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Ergone cœlestes haustus duxisse jubavit

Ut sonet infandos vox mihi nota Deos?

« J'ai empêché la publication du poème, ajoute Bossuet. Il est vigoureux; l'auteur l'aurait pu rendre parfait en prenant la peine de le châtier. Mais il n'y travaillera plus.

>> Adieu, mon cher Santeuil, je m'en vais préparer les voies à notre illustre Boileau '. »

Dans une autre lettre, à peu près à la même époque (1690), Bossuet exprime encore plus fortement son opposition aux fictions et aux expressions de la mythologie; c'était au sujet d'une nouvelle pièce de vers de Santeuil, dont il se promettait une satisfaction pure et exempte de tout mélange d'un culte profane.

« Je reverrai avec plaisir dans cet ouvrage toute la beauté de l'ancienne poésie des Virgile, des Horace, dont j'ai quitté la lecture il y a longtemps; et ce me sera une satisfaction de voir que vous fassiez revivre ces anciens poètes, pour les obliger en quelque sorte de faire l'éloge des héros de notre siècle d'une manière moins éloignée de la sainteté de notre religion.

» Il est vrai, Monsieur, que je n'aime pas les fables, et que, m'étant nourri depuis beaucoup d'années de l'Écriture sainte, qui est le trésor de la vérité, je trouve un grand creux dans ces fictions de l'esprit humain, et dans ces productions de sa vanité. Mais lorsque on est convenu de s'en servir comme d'un langage figuré, pour exprimer d'une manière en quelque façon plus vive ce que l'on veut faire entendre surtout aux personnes accoutumées à ce langage, on se sent forcé de faire grâce au poète chrétien, qui n'en use ainsi que par une espèce de nécessité. » << Ne craignez pas que je vous fasse un procès sur votre livre; je n'ai au contraire que des actions de grâces à vous rendre; et sachant que vous avez dans le fond autant d'estime pour la vérité, que de mépris pour les fables en elles-mêmes, j'ose dire que vous ne regardez non plus que moi, toutes ces expressions tirées de l'ancienne poésie, que comme le coloris du tableau, et que vous envisagez principalement le dessein et les pensées de l'ouvrage,

1 Tome XXVI, p. 453 et suiv.

qui en sont comme la vérité, et ce qu'il y a de plus solide. » Bossuet avait une telle antipathie pour cette recherche affectée des expressions de l'antiquité, qui tendait à dénaturer le caractère auguste et sacré d'une religion si supérieure aux inventions des hommes, qu'il ne pouvait supporter qu'on employât le mot de divus au lieu de celui de sanctus, pour distinguer ces héros du christianisme, dont l'Église a consacré les vertus et la sainteté par les honneurs publics. Il écrivait le 9 février 1679 à l'abbé Nicaise de Dijon : « Les auteurs exacts n'approuvent pas qu'on se serve du mot de divi pour dire les saints, quoique les catholiques s'en soient servis aussi bien que les protestants 1. »

Au reste, Santeuil trouva des défenseurs auprès de Bossuet, parmi les amis de Bossuet même. Fénelon lui écrivait : « Faites des Pomones, tant qu'il vous plaira, pourvu que vous en fassiez ensuite autant d'amendes honorables; ce sera double profit pour nous, la faute et la réparation. >>

Le sage, le grave abbé Fleury allait encore plus loin. Il se déclarait hautement l'admirateur et l'apologiste de la Pomone de Santeuil et lui écrivait le 17 février 1690: « Je ne vois pas pourquoi vous auriez à rougir de la charmante pièce que vous avez dédiée à notre La Quintinie. Je l'ai, non-seulement lue avec un extrême plaisir, mais je me suis empressé de la faire lire à notre jeune prince (M. le duc de Bourgogne) et à notre illustre Fénelon. Tous les deux en ont été enchantés; tous les deux sont convenus que vous n'aviez jamais parlé la langue des Latins avec plus d'élégance et de douceur. L'âme de Virgile lui-même semble respirer dans vos vers. Si le sujet de votre poème n'est pas précisément un sujet religieux, on peut dire cependant que vous avez évité de lui donner un caractère trop profane. On n'y voit que la description simple et gracieuse des beautés et des charmes de la nature. On n'y trouve rien qui offense les mœurs, tout au contraire y montre la décence et l'honnêteté; et si on y rencontre les noms des déesses et des nymphes, les regards ni l'imagination n'y sont

Tome XXVI, p. 283. Ceci est évidemment une exagération, car le terme est consacré par toute la liturgie.

blessés par la peinture de leurs coupables amours. Pourquoi seriez-vous obligé d'être plus grave et plus religieux que le P. Rapin lui-même? »

Et lorsque Santeuil eut adressé à l'abbé Fleury un exemplaire de son amende honorable, pour la mettre sous les yeux de Bossuet, il s'empressa de lui répondre :

« Que n'étiez-vous ici, mon cher Santeuil, lorsque j'ai lu votre ouvrage à notre évêque de Meaux! Vous auriez vu son étonnement, et son front se dérider à l'aspect de la vignette qui représente la pompe solennelle avec laquelle vous abjurez les muses profanes. Mais à parler sérieusement il a applaudi à vos vers, après les avoir lus. Je ne regrette point la sévérité qu'il vous a montrée, puisqu'elle nous a valu un de vos meilleurs ouvrages. Il trouve même celui-ci supérieur à l'autre.

» Mais je ne me rétracte point, et je pense encore fermement que votre Pomone ne méritait ni l'extrême rigueur avec laquelle il vous a condamné, ni l'humble abaissement avec lequel vous expiez une faute que vous n'avez pas commise. Cependant je vous félicite sincèrement d'avoir consenti à pécher par excès d'humilité, pour échapper à l'estimable inquiétude d'avoir pu blesser, sans le vouloir, la sainte majesté de la religion, ou même l'opinion d'un si grand homme. >>

On peut croire que la répugnance de Bossuet pour l'usage des fables et des expressions de la mythologie était principalement fondée sur l'abus qu'on en a fait trop souvent, pour enflammer les passions d'une jeunesse imprudente, et porter la séduction dans des imaginations trop faciles à recevoir toutes les impressions. L'admirateur passionné d'Homère et de Virgile ne pouvait pas être un censeur chagrin ou prévenu.

Mais indépendamment de cette considération morale, déjà si puissante pour un évêque, il ne serait pas étonnant que Bossuet se fût formé une poétique raisonnée, qu'il aurait su appuyer de grands exemples, et d'autorités assez imposantes pour balancer les reproches des admirateurs les plus passionnés de la mythologie grecque 1.

1 BAUSSET, liv. VII.

CHAPITRE IX

Richard Simon. 1693-1702.

Bossuet n'en a pas fini avec l'Oratoire. Voici poindre à l'horizon un sinistre ennemi de la vérité catholique, un des génies malfaisants qui corrompent la source même où s'abreuvent les âmes et d'où jaillit la vie spirituelle.

Richard Simon, né à Dieppe en 1638, la même année que Malebranche, marque sur ce dernier, un effrayant progrès, que Bossuet constate avec un douloureux sentiment 1. Ce n'est plus seulement un système philosophique où l'erreur s'abrite sous des conceptions nébuleuses, où l'imagination poétique prend la place de la raison, c'est une attaque ouverte contre les fondements mêmes de la religion révélée.

Bossuet écrit à Nicole :

« A Meaux, ce 7 décembre 1691.

» J'ai toujours, Monsieur, beaucoup de joie quand je reçois des marques de votre amité et de votre approbation. L'une de ces choses me fait grand plaisir, et l'autre m'est fort utile, parce qu'elle me fortifie, mais surtout à l'occasion du dernier ouvrage 2. J'ai été très-aise de vous voir appuyer particulièrement sur une chose que je n'ai voulu dire qu'en passant, pour les raisons que vous aurez aisément pénétrées, et que néanmoins je désirais fort qu'on remarquât. C'est, Monsieur, sur le triste état de la France, lorsqu'elle était obligée de nourrir et de tolérer sous le nom de réforme, tant de sociniens cachés, tant de gens sans religion, et qui ne songeaient de l'aveu même d'un ministre qu'à renverser le christianisme. Je ne veux point raisonner sur tout ce qui est passé en politique raffinée : j'adore avec vous les desseins de Dieu, qui a voulu révéler par la dispersion de

1 Richard Simon tient le milieu entre Socin qu'il copie et Renan dont il est le précurseur. Il est hébraïsant comme celui-ci, et s'avance avec la même fausse science, la même audace de paradoxe.

2 Le sixième Avertissement aux protestants, ou la Défense de l'Histoire des variations, ouvrages qui parurent cette année.

nos protestants ce mystère d'iniquité, et purger la France de ces monstres. Une dangereuse et libertine critique se fermentait parmi nous : quelques auteurs catholiques s'en laissaient infecter; et celui qui veut s'imaginer qu'il est le premier critique de nos jours 1, travaillait sourdement à cet ouvrage. Il a été depuis peu repoussé comme il méritait : mais je ne sais si on ouvrira les yeux à ses artifices. Je sais en combien d'endroits et par quels moyens il trouve de la protection; et sans parler des autres raisons, il est vrai que bien des gens, qui ne voient pas les conséquences, avalent sans y prendre garde, le poison qui est caché dans les principes. Pour moi, il ne m'a jamais trompé ; et je n'ai jamais ouvert aucun de ces livres où je n'aie bientôt ressenti un sourd dessein de saper les fondements de la religion je dis sourd par rapport à ceux qui ne sont pas exercés en ces matières, mais néanmoins assez manifeste à ceux qui ont pris soin de les pénétrer. »

Bossuet à N*** 2.

« A Meaux, ce 22 octobre 1693.

>> Il est malaisé de vous définir le livre de M. Simon : vous en connaissez le génie. On apprend dans cet ouvrage à estimer Grotius et les unitaires plus que les Pères, et il n'a cherché dans ceux-ci que des fautes et des ignorances. Il donne pourtant contre eux plus de décisions que de bons raisonnements. C'est le plus mince théologien qui soit au monde, qui cependant a entrepris de détruire le plus célèbre et le plus grand qui soit dans l'Église 3. Il ne fait que donner des vues pour trouver qu'il n'y a rien de certain, et mener tout autant qu'il peut à l'indifférence. L'érudition y est médiocre, et la malignité dans le suprême degré. »

Richard Simon s'était déjà fait connaître par la singularité de ses opinions et de son caractère. Il avait d'abord été membre de la congrégation de l'Oratoire; mais l'indépendance de ses principes et de ses goûts ne pouvait guère se concilier avec cet esprit d'ordre et de soumission qui doit gouverner les sociétés même médiocrement réglées. Il ne dissimula pas cet amour d'indépendance et de liberté, en prenant pour devise et pour système de conduite cet

1 Richard Simon.

2 Nous ignorons à qui cette lettre était adressée le nom de la personne n'est point marqué sur la minute que Bossuet avait conservée. (Les prem. édit.) 3 Saint Augustin.

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