, entraînerait dans la pratique les plus graves inconvénients.

"Il résulte, en effet, des travaux préparatoires: 1o Qu'on ne s'est trouvé conduit à admettre la recherche de la paternité en cas d'enlèvement, que par suite de la supposition que cet événement pourrait donner lieu à des dommagesintérêts envers la mère; 2o que si on a définitivement admis cette recherche dans cette hypothèse exceptionnelle, c'est uniquement par le motif que la durée plus ou moins longue de la séquestration de la mère, pendant le temps correspondant à celui de la conception, pourrait fournir la preuve de la paternité du ravisseur. Or, ces deux considérations ne s'appliquent, en aucune manière, au rapt de séduction. D'une part, en effet, ce rapt n'était pas incriminé par le Code pénal des 25 septembre-6 octobre 1791; et bien que puni par le Code pénal actuel, il ne pourrait, même aujourd'hui, donner lieu, contrairement à la règle Volenti non fit injuria, à des dommages-intérêts au profit de la femme séduite. D'autre part, le rapt de séduction n'emporte pas, comme celui de violence, l'idée de séquestration. Enfin, nous ferons remarquer que, dans le langage usuel, le mot enlèvement suppose une violence exercée envers la personne enlevée, et que telle est aussi, d'après le discours de Duveyrier, l'acception dans laquelle les rédacteurs de l'art. 340 ont entendu cette expression. Cpr. Dictionnaire de l'académie, vo Enlèvement; Locré, Lég., VI, p. 322, no 42. Voy. en ce sens : Consultation délibérée, par MM. Grappe, Delacroix-Frainville et Bonnet, Sir., 21, 2, 236. Voy. en sens contraire: Zachariæ, § 569, texte et note 3; Rolland de Villargues, no 207; Valette, sur Proudhon, II, p. 137, note a, 1o; Marcadé, sur l'art. 340, no 2; Richefort, II, 306; Demolombe, V, 490; Paris, 28 juillet 1821, Sir., 21, 2, 235.

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Exceptio est strictissimæ interpretationis, et aliàs non est eadem ratio. Du Caurroy, Bonnier et Roustain, I, 498. Voy. en sens contraire: Locré, sur l'art. 340; Loiseau, p. 418 et 419; Delvincourt, I, p. 233; Toullier, II, 941; Valette, sur Proudhon, II, p. 139, note a, 2o; Marcadé, loc. cit.; Taulier, I, p. 434; Richefort, II, 306; Demolombe, V, 491; Zachariæ, § 569, texte et note 4. Cette dernière opinion nous semble repoussée, non-seulement par le texte, mais encore par l'esprit de la loi. En effet, les diverses transformations qu'a subies l'art. 340 prouvent que le cas de viol a été, tout aussi bien que celui d'en

Du reste, la prohibition de la recherche de la paternité ne forme pas obstacle à ce que l'enfant naturel qui prétend avoir été volontairement reconnu, dans son acte de naissance, ou dans un acte subséquent reçu par l'officier de l'état civil, ne puisse, après avoir prouvé la perte des registres, être admis à établir, même par témoins, que ces registres contenaient une reconnaissance en sa faveur 16. La même solution semble devoir s'appliquer au cas de perte de la minute de tout autre acte authentique de reconnaissance 17.

§ 570.

b. De la recherche de la maternité.

La recherche de la maternité est permise. Art. 344, al. i. Le droit de rechercher la maternité n'appartient pas seulement à l'enfant ou à son représentant1; il compète encore à toute per

lèvement, présent à la pensée du législateur, qui les avait même assimilés l'un à l'autre sous le rapport des dommages-intérêts auxquels ils pourraient donner lies envers la mère; qu'ainsi c'est avec intention, et non par oubli, qu'il n'a pas reproduit cette assimilation relativement à la recherche de paternité. On ne peut qu'approuver la détermination qu'il a prise à cet égard. Qui ne comprend en effet que, tout en admettant la possibilité de la conception à la suite d'un viol, on ne saurait cependant trouver dans ce fait passager une présomption de paternité équivalente à celle qui résulte d'une séquestration prolongée pendant un temps plus ou moins long. C'est du reste en ce sens que se sont unanimement exprimés les orateurs du gouvernement et du Tribunat, en indiquant le cas d'enlèvement comme étant le seul dans lequel la recherche de la paternité serait exceptionnellement permise. Exposé de motifs, par Bigot-Préameneu; Rapport, par Lahary; et Discours de Duveyrier (Locré, Lég., VI, p. 214, no 33 ; p. 267, n® 38; p. 322, n° 42)

16 Arg. art. 46 et 62. Merlin, Rép., vo État civil (actes de l'), § 2, sur l'art. 46, no 5. Voy. cep. Civ. rej., 13 mars 1827, Sir., 27, 1, 444. Cet arrêt, dont les considérants semblent condamner la doctrine que nous avons émise, n'est pas précisément contraire à notre manière de voir, puisque, dans l'espèce sur laquelle il a statué, l'enfant qui recherchait la paternité s'était borné à offrir la preuve de la perte des registres de l'état civil, sans articuler qu'il existât dans les registres perdus un acte de reconnaissance à son profit.

17 Arg. art. 1348, no 4. Cpr. aussi art. 1335 et 1336.

Il est généralement admis que la recherche de maternité peut être exercée au nom de l'enfant par son représentant, par exemple, par son père, agissant en qualité de tuteur légal. Riom, 26 juillet 1854, Sir., 55, 2, 13. Les créanciers de l'enfant pourraient aussi, sinon intenter une action principale en recherche de maternité, du moins invoquer à l'appui de l'action en délivrance de droits successifs qu'ils auraient formée du chef de leur débiteur, les moyens tendant à faire constater sa filiation maternelle. Cpr. § 312, texte, notes 20 et 29; § 544 bis,

texte no 1 et note 9.

sonne légalement intéressée à établir la filiation maternelle d'un enfant naturel 2.

Ainsi, les descendants légitimes d'un enfant naturel non reconnu de son vivant, sont autorisés à faire constater sa filiation maternelle, pour exercer les droits de succession que leur accorde l'art. 759 3. Leur réclamation à cet égard n'est pas même soumise aux restrictions établies par les art. 329 et 330*.

* Des opinions contraires, plus ou moins divergentes entre elles, se sont produites sur ce point dans la doctrine et dans la jurisprudence. Cpr. 3 à 6 infra. La proposition formulée au texte découle nettement, selon nous, du premier alinéa de l'art 341, qui, admettant d'une manière absolue la recherche de la maternité, la permet, par cela même, à toute personne légalement intéressée à etablir la filiation maternelle d'un enfant naturel. Si le deuxième et le troisième alinéa de l'article précité ne prévoient explicitement que le cas où la réclamation est formée par l'enfant, ils ne sauraient pour cela être considérés comme restrictifs du principe absolu posé dans le premier alinéa du même article. Ces dispositions, en effet, ont pour unique objet de régler la manière dont la preuve de la filiation maternelle doit être administrée, et non d'indiquer les personnes autorisées à rechercher la maternité. Les termes l'enfant qui réclamera sa mère, sont simplement énonciatifs, et s'expliquent par la circonstance que le cas où la maternité est recherchée par l'enfant est le plus ordinaire. Nous ajouterons que l'art. 340 fournit en faveur de notre opinion un argument décisif. Cet article permettant, dans l'hypothèse exceptionnelle dont il s'occupe, la recherche de la paternité à toute personne intéressée, il doit en être de même, à plus forte raison, de la recherche de la maternité, que la loi admet d'une manière générale. Merlin, Rép., vo Maternité, no 5. Chardon, Du dol et de la fraude, III, 392. Richefort, III, 337 et 338. Pont, Revue de législation, 1844, XIX, p. 254. Taulier, I, p. 434 et 435. Baudot, Revue pratique, 1857, III, p. 337. Cpr. Neyremand, Revue critique, 1857, XI, p. 298; Req. rej., 12 juin 1823, Sir., 23, 1, 394; Civ. rej., 7 avril 1830, Sir., 30, 1, 175.

Marcadé, sur l'art. 342, no 4. Du Caurroy, Bonnier et Roustain, I, 502. Demolombe, V, 520 à 524. Voy. en sens contraire: Ancelot, Revue de législation, 1852, II, p. 150; Paris, 13 décembre 1837, Sir., 37, 2, 369; Bastia, 31 mars 1840, Dalloz, 1840, 2, 120. Voy. aussi : Paris, 31 mars 1837, Dalloz, 1837, 2, 139.- En indiquant comme favorables à la proposition énoncée au texte les auteurs cités en tête de la note, nous devons cependant faire remarquer que leur point de départ n'est pas le même que le nôtre. Ils n'accordent, en effet, la recherche de maternité aux descendants légitimes de l'enfant naturel que du chef de ce dernier, et comme le représentant, tandis que nous la leur concédons en propre nom, et en leur qualité de parties légalement intéressées à faire constater la filiation maternelle de cet enfant. La différence qui nous sépare n'est pas sans intérêt pratique. Voy. la note suivante.

Nous nous écartons sur ce point de l'opinion des auteurs cités en tête de la note précédente, qui, n'accordant aux descendants légitimes de l'enfant naturel la recherche de maternité qu'en leur qualité de représentants de ce dernier, et par application des art. 329 et 330, se trouvent ainsi forcément amenés à ne la leur concéder que sous les restrictions établies par ces articles. A notre avis, au

Ainsi encore, les frères et sœurs légitimes ou naturels d'un enfant naturel sont recevables à établir sa filiation maternelle, pour faire valoir les droits de succession que leur confère l'art. 7663.

La recherche de la maternité est même admise contre l'enfant, soit pour empêcher la violation des prohibitions de mariage portées aux art. 161 et 162, soit pour demander, en vertu de l'art. 908, la réduction des libéralités excessives que sa mère lui aurait faites®.

contraire, la question doit uniquement se résoudre par l'art. 341. Ce moyen de solution nous paraît d'autant plus rationnel, que la distinction si profonde, tracée par le législateur entre les dispositions concernant la filiation légitime et celles qui sont relatives à la filiation naturelle, repousse tout système qui reposerait sur la combinaison de ces deux ordres de règles. En vain oppose-t-on que d'après cette manière de voir, la condition des descendants de l'enfant naturel, quant à la recherche de sa filiation maternelle, serait plus favorable que celle des descendants de l'enfant légitime. On a perdu de vue en faisant cette objection, que la recherche de maternité exercée par les descendants de l'enfant naturel dans le seul but de faire valoir les droits de succession qui leur appartiennent sur les biens délaissés par la mère de cet enfant, est loin d'avoir des conséquences aussi graves que la réclamation d'état formée par les descendants d'un enfant légitime, réclamation dont le résultat sera, si elle est accueillie, de faire entrer ces descendants eux-mêmes et leur postérité dans les familles des père et mère de leur auteur. Cpr. Baudot, Revue pratique, 1857, III, p 316; Angers, 29 mai 1852, Sir., 52, 2, 641.

Cette proposition est généralement rejetée par la jurisprudence. Voy. Paris. 16 décembre 1833, Sir., 34, 2, 184; Amiens, 25 janvier 1838, Sir., 38, 2, 457; Civ. rej., 20 novembre 1843, Sir., 43, 1, 849; Besançon, 12 juillet 1855, Sir., 56, 2, 452. On peut cependant considérer jusqu'à certain point l'arrêt Lahirigoyen (Civ. rej., 1er juin 1853, Sir., 53, 1, 481. Cpr. texte et note 19 infra) comme indiquant une tendance à revenir sur cette jurisprudence, dont la conséquence serait d'attribuer à l'État, au détriment des frères et sœurs, et malgré l'évidence matérielle des faits, la succession de l'enfant naturel, par cela seul qu'il n'aurait pas été volontairement reconnu dans la forme déterminée par la loi. Quant aux auteurs, ils ne se sont pas spécialement occupés de la question, à l'exception toutefois de M. Demolombe, qui admet la solution que nous lui avons donnée (V, 524 in fine), mais en partant de l'idée que c'est au nom de l'enfant naturel, et par l'effet d'une transmission d'action, que ses frères et sœurs sont autorisés à rechercher la maternité. Cette idée présente, il faut en convenir, quelque chose de bien singulier dans l'hypothèse qui nous occupe. Celui qui se prévaut d'une transmission d'action ne peut le faire, en effet, qu'en établissant avant tout sa qualité de successeur universel. Or, cette qualité est si peu constante pour les frères et sœurs de l'enfant naturel, que la recherche de maternité tend précisément à la faire constater. Tous ces détours imaginés pour échapper aux conséquences du système qui refuse aux tiers intéressés la recherche de la maternité, prouvent de plus fort, à notre avis, le peu de fondement de ce système.

L'incapacité de recevoir dont se trouvent frappés les enfants' naturels, est attachée à leur qualité même, et non pas seulement à la reconnaissance volontaire dont ils auraient été l'objet. C'est ce qui ressort du texte même de l'art. 908,

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