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rain; s'il a permis qu'elle lui fût dédiée, il me paraît qu'il n'a fait que ce qu'il devait. Enfin, Monseigneur, elle est à présent hors de notre juridiction; et tout ce qu'on peut faire, c'est de veiller à une seconde édition, et de la réformer sur vos remarques au cas qu'il s'en fasse une. »

CHAPITRE X

Remarques de Bossuet.

Les Remarques de Bossuet, dont il vient d'être question, sur la versim de Trévoux comprennent deux séries les remarques générales sur le caractère et le dessein de l'auteur, les remarques particulières sur différents passages de la traduction 1. En lisant ce travail, on serait douloureusement étonné de rencontrer tant de graves accusations, si déjà l'on ne connaissait Richard Simon. Voici un abrégé de ce que relève l'évêque de Meaux, à la charge du traducteur :

Le socinianisme n'est pas enseigné ouvertement, mais toutes les tendances de l'auteur sont dirigées vers ce système impie qui nie les mystères et réduit l'Écriture au rang d'un livre philosophique. Toutes ses louanges sont pour Fauste Socin et Crellius chefs de la secte socinienne, et pour le protestant rationaliste Grotius. L'autorité de la Vulgate est partout affaiblie. Les règles du concile de Trente sont ou mises de côté, ou traitées sans nul respect. Si le traducteur invoque quelques interprètes, ce sont toujours les plus dangereux. Il se préfère sans pudeur aux plus célèbres traducteurs du temps. Il s'attache aux hérétiques les plus pervers et l'excuse qu'il en donne est mal justifiée. Il falsifie les textes, ou les altère d'une façon inexcusable.........

Ceci nous suffit pour comprendre tout le poison répandu dans

1 Tout ce travail fut imprimé en deux fois, à Paris, chez Anisson, dans le cours de 1702. Il est inutile de dire que tous les ouvrages de Simon furent sévèrement condamnés par la congrégation de l'Index.

la version de Trévoux. Au surplus, l'auteur n'a de catholique que le nom; il est protestant et protestant rationaliste par le fond de ses entrailles. Aussi n'est-il pas surprenant de voir un pareil interprète faire société avec les protestants pour une nouvelle traduction de la Bible. « L'histoire, dit Bossuet, en est remarquable; lui-même rapporte qu'il y a dix ans que Messieurs de Charenton résolurent de faire une nouvelle traduction de l'Écriture, que. M. Justel (protestant dont le savoir est connu), fit entrer M. Simon dans ce dessein; et que ce même M. Simon fit le plan de cette nouvelle version; que tous ensemble ils demeurèrent d'accord qu'il fallait donner au public une Bible française qui ne favorisât aucun parti, et qui pût être également utile aux catholiques et aux protestants; qu'on pria M. Simon de traduire quelques chapitres selon le plan qu'il avait proposé, afin de servir de règle à ceux qui entreprendraient ce travail; qu'il trouva quelque temps après chez M. Justel, M. Claude et M. de Prémont (l'un ministre de Charenton, et l'autre bon huguenot, s'il en fut jamais, neveu du fameux d'Ablancourt); qu'il s'entretint avec eux sur ce nouveau dessein, qu'ils partagèrent entre eux toute la Bible, et que le Pantateuque échut à M. Claude... Voilà sans doute un beau projet pour un prêtre catholique; c'est de faire une Bible propre à contenter tous les partis, c'est-à-dire à entretenir l'indifférence des religions, et qui dans nos controverses ne décide rien, ni pour, ni contre la vérité le plan et le modèle d'un si bel ouvrage est donné par M. Simon, et le travail est partagé avec un ministre.

» Au reste, on eût fait des notes: sans notes, M. Simon convient encore aujourd'hui qu'on ne peut traduire la Bible, et il eût été curieux de voir comme on eût gardé dans ces notes la parfaite neutralité qu'on avait promise entre l'Église et l'hérésie, entre Jésus-Christ et Bélial.

» M. le Clerc racontait dans sa lettre, que M. Simon avait demandé trois mille livres de pension par an, pour employer son temps à ce travail; que sa demande parut raisonnable, et que l'on trouva un fonds de douze mille livres que l'on résolut d'employer à l'entretenir quatre ans : c'est ce que M. Simon désavoue, et il soutient qu'on ne parla jamais des douze mille livres. Car aussi

comment avouer qu'on ait vendu aux protestants sa plume mercenaire? Mais cependant ce qu'il avoue n'est guère meilleur. Il raconte quelque démêlé entre Genêve et Charenton : « Le plus fort de leur dispute, dit-il, roulait sur un fonds de soixante mille livres, qu'un bon Suisse avait destiné à cet ouvrage; et, continue-t-il, il se peut bien faire que si ces Messieurs de Charenton en étaient devenus les maîtres, ils auraient reconnu les bons offices que le prieur de Bolleville (c'est un des noms de M. Simon), leur aurait rendus pour attirer ce fonds à Paris. »

» Voilà donc ce prieur de Bolleville devenu arbître et médiateur entre Charenton et Genève, et leur homme de confiance; il favorisait ceux de Charenton dans le dessein qu'ils avaient de s'attirer les soixante mille livres, et il espérait partager le butin avec eux. Ne disons rien davantage; déplorons l'aveuglement de celui qui semble ne sentir pas la honte d'un tel marché, et déplorons en même temps la nécessité où nous sommes, de faire connaître un auteur, qui voudrait être l'interprète de l'Église catholique après s'être livré aux protestants, pour mériter auprès d'eux cette qualité 1. »

L'idée d'associer les Juifs, les protestants et les catholiques pour traduire les saints Livres, a été renouvelée de notre temps; mais il faut dire, à l'honneur de l'esprit public, que ce projet insensé est mort le jour même où il parut à la lumière. Ce qu'il y avait de plus étrange, c'est qu'on se prévalait du nom et de l'autorité de Bossuet! S'il y a, dans le monde et dans l'Église, des esprits bornés qui dédaignent ou négligent la science, il y a aussi des fétichistes qui lui prodiguent leur encens. Il y a des hommes de peu de foi qui supposent que l'Église catholique perdrait plusieurs pans de ses antiques murailles, si on ne se hâtait de les soutenir par la physique, la chimie, la géologie, l'histoire, la philosophie, la linguistique, etc. L'Eglise, loin de mépriser la science, l'encourage et la dirige; elle ne rejette aucun secours qui lui vient de ce côté, mais elle a mieux que la science, elle a la vérité. Ce ne sont point les savants que Jésus-Christ a choisis pour pierre angulaire de son éternel édifice; son Église peut se passer de la science, c'est la 1 Première instruction, p. 475, t. III.

science qui aura toujours besoin de son Église. Puis, il faut distinguer la science vraie de la fausse, la science réelle du jargon scientifique dont les Allemands font parade, et que nos germanistes estiment à trop haut prix.

En ce qui regarde l'interprétation des Écritures, mieux vaut un saint que cinquante savants. Puisqu'on appelle Bossuet en témoignage, écoutons la leçon qu'il donne avec la vigueur de son style et la rectitude de sa raison.

« Le traducteur semble réduire principalement à la connaissance des langues et de la critique, l'excellence d'une version; et ce qui pis est, il insinue qu'on ne doit reconnaître ici pour légitimes censeurs que ceux qui savent les langues; ce qui est faux et dangereux. Il est certain que les principales remarques sur un ouvrage de cette sorte, c'est-à-dire celles du dogme, sont indépendantes de la connaissance particulière des langues, et sont uniquement attachées à la connaissance de la tradition universelle de l'Église, qu'on peut savoir parfaitement sans tant d'hébreu et tant de grec, par la lecture des Pères et par les principes d'une théologie solide. On doit être fort attentif à cette remarque, et prendre garde à ne point donner tant d'avantages aux savants en hébreu et dans la critique, pour qu'il s'en trouve de tels, non-seulement parmi les catholiques, mais encore parmi les hérétiques. Nous venons de voir un essai des excessives louanges que leur donne notre auteur et son aveugle attachement à les suivre, même dans cette version. Il faut sans doute estimer la connaissance des langues qui donne de grands éclaircissements; mais ne pas croire que pour censurer les licencieuses interprétations, par exemple d'un Grotius à qui l'on défère trop dans notre siècle, il faille savoir autant d'hébreu, de grec et de latin, ou même d'histoire et de critique qu'il en montre dans ses écrits. L'Église aura toujours des docteurs qui excelleront dans tous ces talents particuliers; mais ce n'est pas là sa plus grande gloire. La science de la tradition est la vraie science ecclésiastique; le reste est abandonné aux curieux, même à ceux de dehors, comme l'a été durant tant de siècles la philosophie aux païens 1. »

1 1 Ibid., p. 425.

Bossuet n'a jamais été un savant, dans l'acception du mot, ni un linguiste, ni un scrutateur curieux de la haute antiquité, ce qui ne l'a point empêché d'interpréter l'Écriture avec un mérite qu'on ne lui a peut-être pas suffisamment reconnu. Outre ses travaux sur l'Apocalypse, dont nous avons déjà parlé, il employa en grande partie les années 1691, 1692 et 1693 à commenter en latin les Psaumes, les Proverbes, l'Ecclésiaste, le Cantique des Cantiques 1. Malgré tant d'erreurs entassées par ce chef d'une cabale de faux critiques qui ne travaillait qu'à ôter toute autorité aux saints Pères et aux décisions de l'Église (tom. XXVII, lettre 77°), Bossuet ne paraît pas sûr de l'opinion publique, et nous verrons qu'il avait raison, car Richard Simon comptait beaucoup de partisans. Est-ce pour ce motif que l'illustre censeur use encore de tant de ménagements envers Simon et ses amis? Est-ce par un excès de complaisance que nous le voyons encore proposer à cet infidèle traducteur de mettre ses prétendus talents au service de l'Église qu'il a désolée? Voici la lettre qu'il écrit à l'abbé Bertin, l'alter ego de Simon:

« Ce 19 mai 1702.

>> Je vous envoie mes remarques, Monsieur : vous voyez bien qu'il y fallait donner du temps. Il n'en faudra guère moins pour revoir les corrections de l'auteur, quand il en sera convenu. Je n'ai pas peur, Monsieur, que vous les trouviez peu importantes: au contraire, je suis assuré que plus vous les regarderez de près, plus elles vous paraîtront nécessaires; et que vous ne serez pas plus d'humeur que moi à laisser passer tant de singularités affectées, tant de commentaires et de pensées particulières de l'auteur, mises à la place du texte sacré, et, qui pis est, des erreurs, un si grand nombre d'affaiblissements des vérités chrétiennes, ou dans leur substance, ou dans leurs preuves, ou dans leurs expressions, en substituant celles de l'auteur à celles qui sont connues et consacrées par l'usage de l'Église, et autres semblables obscurcissements. Il faut avoir pour l'auteur et pour les censeurs toute la complaisance possible, mais sans que rien puisse entrer en comparaison avec la vérité. Ce n'est pas assez de la sauver par des corrections: le livre s'est débité; il ne sert de rien de remédier aux fautes par rapport à Paris, pendant qu'elles courront par

1 Tomes I et II.

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