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quise que le mari avait combiné à l'avance sa vengeance, et en avait préparé l'exécution. Il n'est pas besoin d'ajouter, d'après ce qui précède, que si le mari a cédé à des suggestions étrangères à l'adultère, s'il a voulu se servir de ce prétexte pour faire excuser un homicide commis par haine ou par cupidité, l'excuse cesse d'être applicable. Aussi est-il nécessaire de constater avec soin si l'adultère n'a pas été un piége pour couvrir un autre crime, et cette vérification 'doit surtout être faite lorsqu'un seul des coupables a été tué. C'est par ce motif que la loi romaine n'appliquait l'excuse qu'en cas de double meurtre de la femme et du complice: Non interest adulteram filiam priùs pater occiderit an non, dùm utrumque occidat; nam si alteram occidit, lege Corneliâ reus erit 1.

1313. L'excuse est-elle admissible lorsque le mari a employé l'aide d'un tiers à l'exécution de l'homicide? Les anciens jurisconsultes regardaient ce concours comme légitime; ils admettaient qu'un mari faible et valétudinaire pût invoquer les secours étrangers pour instruments de sa vengeance; les motifs de cette décision étaient qu'il est permis de faire par autrui ce qu'on peut faire par soi-même : Quod est licitum in personâ mandantis est etiam licitum in personâ mandatarii 2. Elle s'appuyait d'ailleurs sur la loi romaine, qui étendait jusqu'aux fils qui avaient porté secours à leur père le bénéfice de l'excuse filiis ejus qui patri paruerunt præstandum est 3. Cependant l'empire de cette loi, qualifiée avec raison, par quelques auteurs, de cruelle et d'un détestable exemple, crudelis atque nefandi exempli 4, était contesté dans l'ancien droit. Nous ne pensons ‚pas qu'elle pût être invoquée aujourd'hui. L'excuse tirée de l'adultère de la femme est essentiellement personnelle au mari; seul il a ressenti la blessure, seul il a le droit d'invoquer la juste indignation qui a motivé sa vengeance. Si ses forces l'ont trahi et qu'il ait cher

1 L. 32, Dig. ad leg. Jul. de adult.

2 Farin., quæst. 121, num. 83.

3 L. 4, C. ad leg. Jul. de adulteriis.

Covarruvias, de matrimonio, § 7, num. 6.

ché des secours, il est excusable encore, non pas à raison de la règle du droit civil citée par les jurisconsultes, mais parce que cette convocation ne change pas la nature de son action, parce qu'il agit sous la même impulsion et dans le même mouvement, parce que ces personnes qu'il appelle au moment du flagrant délit et pour l'aider au châtiment sont pour lui des instruments, des armes destinées à l'accomplir. Mais l'excuse ne peut s'étendre au delà de lui-même; ses complices, s'il en a trouvé, sont responsables de leur assistance, d'après les principes du droit commun; car l'excuse ne modifie pas le crime, elle ne fait qu'atténuer la culpabilité de l'auteur principal 1. Seulement on doit, dans ce cas, examiner si ces complices faisaient partie de la famille de l'époux, s'ils étaient placés sous sa domination, en un mot s'ils ont agi librement ou sous l'empire d'une contrainte morale.

1314. La seconde condition constitutive de l'excuse est que le mari ait surpris l'adultère dans la maison conjugale.

La loi romaine exigeait également cette condition pour admettre la justification du père; il fallait que l'adultère eût été surpris dans sa propre maison ou dans celle de son gendre 2. La raison de cette restriction était que l'injure devenait plus grave lorsque la femme avait osé introduire l'adultère jusque dans la maison de son père ou de son époux Quare ubicumque deprehenderit pater, permittitur ei occidere, sed domi suæ generive sui tantùm ; illa ratio redditur quod majorem injuriam putavit legislator quod in domum patris aut mariti ausa fuerit filia adulterum inducere 3.

Cette disposition a passé dans notre droit. Ce n'est que dans la maison conjugale que le mari est excusable de se livrer aux emportements de sa vengeance : la loi n'a voulu protéger que le domicile et en quelque sorte l'honneur du lit nuptial. Que faut-il entendre par la maison conjugale? La loi romaine la définissait en ces mots :

Voy. notre tom. 1er, no 222.

2 L. 22, 2, Dig. ad leg. Jul. de adult.

L. 22, 22, Dig. eodem tit.

Domus pro domicilio accipienda est 1, et la Glose enseignait que ces termes pro domicilio signifient pro habitatione 2. Nous pensons également que la maison conjugale est celle où réside le mari, in quâ habitat 3, celle qui forme la maison commune, in eâ domo in quâ cum suâ conjuge commanet, celle du moins où il peut contraindre sa femme d'habiter et où elle a le droit de résider; cette interprétation résulte de la combinaison de l'article 324 du code pénal avec l'article 339 du même code et les articles 108, 214 et 230 du code civil 5. Peu importe que la maison soit à la ville ou à la campagne, car le mari peut avoir une résidence momentanée dans ces deux endroits, et même dans deux villes différentes.

1315. La séparation de corps ne suffirait pas pour faire rejeter l'excuse, car le mari la puise dans les liens mêmes du mariage, que la séparation n'a pas dissous. Mais le but principal de cette séparation est de donner à la femme le droit d'avoir un domicile distinct, et le flagrant délit surpris à ce domicile n'excuserait pas l'homicide commis par le mari, car cette excuse ne le protége que dans la maison conjugale.

Le mari qui serait convaincu d'avoir entretenu une concubine dans la maison conjugale, serait-il recevable à proposer l'excuse. La loi est muette à cet égard; mais on doit décider, en consultant son esprit, que l'excuse n'est pas admissible dans ce cas. En effet, l'article 324 n'admet cette excuse que dans le cas d'adultère prévu par l'article 336; et l'article 336 déclare que le mari n'est pas recevable à dénoncer l'adultère de sa femme dans le cas où il est convaincu d'avoir entretenu une concubine dans la maison conjugale; ces deux dispositions se lient donc l'une à l'autre, elles supposent les mêmes règles; or, si le fait d'avoir entretenu une concubine dans la maison

1 L. 22, § 2, Dig. eodem tit.

Glossa in hac lege.

• Ibidem.

Nov. 117, cap. 9, 259.

* Voy. dans ce sens cass. civ. 21 déc. 1818 et 27 janv. 1819, Sirey 1819.

conjugale prive le mari de la faculté de dénoncer l'adultère pour le faire punir, comment deviendrait-il excusable de l'avoir puni luimême? La raison de décider est la même; son indignité repousse à la fois et l'action et l'exception.

1516. Nous ferons remarquer, en terminant, que l'article 324 ne paraît appliquer l'excuse qu'au mari: c'est sans doute un oubli de la part du législateur, car l'injure est aussi grave; et il y a de plus lâcheté de la part du mari qui ose introduire une concubine dans la maison conjugale, il insulte à la faiblesse de sa femme. Qu'on ne dise pas que les résultats de l'adultère sont bien différents dans les deux cas. Qu'importent les résultats, quant à la gravité de l'offense et à la culpabilité de l'agent? On ne voit que trop souvent un mari venger l'adultère parce qu'il offense son amour-propre, tandis que l'amour blessé de la femme peut seule la porter aux excès qui la rendraient coupable d'homicide 1.

Henrys, t. 4, § 762, donne pour raison de la différence de pénalité, que la femme est plus obligée d'aimer son mari que non pas le mari à aimer sa femme. Détestable motif, disent avec raison Camus et Bayard dans leur Répertoire. C'est bien le cas d'ajouter avec saint Grégoire de Nazianze : Non probo hanc legem; eam mares tulerunt, ideò feminas tantùm sequitur et incessit.

CHAPITRE LIII.

DE L'HOMICIDE LÉGAL ET DE L'HOMICIDE LÉGITIME.

(Commentaire des art. 327, 328 et 329 du C. pén.)

1317. L'ordre légal et la nécessité de la défense constituent deux causes de justification.

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1318. L'homicide n'est légal que lorsqu'il a été ordonné par la loi et commandé par l'autorité légitime.

1319. Divers exemples de l'homicide légal.

1320. Distinction des actes qui font partie de l'ordre donné et de ceux qui sont

en dehors.

1321. Responsabilité du supérienr dans le cas d'ordre donné à l'inférieur.

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1322. Fondements de la cause de justification résultant de la légitime défense. 1323. Dans quels termes ce droit a été consacré par la loi : texte de l'art. 328. 1324. La défense de soi-même ou d'autres s'étend-elle à la défense des biens? 1325. L'outrage fait à l'honneur suffit-il pour placer la personne en état de légitime défense?

1326. Le viol et la tentative de viol placent la victime en état de légitime défense. 1327. Il faut que la défense soit commandée par un péril actuel, et qu'elle agisse dans la proportion de la force de l'attaque.

1328. Quand l'attaque est repoussée, le droit de la défense expire.

1329. Si la personne attaquée est obligée à fuir, si cela lui est possible, et si sa ré

sistance lui fait perdre le bénéfice de l'excuse.

1330. Ce n'est pas le péril réel, mais le péril tel qu'il a paru à la personne attaquée, qui fait la légitimité de la défense.

1331. Il faut enfin que l'agression soit injuste.

1332. Appréciation du caractère juste ou injuste de l'agression.

1333. Il faut distinguer si elle menace la vie de la personne ou si elle ne constitue qu'un outrage.

1334. Le complice surpris par le mari en flagrant délit d'adultère se trouve-t-il en état de légitime défense contre lui?

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