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Vareddes étant en la compagnie. Le long du chemin, parlant de la réfutation de M. Simon, il nous a dit qu'il fallait y mettre la dernière main à son premier loisir, et finir quelques livres ou chapitres qui restaient à y ajouter. En effet, ce qui est au net fini, a un sens imparfait, mais la composition du reste est toute faite et écrite de la main de M. de Meaux, dans un portefeuille à part, de carton blanc, qui est à Meaux, dans sa grande armoire. » (LEDIEU, Journal.)

L'ouvrage ne vit le jour qu'en 1753, par les soins de l'abbé Leroy à qui l'évêque de Troyes avait remis le manuscrit. L'éditeur ne publia que douze livres, et on savait néanmoins qu'il en existait un treizième, comme le disent clairement d'Aguesseau et Bossuet luimême. Pourquoi ce livre a-t-il été supprimé? Nous l'ignorons. Il n'y a que deux conjectures à faire: ou Leroy ne l'a pas jugé digne de l'auteur, en quoi il ne s'est pas beaucoup trompé, ou l'évêque de Troyes avait égaré cette portion des manuscrits avec tant d'autres. Un des derniers évêques de Meaux 1 en fit l'acquisition et le donna à la bibliothèque du séminaire. C'est à l'aide de ce manuscrit que l'édition nouvelle a pu compléter le remarquable ouvrage de l'évêque de Meaux.

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CHAPITRE XII

Remarques sur Grotius

Grotius, né dans la Hollande en 1583, prit part aux troubles religieux qui agitèrent son pays et fut jeté en prison. Il se réfugia d'abord en France, puis en Suède où il devint conseiller de la reine Christine, et son ambassadeur près de Louis XIII. C'était un savant, fort considéré de ses contemporains. Le P. Pétau lia connaissance et amitié avec lui, comptant toujours sur sa conversion,

1 Mgr GALLARD.

2 Tom. III,

mais le bon jésuite y fut trompé comme beaucoup d'autres. Grotius est auteur de plusieurs ouvrages, entre autres d'Euvres théologiques avec des Commentaires sur l'Écriture sainte, quatre volumes in-folio. Dans ce volumineux ouvrage, Grotius qui était protestant, a suivi son propre esprit plutôt que la tradition. Outre une érudition profane, fort mal placée, son livre renferme des erreurs considérables qui l'ont fait condamner. Comme Richard Simon s'appuyait fréquemment de l'autorité de ce savant, et que d'ailleurs beaucoup de catholiques partageaient sa confiance, Bossuet crut devoir ajouter aux Remarques sur la version de Trévoux, des remarques particulières sur Grotius.

« Si j'entre aujourd'hui, dit Bossuet, dans la discussion à fond de la doctrine et de la critique de Grotius, ce n'est pas pour accuser un si savant homme, qui paraît, durant environ trente ans, avoir cherché la vérité de si bonne foi; et qui aussi à la fin en était si près, qu'il y a sujet de s'étonner qu'il n'ait point fait le dernier pas où Dieu l'attirait 1.

>> On sait les sentiments de Luther et des autres prétendus réformateurs contre le libre arbitre, et pour la fatalité qui faisait Dieu auteur du mal comme du bien. Calvin et ses sectateurs y avaient ajouté l'inamissibilité de la justice chrétienne au milieu des crimes les plus énormes, et la certitude infaillible dans chaque fidèle de sa propre prédestination, en quelques crimes qu'ils pussent tomber; ce qui avait des suites si affreuses, que les gens modérés de la secte ne les pouvaient supporter.

» C'est par cet endroit odieux que Grotius commença à se dégoûter du calvinisme. Arminius, qui réformait ces réformateurs, et détestait ces excès, parut à Grotius une nouvelle lumière. »

Grotius fut enveloppé dans la proscription des arminiens. Echappé par l'ingénieux dévouement de sa femme, à la captivité dans laquelle il était menacé de passer le reste de sa vie, il ne cessa de regarder le calvinisme « comme une secte de gens emportés, et qui avaient introduit dans la chrétienté sur la matière de la grâce

1 On cite en effet quelques paroles, quelques fragments de lettres où Grotius paraît se rapprocher de l'Église romaine; mais nulle part on n'aperçoit le désaveu de ses erreurs.

et du libre arbitre, non-seulement une doctrine outrée, mais encore des sentiments impies et barbares.

» Mais il passa à l'extrémité opposée. La haine d'une doctrine qui détruit la liberté, le porta à méconnaître la vraie grâce des chrétiens. Saint Augustin, dont on abusait dans le calvinisme, lui déplaît; en sortant des sentiments de la secte où il vivait, il est emporté à tout vent de doctrine, et donne comme dans un écueil, dans les erreurs sociniennes. Il s'en retire avec peine tout brisé, pour ainsi dire, et ne se remet jamais de ce débris. On trouve partout dans ses écrits des restes de ses ignorances. Plus jurisconsulte que philosophe, et plus humaniste que théologien, il obscurcit la doctrine de l'immortalité de l'âme. Ce qu'il y a de plus concluant pour la divinité du Fils de Dieu, il tâche de l'affaiblir et de l'ôter à l'Église ; il travaille à obscurcir les prophéties qui annonçaient la venue du Messie.

» Parmi tant d'erreurs, il entrevoit quelque chose de meilleur ; mais il ne sait point prendre son parti, et il n'achève jamais de se purifier. Encore un coup, je déplore son sort. »

Tel est en effet l'abrégé de l'histoire de Grotius. Il passa trente ans à tourner autour de la vérité, et chacune de ces trente années fut marquée par quelque opinion nouvelle, qui tendait à ébranler tous les fondements du christianisme, sans distinction de sectes ou de communions.

« Il n'y a point, dit Bossuet, de critique plus téméraire que celle de Grotius, puisque, selon lui, le livre de Job, aussi bien que l'histoire de Judith, ne sont autre chose qu'une fiction et un roman, malgré la tradition de tous les siècles, et les témoignages exprès de l'Écriture même, où l'exemple de Job est marqué comme tiré d'une histoire très-réelle et très-véritable. >>

Dans son commentaire sur la Genèse, il imagine la fiction la plus extraordinaire. Il paraît croire que les âmes ne sont immortelles que depuis la nouvelle alliance, et que Jésus-Christ a eu besoin de ressusciter les âmes des anciens patriarches, pour les mener avec lui dans le ciel.

« Telle est la théologie de Grotius, née dans la lecture des poètes et des orateurs, et fortifiée de la doctrine des sociniens. >>

De tous les livres de la Bible, il ne regardait comme inspirés par l'Esprit-Saint, que les livres des Prophètes; et quant à tous les autres, même les Évangiles, il pensait qu'ils n'étaient canoniques que par l'événement, et par l'approbation postérieure que l'Église leur avait donnée; « au lieu que la foi catholique nous enseigne, qu'étant divins par leur origine, l'Église ne fait autre chose que

d'en reconnaître et d'en déclarer la divinité. »

Mais ce qui paraît encore plus singulier, c'est qu'après avoir reconnu l'inspiration des prophéties, Grotius ait prétendu « que les apôtres ne s'étaient jamais servis du témoignage des prophètes, pour prouver que Jésus-Christ est le Messie, et qu'ils n'établissaient cette vérité que par la résurrection et les miracles. »

Comment pouvait-il s'aveugler au point de ne pas voir que tous les livres du Nouveau Testament offrent à chaque page des textes formels, où les apôtres rappellent sans cesse aux Juifs tous les traits de conformité qui se trouvaient entre Jésus-Christ et le Messie annoncé par les prophètes? Mais charmé de la singularité et de la nouveauté de son système, il ne voulait reconnaître que des allégories dans les allusions que les apôtres font si souvent aux prophéties.

Ce qui blessait le plus Bossuet, comme nous l'avons déjà dit, c'est que Grotius se montra toujours l'ennemi déclaré de saint Augustin. Selon Grotius, « saint Augustin fut le premier qui, depuis qu'il fut engagé dans le combat avec les pélagiens (car auparavant il avait été d'un autre avis), poussa les choses si loin par l'ardeur qu'il avait dans la dispute, qu'il ne laissa que le nom de la liberté, en la faisant prévenir par les décrets divins, qui semblaient en ôter toute la force. >>

Il prétendait que les grecs et les semi-pélagiens de l'Occident, avaient seuls conservé la doctrine de l'ancienne Église sur le libre arbitre, et que le grand nom de saint Augustin avait seul amené la révolution qui s'était opérée dans l'Occident sur le concours de la grâce et du libre arbitre.

L'abus que les calvinistes faisaient de quelques textes mal interprétés de saint Augustin, était probablement ce qui l'avait le plus prévenu contre ce Père de l'Église. Car le seul sentiment

un peu violent qu'ait jamais éprouvé Grotius, naturellement doux et modéré, tenait à son antipathie pour la doctrine de Calvin.

Grotius, à l'exemple de tous les calvinistes raisonnables, s'éleva contre l'opinion ridicule et extravagante des synodes, qui avaient si gravement prononcé que le pape était l'antechrist. Il composa même plusieurs écrits pour réfuter une absurdité qui pouvait se passer de réfutation.

Grotius désavoua même dans la suite les opinions sociniennes qu'il avait trop légèrement adoptées; « et il déclara nettement qu'il tenait sur la Trinité et sur l'incarnation de Jésus-Christ tout ce qu'en croyait l'Église romaine et l'Université de Paris. Lorsqu'on lui objectait ses premiers écrits, il répondait >> « qu'il ne fallait pas s'étonner que son jugement devînt tous les jours plus sain par l'âge, par les conférences avec les habiles gens, et par la lecture assidue. >>

Mais au milieu même de ces dispositions, il s'abandonnait quelquefois à des imaginations singulières. Sa vaste érudition lui montrait tant d'incertitude dans les opinions humaines, qu'il voyait toujours des objections à côté des raisons. Cette anxiété de l'esprit finit nécessairement par ne laisser que des doutes et du vague dans les idées, lorsqu'elle est surtout entretenue par cette indécision de caractère, qui paraît avoir été l'habitude de toute la vie de Grotius. Il aurait voulu rencontrer toujours l'évidence, qui ne peut pas toujours se trouver avec les obscurités qui enveloppent de tous côtés l'intelligence humaine; et il oubliait que l'esprit d'une religion révélée consiste dans cette soumission, sans laquelle il n'y aurait pas eu besoin de révélation.

Ainsi dans le temps même où Grotius faisait ces aveux si décisifs pour la doctrine catholique, on le voit occupé de l'idée la plus bizarre. Son aversion pour le calvinisme l'avait déterminé à renoncer à toute communion extérieure avec le culte des réformés; mais ne pouvant se dissimuler que les hommes ont besoin d'être unis par les liens et les symboles d'un culte public, et n'osant encore se déclarer catholique, il chercha à s'étourdir sur cette espèce d'excommunication absolue, à laquelle il s'était lui-même condamné. Il composa un petit traité, où il examinait la question: «s'il est

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