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DEUXIÈME PARTIE

LES RELATIONS INTERNATIONALES

L

CHAPITRE PREMIER

LES REPRÉSENTANTS DES ÉTATS
ET LA DIPLOMATIE

I. Les représentants des États.

Es États ne vivent pas dans l'isolement, parce que les nations qu'ils dominent entretiennent entre elles des rapports de

toutes sortes, d'ordre intellectuel, moral ou matériel, et que les États obligés de régler ces rapports ne peuvent le faire sans entrer en contact les uns avec les autres.

« Par cela même qu'elles se connaissent et communiquent entre elles, observent à juste titre Fünck-Brentano et Sorel, les nations exercent réciproquement une influence les unes sur les autres; elles ne peuvent s'y soustraire et leurs rapports de dépendance mutuelle s'accroissent dans la même proportion que leurs relations se multiplient. » L'État, au contraire « a son rôle et ses attributions, dans la mesure desquels il est libre d'agir comme il lui convient, car au-dessus de lui il n'existe pas d'autorité supérieure à la sienne. A ce titre, l'État se considère et est forcément considéré comme indépendant à l'égard des autres États.

« La Nation ou les nations qui composent l'État ne peuvent pas se soustraire à l'influence des autres nations avec lesquelles elles ont des rapports; au contraire, l'État demeure toujours libre de tenir ou de ne pas tenir compte de la conduite des autres États. Ainsi, à l'époque de la Révolution française, les peuples d'Allemagne furent, sans l'avoir cherché et sans l'avoir voulu, atteints par le contre-coup de cette révolution; il ne dépendit pas d'eux d'en recevoir ou d'en éviter l'influence; mais les États allemands furent parfaitement libres de combattre la Révolution, d'y demeurer indifférents ou d'en seconder le développement. C'est en ce sens

que les nations sont dépendantes et que les États sont indépendants les uns des autres 1. >>>

C'est la même idée que l'on exprime souvent en parlant de l'interdépendance des États. Cette expression a toutefois l'inconvénient d'être, en apparence tout au moins, contradictoire à l'indépendance des États; elle risque, en voilant en quelque sorte, cette indépendance qui est une des bases du droit des gens, d'amener la confusion dans les esprits ou de battre en brèche le principe d'indépendance pour le subordonner à l'action, à la volonté si ce n'est à l'autorité collective des États. La formule de Fünck-Bruntano et Sorel met plus en évidence et mieux en relief les réalités. Les États sont indépendants parce qu'ils sont souverains, c'est-à-dire parce qu'ils ne connaissent et ne reconnaissent, sur terre, aucune autorité supérieure à la leur. Ils règlent, avec indépendance et dans leur indépendance, les problèmes souvent complexes qui surgissent de la dépendance des nations, particulièrement au point de vue économique. Ils usent de leur souveraineté pour se lier comme les particuliers usent de leur liberté pour contracter. Ils sont maîtres de leurs décisions comme les particuliers qui contractent sont maîtres des leurs. Mais ces décisions subissent nécessairement l'influence des intérêts, des idées, des passions qui agitent les nations dont il s'agit de régler les rapports, en servant les intérêts communs et en conciliant les intérêts contraires.

Les États, personnes morales en qui se concentre l'autorité chargée de pourvoir au gouvernement et aux rapports mutuels des nations, ne peuvent agir que par l'intermédiaire de représentants. C'est une des infirmités de la souveraineté du peuple et du système démocratique de ne pouvoir être pratiqués sans contredire aux principes dont ils s'inspirent. Le gouvernement direct du peuple par le peuple est une impossibilité matérielle, et, par suite, une formule vide de sens. Toute collectivité, pour peu qu'elle ne soit pas réduite à un nombre infime de membres, a besoin, pour traiter ses affaires, d'en remettre le soin à des mandataires ou représentants.

Les représentants naturels et habituels des États sont les chefs d'État, monarques héréditaires ou présidents élus. Parfois, bien que rarement, les États sont représentés par des collèges ou conseils composés de plusieurs personnes. Ce fut le cas, en France, sous la constitution révolutionnaire de l'an III, qui confiait le pouvoir exécutif à un Directoire exécutif de cinq membres, choisis par le Conseil des Anciens, sur une liste de candidats dix fois plus nombreux que ne devaient être les élus, présentée par le Conseil des Cinq-Cents. Le Directoire exécutif était chargé de représenter

1. Précis du droit des gens, p. 13-15.

la République française dans les relations extérieures. Seul, il pouvait << entretenir des relations politiques au dehors, conduire les négociations... signer ou faire signer avec les Puissances étrangères les traités de paix, d'alliance, de trêve, de neutralité, de commerce et autres conventions qu'il jugerait nécessaires au bien de l'État 1. » C'est le cas de la Confédération helvétique, où, aux termes de l'article 102, paragraphe 8 de la Constitution de 1874, le Conseil fédéral composé de sept membres élus pour trois ans par l'assemblée fédérale (Conseil national et Conseil des États réunis) — « veille aux intérêts de la Confédération au dehors, notamment à l'observation de ses rapports internationaux et il est, en général, chargé des relations extérieures 2. »

Il appartient à la Constitution de chaque État de déterminer l'autorité qui a mission de représenter l'État vis-à-vis des Puissances étrangères. La loi constitutionnelle française du 16 juillet 1875 attribue cette mission au Président de la République, élu pour sept ans par l'Assemblée nationale formée de la réunion du Sénat et de la Chambre des Députés.

Le chef de l'État ou le Conseil exécutif chargé de représenter l'État dans les relations extérieures a besoin d'être assisté et secondé dans cette mission importante, compliquée et fort lourde.

Le chef de l'Etat, souverain héréditaire ou président élu, est généralement aidé, dans cette tâche, par un chancelier ou par un premier ministre ou par un secrétaire d'État ou ministre des Affaires étrangères qui dirige les relations extérieures et par les agents diplomatiques envoyés auprès des Puissances étrangères en mission soit permanente et générale, soit temporaire et spéciale.

Selon les constitutions et parfois selon les dispositions personnelles des chefs d'État, la direction effective des relations extérieures et de la diplomatie est assumée par le chef d'État lui-même ou par le chancelier ou premier ministre ou par le ministre des Affaires étrangères.

En France, le ministère des Affaires étrangères ou des Relations extérieures a été institué sous le règne de Henri III, en 1589. Louis de Revol en a été le premier titulaire, depuis le 1er janvier 1589 jusqu'au 28 septembre 1594, date de sa mort. Richelieu n'a occupé que pendant un laps de temps très bref, du 30 novembre 1616 au 24 avril 1617, la charge de ministre des Affaires étrangères, mais il a dirigé longtemps, de 1624 à 1642, la politique extérieure de la France en qualité de premier ministre. Louis XIV, après la mort de Mazarin, dirigea lui-même la politique extérieure avec le con

1. Art. 329 et 331, Léon Duguit et Henry Monnier, Les constitutions et les principales lois politiques de la France depuis 1789, p. 114.

2. Hilty, Les constitutions fédérales de la Confédération suisse, p. 470.

I.

1924.

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cours successif de quatre ministres seulement: Hugues de Lionne, de 1663 à 1671; le marquis de Pomponne, de 1671 à 1679; le marquis de Croissy de 1679 à 1696; le marquis de Torcy, de 1696 à 1715.

Le comte de Vergennes, qui fut l'un des plus grands ministres des Affaires étrangères de France, dirigea le ministère de 1774 à 1787, c'est-à-dire jusqu'à sa mort. Charles-Maurice de TalleyrandPérigord fut ministre des relations extérieures à quatre reprises différentes sous le Directoire, du 13 juillet 1797 au 13 juillet 1799; sous le Consulat et l'Empire, du 21 novembre 1799 au 17 juin 1807, sous la Restauration dont il était l'auteur, du 13 mai 1814 au 10 septembre 1814 et du 8 juillet au 23 septembre 1815. Depuis 1870, le ministre des Affaires étrangères de France a changé plus de quarante fois de titulaire 1, et, depuis 1914, plus de dix fois. Cette instabilité est une fâcheuse conséquence du régime parlementaire tel qu'il est pratiqué en France; elle semble s'aggraver à mesure que ce régime devient plus démocratique; le fait peut être actuellement relevé dans des pays qui avaient longtemps échappé à ce mal. Cette instabilité n'est pas une condition favorable à la bonne direction de la politique extérieure qui exige l'esprit de suite en même temps qu'une connaissance approfondie des hommes ainsi que des traditions et des tendances politiques des États étrangers. Le culte de l'incompétence, fruit naturel du régime démocratique lequel repose sur l'hypothèse chimérique de l'omniscience politique des électeurs et de leurs élus, appelle souvent à la direction de la politique extérieure des hommes dépourvus des connaissances nécessaires à l'accomplissement de leur tâche et l'instabilité ministérielle met souvent fin à leur rôle avant même que le médiocre apprentissage d'une courte expérience ait pu suppléer, en quelque mesure, à l'insuffisance de leur préparation antérieure. Ce mal est assurément une des causes qui aggravent le désaccord, l'incohérence et les contradictions de la politique contemporaine et qui multiplient les difficultés du retour à une harmonie durable dans les relations internationales.

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Le ministre des Affaires étrangères est secondé dans sa tâche et a besoin de l'être d'une part par les services d'une administration centrale où doivent être concentrées toutes les informations intéressant la politique extérieure et préparées et coordonnées toutes les solutions, décisions et communications concernant les rapports de l'État avec les Puissances étrangères, d'autre part, par les agents diplomatiques chargés de missions diverses à l'étranger.

Les agents diplomatiques se divisent et subdivisent en diverses catégories. La distinction la plus importante est celle qui doit être

1. Voir Annuaire diplomatique et consulaire de la République française pour 1914, p. 413 et suiv.

faite entre les chefs de mission, d'une part, leurs adjoints et collaborateurs, d'autre part.

Les chefs de mission portent les titres divers d'ambassadeurs, légats ou nonces, envoyés extraordinaires et ministres plénipotentiaires ou internonces, de ministres résidents et de chargés d'affaires.

Les chefs de mission des trois premières classes sont accrédités par le chef de l'État qui les envoie auprès du chef de l'État qui les reçoit.

Aux termes de règlement de Vienne du 10 mars 1815 : « les ambassadeurs, légats ou nonces ont seuls le caractère représentatif. » Cette formule qui a perdu beaucoup de sa signification originaire par suite des changements survenus dans la constitution politique des États risque actuellement d'induire en erreur. Elle n'a jamais voulu dire que les chefs de mission de la première classe représentent seuls l'État qui les envoie, mais qu'ils représentent seuls, en même temps que l'État, la personne même du souverain qui les choisit, ce qui leur vaut quelques privilèges spéciaux d'ordre purement honorifique et de plus en plus délaissés, tels que le droit d'avoir un carrosse à six chevaux et de se couvrir en présence du chef d'État qui les reçoit. Les envoyés extraordinaires et ministres plénipotentiaires chargés de représenter de façon permanente l'État qui les accrédite, méritent fort peu le titre qui leur est attribué, car ce sont des envoyés ordinaires, chargés d'entretenir des relations normales, et, en dépit de leur qualification de plénipotentiaires, ils ont besoin de pleins pouvoirs spéciaux pour signer des conventions avec l'État auprès duquel ils sont accrédités.

Les ministres résidents ont été introduits par un protocole du congrès d'Aix-la-Chapelle, du 21 novembre 1918, entre la seconde classe qui comprend les ministres plénipotentiaires et internonces et la quatrième qui se compose de chargés d'affaires.

Ministres plénipotentiaires et ministres résidents sont les chefs de légation des États qui, pour diverses raisons — notamment de modestie et d'économie jugent préférable de ne point confier à leurs chefs de mission rang et titre d'ambassadeurs.

Les chargés d'affaires sont de deux espèces : les uns sont chefs de mission permanents d'États très modestes qui estiment trop lourd le titre de ministre résident; les autres ne sont qu'accidentellement et temporairement chefs de mission par intérim, en l'absence du chef de mission permanent, qu'ils suppléent. Les uns et les autres sont accrédités non de chef d'État à chef d'État mais de ministre des Affaires étrangères à ministre des Affaires étrangères. Par suite, ils n'ont pas droit d'audience auprès du chef de l'État.

Les adjoints et collaborateurs des chefs de mission sont divisés en plusieurs catégories et portent généralement les titres de conseillers, de secrétaires ou d'attachés d'ambassade ou de légation.

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