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de Colmar. En 1791, décède à Sasspach, dans le grandduché de Bade, un baron de Gerardy; la demande en partage des immeubles que le défunt possédait en France est portée devant le tribunal de Schelestadt, lieu de leur situation. L'un des héritiers décline la juridiction et demande le renvoi devant la justice de Sasspach, lieu de l'ouverture de la succession; il invoque l'article 59 du code de procédure, aux termes duquel les demandes à fin de partage des biens d'une succession doivent être introduites devant le tribunal du lieu où la succession s'est ouverte. Le tribunal de première instance écarta le déclinatoire, en se fondant sur l'article 3 du code Napoléon ; la loi française devant seule régir la succession des biens situés en France, il en faut induire que les tribunaux français sont seuls compétents pour connaître des demandes en partage, la succession devant être censée ouverte en France. Appelé devant la cour de Colmar, l'intimé invoque l'autorité de Dumoulin qui répute réel tout statut concernant des immeubles. La cour décida que l'article 3 du code civil soumettant les immeubles situés en France, même ceux possédés par des étrangers, à la législation française, soumet, par une conséquence nécessaire, ces mêmes immeubles à la juridiction française, le droit de juridiction étant, comme celui de législation, une émanation de la souveraineté, et l'un embrassant comme l'autre toute l'étendue du territoire (1). La décision est juste, mais elle ne concerne pas la question de principe que je viens d'examiner. Il s'agissait, dans l'espèce, d'une action portée en justice et de la compétence du tribunal appelé à connaître du partage : le partage n'était donc pas conventionnel, il était judiciaire; dès lors la volonté des parties était hors de cause, la juridiction ainsi que la procédure dépendant du droit public, donc du statut réel. La cour pouvait, dans l'espèce, invoquer l'article 3, tel qu'il a été expliqué par Portalis : la souveraineté était engagée dans le débat, partant le statut devenait réel. Mais de là ne suit pas, comme la cour semble le supposer, que le

(1) Colmar, 12 août 1817 (Sirey, Nouveau Recueil, t. V, p. 316).

statut est réel dès que le débat porte sur un immeuble. Quand les héritiers partagent de gré à gré une succession purement immobilière, leur convention ne dépend certes pas de la loi du lieu où les immeubles sont situés, puisque eux-mêmes font cette loi, et l'autonomie n'a jamais été qualifiée de réelle. Cela prouve qu'il ne faut pas prendre au pied de la lettre les décisions judiciaires qui invoquent, en cette matière, l'article 3 du code civil: tout dépend de l'objet du débat.

On cite encore un arrêt de la cour de cassation également absolu, à considérer les termes de la décision. Sur une action en partage d'une succession ouverte à la Jamaïque, la cour d'Orléans décida que la demande était non recevable, bien que l'immeuble dont la demanderesse provoquait le partage fût situé en France. L'arrêt a été cassé. La cour se fonde toujours sur l'article 3, lequel, conforme aux anciens principes, soumet à la loi française les immeubles situés en France, même ceux possédés par un étranger. Cette disposition embrasse dans sa généralité tous les droits de propriété et autres droits réels qui sont réclamés sur ces immeubles. De là la cour conclut que l'action formée par la demanderesse, comme héritière de son père, à fin de partage ou de licitation du domaine litigieux, devait être jugée par la législation française seule, et sans influence des lois étrangères (1). Dans l'espèce, cela était vrai, puisqu'il s'agissait du droit réclamé par la demanderesse, laquelle soutenait que l'immeuble donné à sa sœur devait être rapporté par celle-ci, pour être partagé ou licité. Ce n'est pas le partage qui faisait l'objet du débat, c'est le droit que la demanderesse prétendait exercer sur l'immeuble. On était donc dans le texte et dans l'esprit de l'article 3, tel qu'il doit être interprété par la tradition. Mais de là il ne faut pas conclure que toute demande où il est question d'immeubles tombe sous l'application de l'article 3. Je suppose que, dans l'espèce, les parties eussent été d'accord sur la nature de la donation faite par un père à l'une de ses filles, et sur

(1) Cassation, 14 mars 1837 (Sirey, 1837, 1, 195).

l'obligation de la rapporter; elles auraient procédé, dans cette hypothèse, à un partage conventionnel. Puis des difficultés se seraient élevées sur ce partage: est-ce que, pour interpréter la convention, le premier juge aurait dú appliquer la loi de la situation des biens? Non certes, car le partage conventionnel dépend de la loi que les parties se font et non de la loi territoriale; donc la théorie des statuts eût été étrangère au débat.

20. Le partage n'est pas toujours conventionnel. Quand les héritiers sont présents et majeurs, ils peuvent faire le partage dans la forme et par tel acte qu'ils jugent convenable. Si tous les héritiers ne sont pas présents, ou s'il y a parmi eux des mineurs ou des interdits, le partage doit être fait en justice. Il en est de même si les héritiers, quoique majeurs et capables, ne s'entendent pas (C. Nap., art. 819, 838 et 823). Il y a donc un partage judiciaire; les formes en diffèrent selon qu'il est fait par des majeurs capables, ou que des incapables y sont intéressés. D'après le droit français, les formes du partage judiciaire sont les mêmes, dans tous les cas où il y a lieu à ce partage. La loi belge du 12 juin 1816 a dérogé sous ce rapport au code civil. Quand des mineurs ou des interdits sont intéressés dans un partage, il se fait par le ministère d'un notaire, par devant le juge de paix du canton où la succession s'est ouverte. Les mineurs non émancipés sont représentés par leur tuteur, et s'il y a opposition d'intéréts entre le tuteur et son pupille, par le subrogé tuteur. Si le mineur est émancipé, il doit être assisté de son curateur. La loi de 1816 ne parle que des mineurs et des interdits qui leur sont assimilés. Une décision du roi des Pays-Bas du 4 septembre 1816 a étendu le bénéfice de la loi de 1816 aux absents, ce qui comprend aussi les nonprésents. Il ne reste donc qu'un seul cas dans lequel on doit observer les formes du partage judiciaire, telles qu'elles sont déterminées par le code civil et le code de procédure civile, c'est le partage entre majeurs qui ne s'entendent pas; il y a procès, dans ce cas, et tout procès doit être porté devant les tribunaux.

Faut-il appliquer au partage judiciaire ce que j'ai dit

du partage conventionnel? La négative est certaine. Je viens de dire que le partage fait en justice est un procès; or, les formes de la procédure ne dépendent en rien de la volonté des parties intéressées; elles sont réglées par la loi qui les impose aux plaideurs; la procédure est une dépendance du droit public, et le droit public forme un statut réel, qui reçoit son application aux étrangers comme aux naturels du pays où le procès s'agite. Cela est décisif. Il n'y a plus à distinguer si le partage a pour objet des immeubles ou des meubles; c'est en vertu d'une autre disposition de l'article 3 que la procédure dépend du statut réel; elle forme une loi de police dans l'acception la plus large du mot, et abstraction faite de tout texte, le principe de la souveraineté suffirait pour décider la question, si question il y avait. La distribution de la justice se fait par un des grands pouvoirs, le pouvoir judiciaire, lequel agit en vertu d'une délégation de la nation souveraine; or la souveraineté est exclusive de son essence; on ne conçoit pas même qu'il y ait deux justices, l'une pour les étrangers, l'autre pour les citoyens. Il en était ainsi jadis, à une époque où la notion de l'Etat n'avait pas encore pris tout son développement; dans nos idées modernes, la souveraineté ne comporte plus de division. Portalis l'a dit en exposant les motifs de l'article 3, et quand la souveraineté est réellement en cause, cela est d'évidence.

21. En est-il de même du partage où figurent des incapables? Ce partage reste un partage judiciaire, quoique l'on n'observe plus les formalités longues et coûteuses de la législation française: il se fait devant un magistrat, le juge de paix représente la justice; c'est lui qui préside aux opérations; il a été jugé par la cour de Gand, et avec raison, que le notaire ainsi que tous ceux qui assistent au partage sont soumis à son autorité (1). La loi le charge spécialement de veiller à ce que les intérêts des mineurs. soient sauvegardés. Ceci répond à une objection que l'on pourrait faire. Les formalités prescrites à raison de l'incapacité des mineurs ou autres incapables dépendent de

(1) Gand, 9 décembre 1853 (Pasicrisie, 1854, 2, 36).

leur statut personnel, ou national. N'en faut-il pas dire autant des formalités du partage? Ce serait très mal raisonner. Quand il s'agit de faire des conventions où figurent des mineurs, il faut observer les formes que la loi prescrit pour protéger ceux qui ne peuvent se protéger eux-mêmes : telles sont l'autorisation du conseil de famille et l'homolo gation du tribunal. Dans les procès où les mineurs sont en cause, la justice a pour mission de protéger les incapables, comme elle protége tous ceux qui ont des droits à exercer; il n'y a point de formes spéciales prescrites à raison de leur incapacité. Or dans les partages qui se font devant le juge de paix, ce magistrat représente la justice; cela suffit pour la garantie des mineurs.

y

De là suit que si des mineurs français sont intéressés dans un partage qui se fait en Belgique, on observera à leur égard les formes de la loi de 1816. S'ils ont des copartageants belges, cela va sans dire, car ce serait une étrange idée que de suivre des formes différentes dans un seul et même acte juridique, pour les divers copartageants: s'il a une impossibilité juridique, c'est celle-là. Quand même tous les héritiers seraient Français, encore devrait-on procéder d'après la loi de 1816 s'il y avait des mineurs, parce que toute loi de procédure est territoriale. Par contre, les mineurs belges, intéressés dans un partage de biens situés en France, n'y jouiraient pas du bienfait de la loi de 1816 les juges de paix français n'auraient aucun droit de procéder à un partage qui, d'après le code civil, doit se faire devant le tribunal. Tout est d'ordre public dans la distribution de la justice, donc aussi dans le partage judiciaire. Seulement, si les héritiers sont majeurs, ils peuvent toujours remplacer les longues formalités du partage judiciaire par le partage conventionnel; puisqu'il dépend d'eux d'arrêter un procès et de faire le partage comme ils l'entendent. Il n'en est pas de même des incapables; les mineurs ne pourraient pas, ni les tuteurs pour eux, renoncer au partage judiciaire, quelque intérêt qu'ils eussent, si le partage se faisait en France, à remplacer les formes compliquées du code de procédure par des formes plus simples. L'ordre public et la souveraineté

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