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table attachement aux principes religieux de leurs ancêtres.

Les institutions que les richesses et le luxe amenent à leur suite, et qui tendent à polir et à corrompre les peuples, n'ont point été introduites dans la Nouvelle-Angleterre sans une vigoureuse opposition. Long-temps les Bostoniens soupirerent après un théâtre, sans oser enfreindre une ancienne loi qui défendait les divertissements profanes. Ce ne fut que par degrés qu'ils parvinrent à élever la salle de spectacle qu'on voit maintenant dans la rue Fédérale. D'abord ils se contenterent d'éluder la loi. Un acteur Anglais, nommé Powell, s'établit dans un bâtiment assez vaste, situé au bout d'une allée obscure, Board Alley, qui communique à l'une des extrémités de la place Franklin, et donna au public des monologues qu'on peut comparer à ces pieces de la foire, où un seul personnage remplissait la scene. Les monologues de Powell, sous le nom de lectures, attirerent la foule. Bientôt enhardi par les suffrages du public et l'espoir de l'impunité, il fit venir des acteurs, et joua, sans décoration, les pieces les plus estimées en Angle terre. Ce fut alors une ivresse générale. On voulut à toute force un théâtre régulier, et l'on s'adressa, pour cet effet, au corps législatif. La lutte entre les innovateurs et les partisans des anciens usages fut longue et violente. Les derniers succomberent enfin, et le théâtre de la rue Fédérale fut construit sans opposition. Il serait difficile d'imaginer avec quel empressement ou plutôt avec quelle fureur les Bostoniens se porterent aux premieres représentations. L'enthousiasme devint général. Tons les acteurs, depuis les rois jusqu'aux plus humbles confidents, étaient reçus au bruit des applaudissements les plus vifs. Ce fut alors vraiment l'âge

d'or du théâtre Anglo-Américain. L'enthou siasme cessa avec la nouveauté. Cependant l'habitude des spectacles est devenue un besoin, et Boston entretient, pendant huit mois de l'année, une troupe qui joue la comédie, la tragédie et l'opéra,

Les Américains n'ont point de théâtre national. On représente devant eux des poëmes dramatiques composés dans un autre pays, pour d'autres hommes. Ils ne retrouvent dans ces drames ni la peinture des mœurs américaines, ni les opinions et les sentiments qu'il leur conviendrait de répandre et d'accréditer pour maintenir leur police et leur constitution. Ils y puisent des idées et des maximes contraires à l'état de leur société, et se moulent insensiblement sur les modeles qu'on leur présente. C'est ainsi que les vices et les manieres de Londres se trouvent transplantés dans les Etats-Unis, et que les Américains restent encore, par le fait, sous l'influence de leur ancienne métropole.

Les acteurs, actrices et autres objets scéniques forment un article considérable dans la balance du commerce entre l'Angleterre et les Etats-Unis. Il arrive chaque année de nombreuses cargaisons de comédiens attirés par l'espérance de faire fortune. Ils n'apportent trop souvent avec eux, pour toute propriété, que l'habitude de l'intempérance et des mauvaises mœurs. Cependant ils sont reçus à bras ouverts et admirés par les jeunes citoyens qui copient servilement leurs manieres, s'imaginant par-là mériter la réputation de personnes distinguées et de gens du bon ton.

J'ai vu peu de bons acteurs en Amérique : les seuls qui méritent d'être cités sont MM. Hodgkinson, Chalmers et Cooper. Ce dernier a été, depuis peu, rappelé à Londres, où il a débuté

avec éclat dans le rôle de Lothario, principal personnage d'une tragédie de Rowe, intitulée: Calista, or the Fair Penitent. Mesdames Whitlock et Johnson tiennent le premier rang parmi les actrices les plus distinguées. La premiere appartient à la célebre famille Kemble. Elle a plusieurs traits de ressemblance avec sa sœur, Madame Siddons, et jouit, dans ce pays-ci, d'une considération qu'elle mérite par ses talents et son

amabilité.

Un comédien Anglais ne s'attache point à exceller dans une seule partie de son art. Il embrasse tous les rôles, depuis les rois jusqu'aux bouffons; il est surtout ambitieux d'acquérir la réputation d'acteur universel, a general actor. Il arrivait souvent à Garrick de représenter, dans la même soirée, un personnage héroïque et un rôle du plus bas comique. Cette prétention empêche un acteur de se perfectionner dans aucun genre, et le retient toute sa vie au-dessous de la médiocrité. Le célebre Garrick ne peut être cité que comme exception.

Les pieces anglaises ne sauraient plaire à une personne accoutumée aux bienséances d'un théâtre régulier. Les Anglais n'ont pas un seul auteur comique qu'ils puissent opposer, je ne dirai pas à Moliere, la comparaison serait un blaspheme; mais pas même à nos poëtes dramatiques du troisieme ordre. Leurs comédies sont presque toutes remplies d'incidents romanesques et d'une double intrigue qui divise l'attention et fatigue l'esprit du spectateur. Il faut que l'écrivain couvre sa palette de couleurs tranchantes, et se fasse une étude d'outrer la nature. Cibber, qui traduisit ou plutôt imita le Tartuffe dans la comédie du Non Juror, trouvait de la faiblesse dans le caractere de l'Imposteur; et Fielding fut obligé, pour satisfaire le public, de charger les VOL. XXIV.

B

traits de l'Avare. Les pieces de Congreve ne sont que des dialogues où l'esprit de l'auteur est toujours en débauche, où chaque idée se présente sous une forme épigrammatique; du reste, dépourvues d'intérêt et de vraisemblance. The School for Scandal, l'Ecole de la Médisance, ouvrage de M. Sheridan, membre du parlement, est regardée comme le chef-d'œuvre du Théâtre Anglais. Cette comédie étincelle d'esprit, et ne manque ni d'intérêt ni de naturel; mais les bienséances n'y sont pas assez respectées. La scene dans le sujet de laquelle l'auteur a puisé le titre de sa piece, n'est que l'imitation d'une scene du Misantrope. C'est en comparant ces deux morceaux qu'on peut juger de l'immense supériorité de l'auteur français. Dans la comédie anglaise, la scene de la Médisance est un véritable horsd'œuvre, et n'a aucun rapport avec le fonds de la piece; dans le Misantrope, au contraire, cette même scene fait ressortir les principaux caracteres, surtout celui de la Coquette, qu'il était nécessaire de bien développer, afin de rendre la catastrophe plus naturelle et plus vraisemblable. Les Anglais instruits avouent, non sans répugnance, que tous les efforts de leurs poëtes comiques, pour approcher de la perfection des poëtes français, ont été infructueux; mais ils prétendent l'emporter dans la tragédie, et ils opposent Shakespeare à Corneille et à Racine avec une assurance qu'on peut, sans injustice, taxer de présomption *.

Ce qui me porte à croire que les Anglais sont de mauvaise foi sur ce point, c'est que dans toutes leurs dissertations sur la tragédie anglaise et française, ils ne manquent jamais de s'emporter en injures contre leurs rivaux. Ce n'est pas ainsi que s'expriment le goût et la raison.

Les Américains, instruits dès l'enfance à regarder les préjugés littéraires de leurs anciens maîtres comme des principes qu'il n'est plus permis de mettre en discussion, croient fermement que Shakespeare est le plus grand génie qui ait jamais existé. Ce poëte est devenu pour eux une espece de divinité domestique dont il est dangereux de censurer le culte et d'attaquer les autels. Cet aveugle enthousiasme empêche les meilleurs esprits d'apercevoir les nombreux défauts qui défigurent ses pieces les plus vantées. C'est en vain qu'un étranger reconnaîtra que Shakespeare était doué d'un talent supérieur, et que ses ouvrages sont semés de beautés sublimes qui lui assurent un rang distingué parmi les grands écrivains. Cela ne suffit pas. Il faut, pour contenter ses adorateurs, convenir avec eux qu'il surpasse tous les poëtes anciens et modernes. Cette admiration exclusive, cette monstrueuse idolâtrie a corrompu le goût des Anglais, et par contre-coup celui des Américains. Les littérateurs de ces deux nations considerent les trois unités et les lois de la vraisemblance dramatique comme des entraves ridicules qui n'ont servi qu'à reculer les progrès de l'art et à retenir les élans du génie. Il n'est donc pas étonnant que Londres et Philadelphie aient reçu avec transport les drames lamentables de Kotzebue, productions informes que réprouvent également le goût, la décence et les mœurs.

Je ne partage point l'opinion de certaines personnes qui, n'ayant qu'une légere connaissance de la littérature Britannique, affirment dogmatiquement que les Anglais ne savent pas faire un livre. J'ai souvent entendu des litté rateurs français, d'ailleurs estimables, avancer cette étrange assertion qui ne mérite pas

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