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tion de reprendre la ligne de position qu'il oceupait sur le Pô dans la campagne précédente. Cette note, qui était une déclaration de guerre, tomba à Vienne, le 8 mars, le lendemain du jour qu'on y apprenait, par un avis du grand-duc de Toscane, que Napoléon venait de s'échapper de l'île d'Elbe.

l'Autriche et l'Angleterre; plus des lettres de Talleyrand au roi pendant le congrès, lettres où le spirituel et caustique diplomate écrivant à un souverain de son humeur s'était complu à tout raconter, les choses publiques et des galanteries privées, avec la verve de sa critique malicieuse (1). On ne sait ce qui serait résulté de ces révélations, si elles étaient arrivées à temps aux intéressés. Elles furent probablement retenues par quelques-uns de ces ministres, ennemis implacables de Napoléon, qui gouvernaient alors les rois absolus de la coalition. Les négociations n'aboutirent nulle part. C'est ce dont rendit compte le ministre des affaires étrangères dans un rapport qui fut publié au dernier moment dans le Moniteur du 16 juin. Mais l'on doit rappeler ici l'événement qui frappa le plus d'impuissance les efforts de la diplomatie française.

Murat avait gravement contribué aux désastres de 1814 par son alliance avec les ennemis de l'Empereur; en 1815 il fut pour la France une cause non moins fatale de revers, par son ardeur intempestive à prendre les armes contre l'Autriche.

En quittant l'île d'Elbe, Napoléon avait renvoyé à Murat le chevalier Colonna, chargé de lui dire: 1° que l'Empereur revenait en France, résolu à maintenir le traité de Paris du 30 mai 1814; 2° qu'il désirait que Murat fit connaître à Vienne cette pacifique résolution, impliquant formellement la renonciation par Napoléon à toute prétention sur l'Italie. Le chevalier Colonna devait insister de plus pour bien recommander à Murat de ne pas se presser d'agir quoi qu'il arrivât, et surtout de s'abstenir de toute hostilité envers le saint-siége. L'Empereur changeait de politique envers Rome; il était décidé à se réconcilier avec le pape, à qui il allait envoyer un ambassadeur, son oncle le cardinal Fesch (2).

Des lettres postérieures, écrites de Paris à Murat, vinrent confirmer ces intentions de l'Empereur.

Mais déjà il était trop tard. Murat ne s'appartenait plus. Ce prince savait, d'une part, que la coalition avait résolu de le détrôner; il pressentait, d'autre part, qu'il pourrait être sacrifié à quelque combinaison de l'Empereur pour faire la paix avec l'Autriche; il craignait que, si l'Italie était reprise par la France, le prince Eugène, resté fidèle, ne lui fût préféré; il comptait aussi qu'il serait victorieux, qu'il pourrait venir au secours de son beau-frère et de la France, et par là réparer les fautes passées. Poussé par tous ces sentiments à la fois, obsédé d'ailleurs par les sociétés secrètes dont il s'était cru faire le chef, Murat, dès qu'il avait eu vent du départ de l'île d'Elbe, avant même qu'il eût reçu le message porté par le chevalier Colonna, s'était hâté d'envoyer à Vienne une note pour signifier son inten

(1) M. Bignon, t. XIV, p. 376. (2) M. Bignon, t. XIV, p. 289.

Plus de doute: Napoléon et son beau-frère s'entendaient; le premier acte de Napoléon en regagnant le continent était de provoquer toute l'Europe, et cela par une déclaration de guerre faite à l'Autriche, la seule puissance qu'il eût intérêt à ménager, la senle qu'il eût quelque espoir de détacher de la coalition. Le fugitif de l'île d'Elbe avait perdu le sens!

Cependant Murat faisait suivre de près les menaces et la guerre. Dès le 12 mars, il se jetait en avant, culbutait tout d'abord l'État pontifical qu'on lui avait recommandé de ne pas inquiéter, mettait en fuite le pape au milieu des cérémonies de la semaine sainte, circonstance qui fut remarquée, et venait chercher les Autrichiens sur le Pô. Or, toute cette agression était imputée à Napoléon; Murat n'était, disait-on, que son lieutenant; dès son apparition sur le continent, Napoléon revenait à ses fureurs contre le chef de l'Église catholique!

On sait le sort qui attendait Murat. Après une courte campagne commencée avec quelque éclat et terminée misérablement, ce malheureux prince rentra presque seul à Naples, dans la nuit du 19 au 20 mai, disant à sa femme : « Madame, je n'ai pas pu mourir ». Le lendemain, il fuyait encore, laissant derrière lui son royaume au prince royal de Sicile, depuis Ferdinand IV, que ramenaient les Autrichiens victorieux.

Dans des notes fournies au ministre des affaires étrangères pour son rapport du 7 juin, publié au Moniteur du 16, notes dictées par Napoléon ou écrites de sa main, on lit au sujet des événements de Naples : « Insister pour dire qu'il (l'Empereur) n'est pour rien dans ce qui a été fait (1) ». Il était trop tard pour dissiper les préventions de l'Europe. Personne ne doutait que Murat n'eût agi d'après l'inspiration et l'ordre de Napoléon.

Le vertige régnait. Napoléon voulait conjurer les tempêtes que son génie prévoyait dans un prochain avenir; mais les rois ne voulaient pas être sauvés par lui. Il avait compris la nécessité de rendre au peuple la liberté; mais la liberté se révoltait contre son tardif initiateur. Il n'y avait de sagace que l'instinct des révolutionnaires; ceux-ci pressentaient sûrement que le fondateur de la révolution de 89 ne serait pas l'homme d'une révolution nouvelle et qu'il ne se prêterait pas à ce que lui-même appelait déjà les réclamations vagues, absolues, immodérées. Pour ceux qui tendaient à remanier l'ordre social, Napoléon était un obstacle, le seul qu'ils

(1) M. Bignon, t. XIV, p. 393.

eussent à redouter. Les révolutionnaires comme les conservateurs, les absolutistes comme les libéraux, tous poussés par les mobiles les plus divers, aspiraient également à une catastrophe.

66. La France, bien que surprise dans un désarroi sans nom, avait pu subvenir en moins de trois mois à la levée d'une force militaire suffisante pour résister à toute l'Europe. Mais cette armée reformée à la hate manquait de cohésion; les soldats méprisaient la plupart de leurs chefs que chacun avait vu passer, de défection en défection, de l'Empire à la royauté et de la royauté à l'Empire; on se souvenait des trahisons de 1814; on se croyait encore enveloppé de trahisons; d'ailleurs l'esprit de dénigrement, d'opposition et de révolte était dans les nouveaux régiments comme dans le reste de la France. Pour maintenir cette armée, ou mieux pour lui donner ce qu'elle n'avait pas, de l'union, de la discipline, de la confiance en elle-même, une série continue de succès était indispensable; un seul échec, survenant au début, devait la décomposer et la disperser.

Les opérations militaires commencèrent avec la sûreté habituelle au vainqueur de tant d'autres coalitions. Déjà 120,000 hommes et 350 bouches à feu étaient arrivés, le 14 juin, sur la Sambre, sans être attendus, près des armées de Wellington et de Blücher. Ces deux armées ennemies faisaient le double de l'armée française; tou. tefois attaquées avant d'avoir pu se joindre, elles allaient être séparées l'une de l'autre, puis battues tour à tour, suivant une tactique dont Napoléon avait souvent fait usage. Mais la veille, pendant la nuit, un général chef d'état-major s'échappa de l'armée française et porta à l'ennemi le plan de cette opération. Un autre général, dont l'impétuosité avait été jusque-là irrésistible, manqua à occuper une position, celle des Quatre-Bras, nécessaire pour écraser l'armée prussienne et empêcher la jonction des deux armées de Wellington et de Blücher. La bataille de Ligny, chèrement gagnée (15-16 juin), ne décida rien. Quant à ce qui se passa le surlendemain 18, dans cette inêlée du Mont-Saint-Jean ou de Waterloo, nul ne peut le dire, nul ne le sait; il y a eu des démentis pour toutes les accusations, des refutations pour toutes les apologies; tout est contesté, rien n'est prouvé; les juges compétents ne s'accordent pas et discutent encore. La victoire était assurée, dit-on, lorsqu'il survint un corps prussien que l'on croyait être un corps français, et tout fut remis en question. << Journée incompréhensible, disait Napoléon à SainteHélène, concours de fatalités inouies!... Et pourtant tout ce qui tenait à l'habileté avait été accompli... Tout n'a manqué que quand tout avait réussi.... Singulière campagne! reprenait-il, dans moins d'une semaine, j'ai vu trois fois échapper de mes mains le triomphe assuré de la France.... Sans la désertion d'un traître, j'anéantissais les ennemis en ouvrant la

campagne (le départ de Bourmont). Je les écrasais à Ligny, si ma gauche eût fait son devoir (si Ney avait occupé les Quatre-Bras). Je les écrasais encore à Waterloo, si ma droite ne m'eût pas manqué (inertie de Grouchy laissant passer les Prussiens et ne se repliant pas sur l'armée française)... » Jamais le soldat français n'avait été plus brave; mais il se méfiait de tous ses chefs, hormis un seul. « Tout mouvement qu'il ne comprenait pas, l'inquiétait; il se croyait trahi. Au moment où les premiers coups de canon se tiraient près de Saint-Amand, un vieux caporal s'approcha de l'Empereur : <«< Sire, méfiez-vous du maréchal Soult; soyez certain qu'il nous trahit... » Au milieu de la bataille, un officier fit le rapport au maréchal Soult que le général Vandamme était passé à l'ennemi, que ses soldats demandaient à grands cris qu'on en informât l'Empereur (il n'en était rien). Sur la fin de la bataille, un dragon, le sabre tout dégouttant de sang, accourut criant: « Sire, venez vite à la division; le général Dhénin harangue les dragons pour passer à l'ennemi. L'as-tu entendu? - Non, Sire; mais un officier qui vous cherche l'a vu et m'a chargé de vous le dire. » Pendant ce temps, le brave général Dhénin repoussait une charge ennemie tout en recevant un boulet qui lui emportait une cuisse (1).

Il est certain que plusieurs soldats furent vus se tuant entre eux pour ne pas survivre à la défaite de la France (2). Napoléon céda luimême à ce désespoir. Il chercha la mort au plus épais du carnage; mais la mort ne voulut pas encore de lui.

67. Le 19 juin, à Philippeville, Napoléon prenait des mesures pour rallier à Laon les débris de l'armée. A Laon, il eût dû rester là où étaient pour lui la sûreté, pour la France l'action nécessaire, à la tête de l'armée; mais trompé par une lettre qu'il avait reçue du président de la chambre des représentants, Napoléon se laissa entraîner à Paris dans les misérables querelles d'un parlement déjà révolté contre sa défaite. Il arriva à Paris le 20 juin. Il n'osa pas aller occuper le siége de la puissance souveraine, les Tuileries; il se rendit au petit palais de l'Élysée-Bourbon. « Vont-ils me déclarer la guerre à présent? » dit-il à quelques intimes, en parlant des libéraux des deux chambres. « Ils vont parler d'économiser l'eau et les pompes quand la maison est en feu, » lui fut-il répondu. Et l'on ajouta quelques mots sur la nécessité d'un coup d'État, de la dictature. Napoléon reprit d'une voix altérée : « J'ai com mencé la monarchie constitutionnelle; convoquez les ministres. >>

Alors s'ouvrit une seconde et dernière campagne de Waterloo où les ennemis se nommaient, non plus Wellington et Blücher, mais Lafayette,

(1) Observations sur la campagne de Waterloo. (2) Fleury-Chaboulon, Mémoires sur 1815, t. II, p. 186

Lanjuinais, Fouché, Manuel, Jay, Lacoste, et quelques autres que l'on pourrait encore citer. A ces révolutionnaires, à ces républicains en qui le patriotisme parlait moins haut que l'esprit de secte, se joignaient des partisans du duc d'Orléans, des royalistes en grand nombre, enfin des hommes excités par un désir personnel de vengeance. Au reste, ce qui poussà toutes ces hostilités diverses à se coaliser pour renverser Napoléon dans un moment où seul il pouvait encore défendre l'indépendance nationale, ce fut la crainte que l'on eut de le voir s'emparer de la dictature, comme le bruit en courait. Les chambres congédiées, plus de liberté, encore le despotisme, encore le règne des militaires, des courtisans, des hommes de police, plus d'avenues pour les nobles ambitions! Quelques-uns craignaient aussi pour eux l'exil, la confiscation, les prisons d'État. Il n'y avait que l'humiliation et l'asservissement de la France que l'on ne craignait pas. A ceux qui exprimaient des doutes à cet égard, on répondait que l'Empereur était seul l'obstacle à la paix et que, Napoléon écarté, tout s'arrangerait. On oubliait l'abus que l'Europe avait déjà fait de sa victoire en 1814 dès qu'elle avait cessé de redouter la présence de l'Empe

reur.

Le conseil des ministres délibérait encore auprès de Napoléon, lorsqu'on reçut à l'Élysée un message de la chambre des représentants convoquée à la hâte : la chambre signifiait à l'Empereur qu'elle venait de se déclarer en permanence pour prévenir sa dissolution; les ministres étaient sommés de comparaître devant elle, pour donner des explications et recevoir des ordres. La chambre s'emparait du gouvernement (séance du 21 juin). Lucien se rendit à l'assemblée au nom de l'Empereur. A la vue de l'homme du 18 brumaire, on s'irrita beaucoup. Lucien fut menacé; l'Empereur, insulté. « Je ne vois qu'un homme entre la paix et nous », criait le républicain Lacoste; « qu'il parte, et la paix sera assurée. » Lafayette demanda compte de trois millions de Français sacrifiés à l'ambition de Napoléon. « Nous avons assez fait pour lui, ajoutait-il, maintenant notre devoir est de sauver la patrie. » C'étaient là les sophismes de la peur et de l'esprit de parti. De tous côtés on entendait ces cris : « Qu'il abdique, ou nous le déposons. >>

L'assemblée se sépara à huit heures du soir, en nommant une commission à laquelle devaient s'adjoindre d'autres commissaires de la chambre des pairs, le tout pour examiner l'état des choses et proposer des mesures en conséquence. On voulut bien admettre dans cette réunion cinq ministres de l'Empereur.

Le lendemain, 22 juin, les commissaires, à la majorité de 16 voix contre 5, proposaient, comme moyen de salut, de remettre aux deux chambres tout le gouvernement. Pour ménager le peuple, on déguisait cette usurpation sous des formes diverses: il s'agissait de négocier

directement la paix, de préparer la défense nationale, de lever des troupes, etc.

Cependant la chambre des représentants, effrayée des nouvelles qui lui arrivaient de l'armée où l'Empereur était incessamment invoqué, sentait de plus en plus que Napoléon pouvait reprendre son autorité; c'était le seul péril qu'elle redoutât. Une motion sortit des conciliabules des meneurs; elle circula de banc en banc; elle se trouva tumultueusement accueillie avant même qu'elle fût faite. C'était une demande d'abdication. « Qu'il abdique! Nous attendons une heure. Une heure et pas davantage. » — « Si dans une heure il n'a pas abdiqué, ajoutait Lafayette, je propose la déchéance. >>

La députation chargée de cette demande arriva à l'Élysée où l'on s'entretenait toujours autour de l'Empereur de la nécessité de s'emparer de la dictature, vain murmure dont l'écho porté au dehors poussait les partis au furieux paroxysme de la peur.

Napoléon, resté seul avec quelques amis, dicta la déclaration suivante :

« Français,

En commençant la guerre pour soutenir l'indépendance nationale, je comptais sur la réunion de tous les efforts, de toutes les volontés, et sur le concours de toutes les autorités nationales. J'étais fondé à en espérer le succès, et j'avais bravé les dé clarations des puissances contre moi.

« Les circonstances me paraissent changées. Je m'offre en sacrifice à la haine des ennemis de la France. Puissent-ils être sincères et n'en vouloir réellement qu'à ma personne! Ma vie politique est terminée. Je proclame mon fils, sous le titre de Napoléon II, empereur des Français. Les ministres actuels formeront provisoirement le conseil du gouvernement. L'intérêt que je porte à mon fils m'engage à inviter les chambres à organiser sans délai la régence par une loi.

<< Unissez-vous tous pour le salut public et pour rester une nation indépendante. »

NAPOLÉON.
Palais de l'Elysée Bourbon, le 22 juin 1815.

Les deux chambres, en recevant, le 22 juin vers le milieu du jour, l'abdication de l'Empereur, manifestèrent une approbation hypocrite. Il fallait épargner le sentiment populaire inquiet, irrité, paraître louer l'Empereur quand on venait de l'outrager, et faire dire dans le public: tout est sauvé, quand tont était perdu. Les assem blées proclamèrent même, le 23 juin, Napoléon II empereur des Français, mais tout en prenant des mesures qui annulaient en fait cette reconnaissance du nouveau souverain.

Nous n'avons pas à nous occuper de la suite des événements qui ne sont plus l'histoire de Napoléon. Tous les partis s'étaient coalisés pour abattre l'Empereur vaincu. L'obstacle commun écarté, ils se précipitèrent dans les diversités et les contrariétés de leurs intrigues, ceux-ci pour la république, ceux-là pour un d'Orléans, plusieurs pour une extension, quoi qu'il arrivât,

du pouvoir parlementaire, le plus grand nombre pour les Bourbons. Mais les hommes qui comptaient avec les étrangers et la force de leurs armes furent seuls à n'être pas trompés. Les révolutionnaires jouèrent encore un rôle sinistre antour des Bourbons. En 1814, la France avait perdu sa grandeur politique. En 1815, après les Cent-Jours, elle perdit quelque chose de plus. Il y a eu en vain, jusqu'ici, des gouvernements sages, habiles, soigneux du bien public et même glorieux ce qui fut fait alors pèse encore sur la France et, pour mieux dire, sur toute l'Europe; car, s'il manque toujours à l'Europe des garanties d'indépendance, de liberté, de progrès pacifique et régulier, c'est que la France ne s'est pas encore relevée de ses déchéances de 1815.

XVII.

SAINTE-HÉLÈNE.

(25 juin 1815 5 mai 1821.)

68. Napoleon à la Malmaison. Il demande à combattre l'ennemi comme simple général. Il est dirigé sur Rochefort. - Propositions qui lui sont faites pour le transporter en Amérique en trompant la surveillance de l'escadre anglaise. Napoléon se confie au prince régent d'Angleterre. Le gouvernement anglais décide qu'il sera traité comme prisonnier de guerre, et déporté à Sainte-Hélène. 69. Arrivée à Sainte-Hélène. Aspect et climat de cette ile. Longwood. Occupations de Napoléon. Ses dictées. Gênes, rigueurs, persécutions. Hudson Lowe. Les commissaires de la sainte alliance. Expulsion de Santini, de Las Cases, d'O' Meara. Effet produit en Europe par les révélations du supplice de Sainte-Hélène. — Agonie et mort de Napoléon. Ses restes sont transportés en France. 68. Cependant la nouvelle de l'abdication s'était répandue dans Paris. Des gens du peuple, toujours plus nombreux, s'ameutaient autour des grilles de l'Élysée-Bourbon. Le 24 juin, les démonstrations populaires étaient devenues tout à fait menaçantes. On demandait l'Empereur, on criait: A bas les traitres! Le gouvernement provisoire, inquiet, exigea que Napoléon quittât Paris. On eut recours à un subterfuge pour le faire partir. Des voitures s'avancèrent à la porte principale du palais sur la rue du faubourg SaintHonoré. La foule s'y porta. On attendait l'Empereur; on parlait de l'enlever. Pendant ce temps une autre voiture stationnait, inaperçue, devant l'avenue Marbeuf, et Napoléon y montait. Le 25, il était à la Malmaison auprès de la reine Hortense et de ses deux enfants (1). Le même jour, 25 juin, Napoléon avait fait de nouveau ses adieux à l'armée, par une proclamation écrite; mais le gouvernement provisoire, qui craignait le peuple, craignait encore plus l'armée; il arrêta cette proclamation et ne la laissa pas publier.

Grand était l'embarras des politiques insensés qui, sans trop savoir les difficultés de leur attentat, avaient entrepris de dérober à la France l'unique dynastie qui fût encore possible dans l'état des choses et des esprits! Ils voulaient éloigner

(1) Montholon, Récits de la captivité de l'Empereur Napoléon, etc., 2 vol. in 8°; Paris, 1847 (tome 1er, p. 24).

immédiatement l'Empereur; ils n'osaient pas le contraindre à partir; un acte apparent de violence eût peut-être provoqué une explosion de ces sentiments populaires qu'ils redoutaient et avec lesquels ils rusaient. Mais l'Empereur, à qui ces hésitations et eet effroi rendaient de secrètes espérances, cédait mal aux instances qui lui étaient faites; il ne précipitait pas, comme on le désirait, ses préparatifs de départ; il semblait attendre un retour des partis, de meilleures inspirations dans les assemblées, une inspiration sortant tout à coup de l'extrémité du péril national.

Les Autrichiens franchissaient le Rhin et les Alpes. L'armée de Wellington occupait Cambrai, Péronne et, dépassant déjà Roye, poursuivait sa marche sur Paris. L'armée de Blücher, plus rapide encore, était arrivée, le 28 juin, à Senlis. Le 29, on apprit que ses coureurs se montraient à Aubervilliers, à Saint-Germain. Les corps de de l'armée française, ralliés mais sans direction, battaient en retraite et ne s'opposaient pas à ces progrès menaçants.

Napoléon écrivit à Paris pour demander son épée de général, le droit de combattre encore l'ennemi, puis l'exil. « Il nous prend donc pour des imbéciles », répondit Fouché en recevant l'héroïque message. Carnot proposa en vain d'accepter l'offre de l'Empereur et de le remettre comme général à la tête de l'armée ; il fut décidé par la commission de gouvernement que Napoléon partirait, sans plus de délai, de la Malmaison pour Rochefort où deux frégates l'attendaient, prêtes à l'emporter en Amérique.

Depuis le 25 juin, Napoléon était sous la garde d'un membre de la chambre des représentants, le général Becker. Le gouvernement provisoire, en faisant ce choix, avait cru mettre la main sur un ennemi de l'Empereur; mais il s'était trompé; le général Becker, homme de cœur, n'avait trouvé dans sa mission de surveillant que l'obligation d'entourer de sécurité, de sympathie et de respect les derniers moments que l'Empereur devait encore passer sur la terre de France.

Le 29 juin, à six heures du soir, Napoléon partit de la Malmaison se dirigeant vers Rochefort. Il voyagea lentement à travers des populations étonnées, fortement émues, manifestant partout d'énergiques regrets. A Niort, on voulut l'enlever et le placer à la tête de troupes cantonnées dans le voisinage. A Rochefort, où il arriva le 4 juillet, Napoléon trouva les deux frégates mises à sa disposition, la Saale et la Méduse. Il aurait pu, dit-on, se rendre tout aussitôt à bord des navires et partir; il ne le fit pas; le lendemain des bâtiments anglais qui tenaient la mer observaient de plus près les deux frégates avec des forces supérieures. On accusa tour à tour de ce contre-temps l'irrésolution de l'Empereur et un avis secret de Fouché au commandant de l'escadre britannique. 11 fallait désormais tromper la surveillance ennemie, passer invisible à travers une croisière aux

aguets, se dérober aux poursuites. Napoléon vit alors venir à lui des dévouements empressés à lui offrir des moyens de salut. Un lieutenant de la marine impériale, nommé Besson, se faisait fort, avec un petit navire marchand mouillé en rade, le brick danois la Magdeleine, de transporter l'Empereur, seul de sa personne, à travers l'Atlantique. La proposition du lieutenant Besson fut, un moment, acceptée (1). Des aspirants de la marine impériale tenaient prête une chaloupe, avec laquelle ils étaient assurés de gagner les côtes d'Espagne et du Portugal; là on ne pouvait pas manquer de trouver d'autres amis, moins de surveillance, des ressources pour reprendre la route de l'Amérique. A l'embouchure de la Gironde, il y avait une corvette, la Bayadère, dont le commandant, le capitaine Baudin, tout son équipage consulté, promettait de traverser la croisière anglaise ou de périr. Un autre commandant, le capitaine Ponet, de la Méduse, offrit, en son nom et au nom de son équipage, de surprendre, la nuit, le Bellerophon à l'ancre, de l'attaquer bord à bord, de s'attacher à ses flancs et d'arrêter au moins tous ses mouvements; la Méduse, de 60 seulement, ne pouvait manquer d'être désemparée par le Bellerophon, qui était de 74; mais pendant la lutte, la Saale, profitant de la brise qui, tous les soirs, s'élevait de terre, pouvait passer avec l'Empereur sans avoir à craindre le reste de la croisière anglaise qui n'était pas en état de lui résister. Ce plan était fort praticable, et Napoléon en jugeait ainsi, lorsque le capitaine Philibert, de la Saale, qui avait le commandement de la station française, déclara qu'il le regardait comme un acte de rébellion et que, loin de s'y prêter, il s'y opposait. On soupçonna dans cette détermination inattendue du capitaine Philibert un ordre secret envoyé de Paris par Fouché (2). Un temps inappréciable avait été perdu. La mer semblait interdite. Louis XVIII rentrait en ce moment dans Paris. Joseph, venu à l'ile d'Aix pour faire ses adieux à l'Empereur, lui offrit de se livrer à sa place et sous son nom aux Anglais; dés étrangers pouvaient se tromper à la ressemblance des deux frères. Il y avait à Bordeaux un navire qui devait transporter Joseph en Amérique; Napoléon pouvait se rendre à Bordeaux et prendre pour lui-même le navire, tout prêt, qui attendait Joseph. Napoléon ne voulut pas profiter de ce dévouement. Les gens du peuple avaient, eux aussi, leur moyen de salut qu'ils proposaient à l'Empereur; quand ils

(1) Montholon rapporte le traité passé, le 6 juillet, entre le lieutenant Resson et le comte de Las Cases stipulant pour une personne non nommée dans l'acte (Recits de la captivité, tome Ier, p. 82-85).

(2) Dans une dictée de Napoléon au général Gourgaud, contenant le récit des événements du séjour de Rechefort et de l'île d'Aix, on lit ces mots : « Il est probable que cet officier (le capitaine Philibert) avait reçu des instructions directes de Fouché, qui déjà trahissait ouvertement et voulait me livrer aux Bourbons... » Montholon, Récits de la captivité, tome Ier, p. 100.

le voyaient passer, ils lui criaient: A l'armée de la Loire!

Ayant ainsi hésité entre toutes les offres qui lui étaient faites, Napoléon se décida à écrire la lettre suivante :

Au prince régent d'Angleterre.

Rochefort, 13 juillet 1815.

• Altesse Royale, en butte aux factions qui divisent mon pays et à l'inimitié des grandes puissances de l'Europe, j'ai consommé ma carrière politique, et je viens, comme Thémistocle, m'asseoir au foyer du peuple britannique; je me mets sous la protection de ses lois, que je réclame de votre Altesse Royale comme du plus puissant, du plus constant et du plus généreux de mes ennemis. » NAPOLÉON.

Le général Gourgaud fut chargé de porter cette lettre en Angleterre, et le comte de Las Cases d'en remettre une copie au capitaine Maitland, du Bellerophon. Le capitaine Maitland prit sur lui de recevoir Napoléon à son bord.

Le 15 juillet, Napoléon traversait une foule accourue pour le voir une dernière fois et qui éclatait en sanglots; il quittait l'île d'Aix sur le brick l'Épervier, le seul bâtiment français qui eût conservé le drapeau aux trois couleurs, et il montait à bord du Bellerophon, qui bientôt après levait l'ancre et faisait voile vers l'Angleterre.

Aux fles d'Ouessant, dans la rade de Torbay, où le Bellerophon s'arrêta le 24 juillet, on apprit que Gourgaud, porteur de la lettre au prince régent, y avait été retenu, et que la lettre seule avait continué sa route entre les mains d'un messager anglais; le capitaine Maitland recevait en même temps l'ordre de se rendre à Plymouth.

A Plymouth, où l'on jeta l'ancre le 26, le Bellerophon se vit entouré de canots armés qui l'attendaient. Toute communication avec la terre lui était interdite.

En recevant la lettre au prince régent, le gouvernement anglais n'avait ressenti qu'un embarras, et c'était de choisir entre les diverses manières qui s'offraient à lui d'abuser de la confiance de l'Empereur dans la générosité de la Grande-Bretagne. Le conseil privé fut convoqué, et ce conseil, se référant à la déclaration de Vienne du 13 mars 1815 qui mettait Napoléon hors la loi et hors l'humanité, eut beaucoup de peine à se décider entre les propositions suivantes qui furent soumises à ses délibérations : Une prison dans le château de Durbanton, une prison dans la tour de Londres; la remise de Napoléon à Louis XVIII pour être procédé à un arrêt criminel, à une exécution capitale; la déportation à Sainte-Hélène. L'opposition énergique du comte de Sussex fit seule écarter, dit-on, les résolu tions les plus barbares (1). Ce fut la déportation à Sainte-Hélène qui prévalut.

La justice de l'histoire veut que l'on ne rende

(1) Montholon, tome 1er, p. 103.

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