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Bossuet dit encore ailleurs : « Dans l'Abrégé de la discipline 1 notre auteur n'attribue autre chose au pape, sinon que l'Église romaine, fondée par les apôtres saint Pierre et saint Paul, soit considérée comme la première, et son évêque comme le premier entre tous les évêques, sans attribuer au pape aucune juridiction sur eux, ni dire le moindre mot de l'institution divine de sa primauté; au contraire, il met cet article au rang de la discipline, qu'il dit luimême être variable. Il ne parle pas mieux des évêques, et il se contente de dire que l'évêque est au-dessus des prêtres, sans dire qu'il y est de droit divin. Ces grands critiques sont peu favorables aux supériorités ecclésiastiques et n'aiment guère plus celle des évêques que celle du pape 2.... » Fébronius n'a rien inventé; Richer et Dupin lui ont ouvert largement la voie.

En face d'un dossier aussi malheureusement chargé on ne conçoit guère que des docteurs de Sorbonne viennent plaider la bonne foi et les circonstances atténuantes.

Dupin, pressé sans doute par ses amis, écrivit à Bossuet la lettre suivante :

« A Paris, ce 12 avril 1692.

>> Jamais je n'ai été plus désolé que quand j'ai appris que j'avais le malheur d'avoir avancé dans mes ouvrages, des choses que vous jugiez dignes de censure. Je me serais donné l'honneur de vous aller voir pour tâcher de me justifier auprès de vous, et vous assurer en même temps de mon attachement sincère à la doctrine de l'Église, et de la soumission que j'avais pour tout ce que vous souhaiteriez de moi. Mais n'ayant pas osé prendre cette liberté sans que vous m'eussiez fait témoigner que vous le souhaitiez, je me contentai de le dire à des personnes qui m'en parlèrent de votre part, par lesquelles je croyais que vous apprendriez la disposition où j'étais. Ayant bien compris par la suite qu'on n'en avait point informé Votre Grandeur, j'ai pris la liberté de vous en faire écrire par M. Gerbais, qui m'a fait la grâce de me montrer votre réponse, par laquelle j'ai reconnu avec joie que vous aviez encore quelque bonté pour moi. Je vous prie, Monseigneur, de me la vouloir continuer, et d'être persuadé que j'aurai toujours pour vous tout le respect et la soumission que je vous dois, étant avec un profond respect, etc.

1 Tome 1, p. 620.

2 Mém., p. 524.

>> DUPIN. >>

y

Dupin, comme tous les sectaires, faisait acte d'hypocrisie, et sa prétendue soumission n'était qu'un jeu pour couvrir ses desseins. Il ne changea rien ni dans ses écrits passés ni dans sa manière de voir et de parler. Sous prétexte de sauver l'Église, il continua de l'outrager et de semer le schisme jusqu'à la fin de sa vie. Bossuet fut trompé; mais l'archevêque de Paris, loin de lever les censures, insista auprès du parlement pour obtenir un arrêt qui défendît la vente des ouvrages de Dupin. De son côté, l'Église romaine, qui ne connaît pas les ruineux accommodements, condamna tous les livres de ce fanatique écrivain. En 1705, le pape Clément XI, écrivant à Louis XIV, signale Dupin « comme un homme d'une très-mauvaise doctrine, et coupable de plusieurs excès envers le siége apostolique. »

Son humeur brouillonne et son ardeur de sectaire jeta Dupin dans l'affaire du cas de conscience, ce qui lui fit perdre sa chaire en Sorbonne, et lui valut un exil à Châtellerault. Plus tard il obtint son rappel, mais le roi refusa de lui rendre sa chaire, et le pape Clément XI félicita Louis XIV de cet acte de sagesse.

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Quesnel, né à Paris en 1634, mort à Amsterdam en 1719, entra dans la congrégation de l'Oratoire en 1657, sous la direction d'un des plus dévots jansénistes, Abel de Sainte-Marthe. Son extérieur grave et pieux, son érudition ascétique, son talent d'écrivain, rare, même à cette époque, le conduisirent à la charge de directeur de la maison de Paris. Ce fut pour l'usage des jeunes élèves confiés à ses soins, qu'il composa ses Réflexions morales sur le Nouveau Testament. Ce n'était d'abord que quelques pensées détachées sur les plus belles maximes de l'Évangile. Le marquis de Loigne ayant beaucoup goûté cet ouvrage, en fit l'éloge à Félix Viarlart, évêque de Châlons-sur-Marne, et le prélat résolut de 'Un des provocateurs de la paix de Clément IX.

l'adopter pour son diocèse. L'oratorien, flatté d'un tel suffrage, augmenta beaucoup son livre qui fut imprimé à Paris en 1971, avec un mandement de l'évêque de Châlons et l'approbation des docteurs. En 1775, Quesnel fit paraître une édition des œuvres du pape saint Léon avec des notes, des observations critiques et des méditations. Elle fut censurée à Rome, le 22 juin 1776, et a été depuis effacée par celle des frères Ballerini, qui reprochent à Quesnel beaucoup d'inexactitudes et d'infidélités. Abel de SainteMarthe ayant été exilé, Quesnel, son trop fidèle disciple, reçut ordre de quitter Paris, et se retira à Orléans. En 1684, Quesnel abandonna l'Oratoire, alla rejoindre Arnault à Bruxelles, et lui succéda en 1694, comme chef de la petite église 1.

C'est à Bruxelles et en la compagnie d'Arnauld, que Quesnel acheva ses Réflexions morales sur les Actes et les Épîtres des Apôtres. Il les joignit aux Réflexions sur les quatre Évangiles, auxquelles il donna plus d'étendue. L'ouvrage ainsi refait à neuf, parut en 1694, et fut présenté à M. de Noailles, qui avait succédé à M. Vialart sur le siége de Châlons. Ce prélat informé que ce livre avait cours dans son diocèse et y était goûté, après y avoir fait, dit-on, quelques changements, l'approuva par un mandement du 23 juin 1695, et en recommanda la lecture au clergé et aux fidèles de son diocèse, comme l'avait son prédécesseur.

Jusque-là, les Réflexions morales n'avaient pas fait grand bruit, et l'on ne voit pas qu'elles eussent été l'objet d'aucune animadversion. Ceci prouve à notre avis deux choses: la première, c'est que Quesnel avait habilement dissimulé le poison de ses mauvaises doctrines; la seconde, c'est que l'œil des docteurs sorbonniens commençait à se voiler étrangement, dans ce déluge de hardiesses et de nouveautés scandaleuses qui couvrait la France à l'époque dont nous parlons.

Un événement imprévu fit du livre de Quesnel un effroyable brandon de discorde. M. de Noailles fut cette même année transféré sur le siége métropolitain de Paris, et le 20 août 1696, il publiait une ordonnance dans laquelle il condamnait un livre de

1 ROHRBACHER, Hist. ecclés., t. XXVI.

l'abbé Brancos, neveu du fameux de Hauranne, l'ami passionné de Jansénius, livre ayant pour titre : Exposition de la foi de l'Église, touchant la grâce et la prédestination. C'était comme on l'imagine bien la pure doctrine du jansénisme. L'ordonnance de condamnation fut composée, dans sa partie dogmatique, par l'évêque de Meaux; mais l'archevêque de Paris y mêla des adoucissements plus prudents que justes; en sorte qu'il semblait, tout en défendant la vérité catholique, ménager beaucoup les erreurs janséniennes, ou pour le moins le parti janséniste. Au milieu de la guerre qui se poursuivait avec acharnement, l'ordonnance reçut un froid accueil dans les deux camps 1. Ce fut dans ces conjonctures que parut, en 1679, un écrit ayant pour titre : Problème ecclésiastique. L'auteur avait caché son nom; mais il le fit connaître plus tard, c'était dom Thierri de Viaixnes, bénédictin de Saint-Vannes. Dans cet écrit, l'auteur demandait malicieusement auquel des deux il fallait croire, ou à M. de Noailles, approuvant à Châlons la doctrine de l'exposition, dans les Réflexions morales; ou à M. de Noailles, condamnant à Paris la doctrine des réflexions, dans l'Exposition de la foi.

L'archevêque de Paris se trouva d'autant plus embarrassé qu'il n'y avait absolument rien à répondre. En vain se donna-t-il mille soins pour faire condamner au feu le libelle compromettant, rien ne le sortait de sa pénible situation 2. Il n'avait pas assez de théologie pour discerner le vrai du faux, ni assez de talent pour couvrir dignement sa retraite, hélas! ni assez d'humilité pour avouer sa méprise. Dans cet état perplexe, il s'adressa à l'évêque de Meaux, qui épousa la querelle de son métropolitain avec plus de chaleur que de réflexion.

Noailles, nous l'avons dit, était tendrement caressé par les jansénistes, et Bossuet était aussi l'ami des gens du parti. A l'apparition du Problème, chacun tourna les yeux du côté des jésuites et se persuada que la congrégation n'y pouvait être étrangère. Il n'en fallait pas davantage pour mettre l'archevêque en fureur et pousser l'essaim janséniste hors de la ruche. Au lieu de lire, on se passionna à outrance.

1 LACHAT, Not. hist., t. Ill.

2 ROHRBACHER, ibid.

Pour justifier l'archevêque approbateur, il fallait innocenter le livre de Quesnel, et c'est ce qu'entreprit Bossuet dans une sorte de mémoire, long de soixante-six pages, et qu'on a imprimé depuis sous le titre d'Avertissement sur le livre des Réflexions morales 1, confondant ainsi un premier travail que fit Bossuet et qui devait servir de préface à une nouvelle édition du livre de Quesnel, avec un second travail du même auteur, qui contient la réfutation du problème ecclésiastique. L'auteur va nous faire connaître lui-même la pensée et le dessein de son archevêque.

<< Rempli de l'esprit du concile de Trente et de l'Église catholique, M. l'archevêque de Paris, étant encore évêque de Châlons, crut trouver un trésor pour son église, dans le livre qui a pour titre : Le Nouveau Testament en français avec des réflexions morales pour chaque versel, pour en rendre la lecture plus utile et la méditation plus aisée.

» Il fut d'autant plus porté à se servir de ce livre, qu'il avait déjà été approuvé par son prédécesseur d'heureuse mémoire; seulement il se crut obligé de le revoir avec un nouveau soin, tant pour le rendre plus conforme à la Vulgate, que pour en réduire les sommaires et les réflexions à une plus grande correction et exactitude..... ce qui a été exécuté..... Nous pouvons donc dire sans crainte, que l'auteur a réussi dans son dessein (d'édifier les peuples et de les porter à l'onction), puisqu'il ne faut que lire ce livre, principalement en l'état que l'a donné M. de Châlons, pour y trouver, avec le recueil des plus belles pensées des saints, tout ce qu'on peut désirer pour l'édification, pour l'instruction et pour la consolation des fidèles..... En ce temps, par une favorable disposition de la divine providence, ce prélat fut appelé au siége de Saint-Denis, et le dépôt qu'il avait laissé à l'Église de Châlons, fut comme transféré avec lui à l'Église de Paris. Ce fut alors qu'il sentit une nouvelle obligation de perfectionner cet ouvrage; et prévoyant que l'édition qui courait avec tant de fruit serait bientôt épuisée, il préparait la suivante qui est celle-ci.....

» La première chose que Dieu lui mit dans l'esprit, fut non-seu

1 Voyez t. III, p. 305.

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