nécessaire de communier toujours par les symboles extérieurs, c'est-à-dire par les sacrements; » il conclut pour la négative, se persuadant qu'il suffisait de « s'unir dans l'intérieur avec les fidèles, sans aucun lien extérieur de communion. » Dans ce repos trompeur, il cherchait à étourdir sa conscience, et il se contentait de faire dans ses écrits des vœux pour la paix. Mais cette paix il ne la goûtait pas au fond de son cœur; mécontent de lui-même, mécontent de la turbulence inquiète des sectes avec lesquelles il avait eu à combattre; trop sage et trop éclairé pour ne pas sentir que la nature et la raison prescrivent aux hommes de rendre un culte d'amour et de reconnaissance à l'auteur de leur existence, il crut trouver, dans l'invention la plus extraordinaire ce calme de l'esprit qui lui échappait toujours. Il publia un petit écrit qui avait pour titre : De l'administration de la cène où il n'y a point de pasteur. Il s'efforçait de prouver que dans ce cas, chacun devenait son propre ministre, celui de sa famille, et de tous ceux qui voulaient s'unir à lui. « Il n'est pas de ma connaissance, dit Bossuet, si Grotius en est venu à la pratique. Quoi qu'il en soit, la spéculation qu'il a soutenue était propre à favoriser les sentiments de ceux qui prétendaient s'affranchir du ministère ecclésiastique, et se faire, comme Grotius, une religion à part. » Ainsi rêvait savamment et périlleusement pour son salut, un homme qui s'apercevant qu'il était déçu par la religion, où il était né, ne savait plus à quoi se prendre, et frappant, pour ainsi dire, à toutes les portes, où il croyait pouvoir trouver un refuge à sa religion chancelante. >> Ce refuge, ce repos, ce calme, Grotius sentait qu'il ne pouvait le trouver que dans l'Église catholique; et ses derniers écrits décèlent que c'était là probablement où il aurait fini par se reposer de toutes ses agitations, et fixer toutes ses incertitudes. On le conjecture en lisant ses lettres à son frère, à qui il avait la douce habitude d'ouvrir son cœur dans une entière liberté. C'est là qu'on remarque ces bonnes et mémorables paroles: « L'Église romaine n'est pas seulement catholique; mais encore elle préside à l'Église catholique, comme il paraît par la lettre de saint Jérôme au pape Damase. Tout le monde la connaît..... Tout ce que reçoit universellement en commun l'Église d'Occident, qui est unie à l'Église romaine, je le trouve unanimement enseigné par les Pères grecs et latins, dont peu de gens oseront nier qu'il ne faille embrasser la communion; en sorte que pour établir l'unité de l'Église, le principal est de ne rien changer dans la doctrine. reçue, dans les mœurs et dans le régime. >> Il en venait enfin à reconnaître ce qu'il y a de plus essentiel : « que l'Église de Jésus-Christ consiste dans la succession des évêques par l'imposition des mains, et que cet ordre de la succession doit demeurer jusqu'à la fin des siècles, en vertu de cette promesse de Jésus-Christ: Je suis avec vous. » C'est ainsi que Grotius s'expliquait en 1643, deux ans avant sa mort. En 1644, c'est-à-dire, quelques mois seulement avant de mourir, il s'exprimait d'une manière encore plus décidée. Il conseillait aux arminiens, dont il avait peine à se détacher entièrement, « d'établir parmi eux des évêques, qui fussent ordonnés par un archevêque catholique, s'ils voulaient demeurer dans le respect de l'antiquité; qu'ils devaient commencer par là à entrer dans les mœurs anciennes et salutaires. Que c'avait été en les méprisant, qu'on avait introduit par de nouvelles opinions la licence de faire de nouvelles Eglises, sans qu'on puisse savoir ce qu'elles croiront dans quelques années.» (BAUSSET.) CHAPITRE XIII Marie d'Agréda. 1696. La révérende mère Marie de Jésus, religieuse cordelière, était morte en 1665, abbesse du couvent de l'Immaculée-Conception de la petite ville d'Agréda, en Espagne, d'où elle prit son nom. Elle laissait après elle une grande réputation de sainteté, et le pape Clément X lui décerna le titre de vénérable. Plus tard, à la demande du roi et du clergé espagnol, le procès de sa béatification fut introduit à Rome, et il est vraisemblable qu'il eût tourné à sa gloire, si la marche n'en avait été entravée par une tempête scolaire qui éclata au sujet de ses écrits. Marie d'Agréda était auteur d'un ouvrage posthume en trois volumes in-4°, ayant pour titre : La mystique cité de Dieu, miracle de sa toute-puissance... Histoire divine de la vie de la sainte Vierge, mère de Dieu, manifestée, dans ces derniers siècles, par la très-sainte Vierge à la sœur Marie de Jésus..... Avant toute information, le Saint-Siége devait examiner cet ouvrage, et l'examen en fut confié à la Congrégation de l'Index. Le 26 juin 1681, le pape Innocent XI, signa le décret de condamnation, qui fut affiché dans la forme ordinaire, le 4 août de la même année. En Espagne, où l'Inquisition avait autorisé l'impression et la lecture de la Cité mystique, et où le nom de l'auteur était en grande vénération, le décret du pape causa une douloureuse surprise. Durant longtemps, l'Église espagnole demanda la suppression du décret de condamnation, mais le Saint-Siége n'y voulut point consentir. Cependant, en 1729, sur les instances du roi Philippe V, le pape Benoît XIII suspendit, pour toutes les possessions de Sa Majesté catholique, l'effet du décret porté par son prédécesseur, mais en maintenant la censure pour tout le reste de l'Église. Plus tard encore, l'Espagne demanda la reprise du procès de béatification, interrompu sous Innocent XI. Clément XIV, après s'être fait rendre compte de l'affaire, imposa un silence éternel, précisément à cause du livre de la religieuse, propter librum. Nous savons que le pape actuellement régnant, a déclaré qu'il fallait s'en tenir aux décisions précédemment émanées du siége apostolique. Le livre de Marie d'Agréda est donc jugé, et nous n'avons point à exprimer là-dessus une opinion personnelle; nous dirons seulement comment Bossuet est intervenu dans cette affaire, et quel rôle il y a joué, en sa qualité de docteur de Sorbonne 1. 1 La question du livre de Marie d'Agréda dormait d'un long sommeil, quand elle fut subitement éveillée en 1858 par le R. P. Dom Guéranger, abbé de Solesmes, qui publia là-dessus, dans le journal l'Univers, une nombreuse série d'articles. Le savant bénédictin entreprit de justifier le livre incriminé, en émet En 1696, un religieux récollet, le P. Crozet, de Marseille, entreprit, malgré la défense du saint siége, la traduction de la Cité mystique. Le premier volume fut envoyé à l'évêque de Meaux qui l'examina, le jugea sévèrement et le déféra à la Sorbonne avec ses remarques. « Le seul dessein de ce livre, dit-il, porte sa condamnation. C'est une fille qui entreprend un journal de la vie de la sainte Vierge, où est celle de Notre-Seigneur, et où elle ne se propose rien moins que d'expliquer jour par jour et moment par moment, tout ce qu'ont fait et pensé le Fils et la Mère, depuis l'instant de leur conception, jusqu'à la fin de leur vie; ce que personne n'a jamais osé..... » Le titre est ambitieux jusqu'à être insupportable; cette religieuse appelle elle-même son livre histoire divine, ce qu'elle répète sans cesse, par où elle veut exprimer qu'il est inspiré et révélé de Dieu, dans toutes ses pages..... Il faut garder tous ces titres pour le Nouveau Testament; l'Écriture est la seule histoire qu'on peut appeler divine. La prétention d'une nouvelle révélation de tant de sujets inconnus, doit faire tenir le livre pour suspect et réprouvé dès l'entrée. Ce titre au reste, est conforme à l'esprit du livre. Le détail est encore plus étrange. Tous les contes qui sont ramassés dans les livres apocryphes, sont ici proposés comme divins et on y en ajoute une infinité d'autres avec une affirmation et une témérité étonnante..... Depuis le troisième chapitre jusqu'au huitième, ce n'est autre chose qu'une scolastique raffinée, selon les principes de Scot. Dieu lui-même en fait des leçons et se déclare scotiste, encore que la religieuse demeure d'accord que le parti qu'elle embrasse est le moins reçu dans l'école. Mais Dieu l'a décidé et il l'en faut croire. tant des doutes sur l'authenticité du décret rendu à Rome par la congrégation des cardinaux, et la valeur qu'il faut lui attribuer. Bossuet est très-sévèrement jugé dans ces articles, et il faut convenir qu'il mit beaucoup de passion à poursuivre cet ouvrage. L'auteur des Analecta juris pontificii et des Principes de la théologie mystique, répondit en produisant des pièces authentiques et en prouvant péremptoirement que la Cité mystique était dûment condamnée et que le Saint-Siége avait constamment maintenu la censure dont elle était frappée. Nous ne supposons pas qu'on revienne sur ce sujet, mais nous avons dû ne le point passer sous silence. » Ce qu'il y a d'étonnant, c'est le nombre d'approbations qu'a trouvées cette pernicieuse nouveauté. On voit entre autres choses que l'ordre de saint François, par la bouche de son Général, semble l'adopter, comme une nouvelle grâce faite au monde par le moyen de cet ordre. Plus on fait d'efforts pour y donner cours, plus il faut s'opposer à une fable qui n'opère qu'une perpétuelle dérision de la religion 1..... >> On nous permettra ici quelques observations. Lorsque Bossuet traçait ces lignes, il savait que le livre de la Mère d'Agréda était condamné par le Saint-Siége; mais peu lui importe; ce qui est essentiel, c'est que la Sorbonne fasse entendre sa voix. Sans vouloir réhabiliter la Cité mystique, ce qui n'appartient à personne, il nous semble qu'un livre qui réunit tant d'approbations n'est pas aussi insoutenable et aussi pernicieux qu'on le proclame dès l'entrée, et qu'il ne porte pas avec lui sa condamnation. Ni les approbateurs, ni l'auteur, n'ont pu concevoir l'idée de mettre la Cité mystique sur le même plan que le Nouveau Testament; mais le Nouveau Testament ne dit pas tout, et les révélations particulières ne sont ni superflues, ni contraires à la divine sagesse. Que le livre soit bizarre, qu'il puisse devenir un sujet de scandale pour les faibles, c'est ce que le Saint-Siége a compris avec la sagesse qui le guide toujours, en pareille conjoncture. Mais si le livre était aussi mauvais qu'on le déclare, et semé de propositions hérétiques, jamais pape n'en eût autorisé la lecture, même pour une contrée particulière. Nous savons que la doctrine de Scot était fort mal vue en Sorbonne, inais cette raison ne suffit pas pour la rendre insoutenable. Les partisans de Marie d'Agréda auraient pu, avec autant de justesse, reprocher à l'école française de faire Dieu augustinien et thomiste. L'aversion pour le scotisme, fut-elle l'unique foyer où s'alluma la rigueur de Bossuet? N'oublions pas qu'à cette même époque, l'archevêque espagnol, Roccaberti, battait en brèche le système gallican, publiait le livre dont nous avons déjà parlé, et contre lequel Bossuet appelait toutes les foudres du roi et de ses 1 Tome X, p. 621 et suiv. |