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* Harvard College Library.

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No. CCVIII.-Le 10 Janvier, 1809,

VOYAGE EN AMÉRIQUE.

Correspondance inédite d'un Français qui a résidé dans les Etats-Unis depuis l'Année 1795 jusqu'en 1803.

LETTRE V.

Mœurs des Américains.-Théâtres.

Mon cher ami,

Le jour du Dimanche, que les Anglais nom ment Sabbath day, était autrefois, en Amérique, un véritable jour de repos. Non-seulement tous les travaux serviles cessaient, mais il était défendu de se livrer dans le cours de cette journée à aucune espece d'amusement profane, et même de voyager sans une permission expresse du magistrat. Les médecins et chirurgiens étaient seuls dispensés d'assister à l'office divin. Il n'y a pas encore long

temps que certains officiers d'église, church-wardens, parcouraient, le Dimanche, les rues de Boston, une longue baguette blanche à la main, et forçaient les promeneurs oisifs de se rendre à leurs congrégations respectives. Cette coutume est encore en vigueur dans l'état de Connecticut. Le parti opposé au gouvernement a souvent fait un crime à M. Jefferson de s'être mis en voyage pendant le jour du Seigneur. On concluait de-là qu'il était dans son cœur ennemi déclaré de la religion chrétienne et de son pays.

Il ne faut pas croire que ces rigoristes qui jugent leur premier magistrat avec tant de sévérité, menent une conduite plus exemplaire. Il est bien vrai qu'on ne travaille pas encore le Dimanche; mais on se livre à toutes sortes d'amusements, et l'on peut se promener toute la journée sans craindre la censure ou l'arrestation. C'est le jour consacré au plaisir, aux parties de campagne, et trop souvent à la débauche. toujours à l'église; mais on n'apporte plus la même attention aux cérémonies religieuses, on n'attache plus le même intérêt aux discussions théologiques; et les ministres de toutes les sectes qui disputent le terrein pas à pas, ne cessent de crier au scandale, au relâchement des mœurs. Bientôt ils crieront dans le désert.

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On va

L'indifférence pour la religion commence à gagner jusqu'aux femmes. Il existe un certain nombre d'Américaines que les partisans des anciens principes sont convenus de vouer à l'indignation publique, sous le nom de* unsered fe

*

Shakespeare est, si je ne me trompe, le créateur de cette expression hardie. Je trouve dans un monologue de Lady Macbeth, le passage suivant :

Come you spirits

That tend on mortal thoughts, unsex me here
And fill me from the crown to the toe, top full

Of direst cruelty.

Macbeth, Scene l*.*

males, femmes qui ne conservent de leur sexe que le nom. On les accuse d'avoir choisi pour modele une certaine anglaise connue autrefois sous le nom de Mary Wolstoncraft, morte, il y a peu d'années, épouse du célebre romancier W. Goodwin. Cette Dame publia, au commencement de la révoulution française, un ouvrage sur les Droits des Femmes, expressément destinéà réveiller son sexe depuis trop long-temps enseveli dans une honteuse léthargie, et à l'exciter à faire un digne usage de son énergie naturelle.

Madame Goodwin avance hardiment que les femmes ne sont point inférieures aux hommes, excepté peut-être en fait de vigueur musculaire, infériorité qu'elle attribue à un mauvais genre d'éducation. Elle veut qu'une femme ne considere son époux que comme un objet secondaire, et dirige toutes ses pensées vers la perfection de sa raison. Elle prétend qu'il est juste que la mesure de cette perfection détermine en quelles mains doivent être remises les rênes du pouvoir domestique, sans égard au sexe et à la force du corps. La sensibilité, la pudeur, les raffinements de la tendresse n'ont été, suivant elle, introduits par les hommes que pour rendre les jouissances sensuelles plus voluptueuses, pour dégrader la femme et maintenir une odieuse usurpation.

Ces idées flatteuses pour le beau sexe, ont été importées et reçues en Amérique avec avidité. Il existe à Salem, ville très-commerçante et peu éloignée de Boston, une dame qui tient école d'énergie et de perfectibilité. Elle instruit ses éleves à soumettre tout à l'analyse et à la raison. Au lieu de manier l'aiguille, le pinceau, la navette, ces fieres Américaines apprennent à sauter, à dresser un cheval, à conduire un phaëton, et à bien asséner un coup de poing. On les voit au milieu de l'hiver s'élancer hardiment sur la

glace et défier au combat les plus intrépides patineurs. Enfin elles se livrent à tous les exercices qu'on avait crus jusqu'ici incompatibles avec la délicatesse féminine. Elles affectent de regarder tous les hommes comme des tyrans qui tiennent leur sexe dans le plus honteux esclavage,

Ces dames cherchent à s'affranchir de tous les misérables préjugés de l'enfance, et tournent en ridicule la religion et ses ministres. Ceux-ci, à leur tour, les dénoncent à l'opinion comme des êtres dénaturés, des especes de monstres qu'on devrait se hâter d'étouffer. Ils tonnent contre elles dans les journaux, dans les chaires, dans les places publiques, et il n'est sorte d'injures dont ils n'aient accablé l'apôtre de la secte Mary Wolstoncraft. Je suis loin d'approuver cet excès de zele; mais j'avoue que ma raison n'est pas enassez perfectionnée pour apercevoir les bons effets de ces nouveaux principes, et je serais fâché d'avoir une femine ou une fille qui ressemblât à ces modernes amazones.

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Comme elles se réunissent par bandes, soit pour se promener, soit pour vaquer à leurs exercices favoris, on les désigne sous le nom de Musketo Fleet, escadron de Moustiques. Le moustique est un insecte volant très-importun, dont les piqûres sont extrémement vives. Vous pouvez juger de la justesse de l'application.

Cette nouvelle espece d'éducation n'a point encore franchi l'enceinte des villes; et je vous prie d'observer une fois pour toutes qu'il existe dans la Nouvelle-Angleterre deux peuples, de mœurs et d'habitudes essentiellement différentes. Les habitants des villes sont déjà presqu'aussi corrompus que les Européens; mais on trouve encore chez les fermiers américains des mœurs pures, de l'économie, de la frugalité et un véri

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