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PRÉFACE

DE CETTE NOUVELLE ÉDITION.

DEPUIS la dernière édition de ce livre, les idées de gouvernement ont fait de notables progrès; il faut déjà s'en féliciter; on marche vite dans le mal; on ne remonte au bien que lentement. L'Histoire de la Restauration fut écrite à une époque d'agitation et d'émeutes; tous les principes étaient alors compromis: la religion, le pouvoir, la propriété. Ces temps difficiles s'effacent peu à peu, et les principes de ce livre, qui furent alors considérés comme des opinions trop européennes et fortement gouvernementales, marchent vers leur accomplissement. Que sont devenues aujourd'hui les théories de M. de Lafayette? Qui oserait prendre pour drapeau les principes du vieux libéralisme?

On arrive graduellement aux idées d'un pouvoir fort, à la nécessité impérative de le mettre en dehors de toute contestation, de tout débat. Les intelligences d'avenir s'y rattachent, car notre pays ne sera grand, vis-à-vis de l'Europe et de lui-même, que lorsque l'autorité sera placée dans une sphère libre et indépendante.

Plus tard, lorsque la justice arrivera, il faudra bien admettre que les seize années de la Restauration n'ont pas été sans gloire pour le pays; les hommes forts et capables de cette époque ne sont-ils pas encore aux affaires? ne

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nous ont-ils pas préservé des folies qu'imposaient à la France les vieux amants de la vieille révolution? La paix de l'Europe, la force de gouvernement a été maintenue par les hommes d'État que la Restauration a formés ; ceuxci n'avaient pas cette étrange nouveauté d'affaires qui a compromis si souvent la sécurité du pays.

Si l'on trouve, dans cette nouvelle édition, quelques changements, c'est que les révélations des faits sont successivement arrivées; mais l'auteur reste dans ses principes; il n'en abdique aucun. Un temps viendra où il faudra bien admettre que les folies de la Constituante, ses théories de liberté, ont annulé la France au dehors pour un siècle; quand cette vérité sera bien démontrée, il se formera naturellement, parmi les jeunes hommes d'intelligence et d'avenir, une école véritablement gouvernementale. C'est elle qui aura la tâche de sauver notre pays en le ramenant aux vrais principes de force, de devoir et d'autorité.

J'ai dû compléter cet ouvrage par un précis sur la marche des idées politiques, de la philosophie et de la littérature pendant la Restauration; j'ai toujours pensé que les grands changements se préparaient par les idées avant de s'accomplir par les faits; une révolution est toujours devancée par les enseignements et les livres avant de s'accomplir par les actes; les doctrines ont été, pendant quinze ans, contre la Restauration; elle est tombée, cela devait être. Aujourd'hui qu'il n'est plus de préjugés contre elle, l'impartialité commence.

. J'ai laissé une large part à la diplomatie dans ce livre; c'est de cette partie des affaires que la génération présente est surtout mal informée; l'école diplomatique de la Res

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tauration, depuis M. de Talleyrand jusqu'à M. de Polignac lui-même, est marquée d'une grande et large empreinte ; il est curieux de voir qu'il n'y a pas eu une seule lâcheté pendant cette longue période, et qu'après avoir reçu la France deux fois envahie, les Bourbons l'ont rendue dans une position indépendante, forte et honorable. On ne s'étonnera donc pas qu'un peu de justice ait été rendue aux hommes politiques de cette époque. Les partis ont tant de poëtes et d'orateurs qu'il m'a paru essentiel que le pouvoir ait enfin l'aumône d'une histoire impartiale. Cette histoire est maintenant réduite aux proportions dans lesquelles je désire qu'elle reste; je me suis éclairé de tous les faits; j'ai consulté toutes les sources; j'ai mis mon devoir à recueillir tous les documents, à corriger les erreurs, à développer les parties imparfaites. L'histoire n'arrive à quelque perfection qu'à travers les enquêtes. Interprète habituel des vieilles chroniques, j'ai cherché à porter dans les temps modernes ce caractère de bonne foi naïve des moines de Saint-Denis; eux aussi s'enquéraient partout. Ici, quand le beffroi sonnait la guerre; là, quand les vieux saints avaient parlé aux antiques légendes; puis, quand les bouchers s'étaient battus aux halles de Paris, au temps où les Bourguignons et les Armagnacs avaient arboré leurs couleurs.

L'histoire moderne impose les mêmes devoirs. Nous vivons au milieu des contemporains et des acteurs du drame; quelques-uns sont morts depuis la dernière édition de ce livre; la belle vie de M. de Martignac s'est éteinte, épuisée au milieu des émotions publiques; M. de La Ferronnays est allé joindre son noble ami le duc de Richelieu; une mort prompte l'a saisi au milieu de Rome, l'exil de

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toutes les âmes éprouvées; M. de Rayneval, jeune encore, s'est immolé au service public dans cette ambassade de Madrid où je le vis si profondément affecté des excès d'une révolution qui brisait la diplomatie de Louis XIV; le chef même de l'école politique, M. de Talleyrand n'est plus. A chaque cercueil sa justice; à chaque vie politique son illustration et sa force.

J'ai jugé avec calme l'Europe comme la France; j'ai dû hautement reconnaître et proclamer les illustrations, les capacités des hommes qui dirigent les cabinets; et ne le faut-il pas aujourd'hui, plus que jamais, lorsqu'on vient de traiter le prince de Metternich d'homme d'État médiocre, et M. de Talleyrand de tête complétement incapable? Et qui, juste ciel jette ces injures? une coterie d'hommes qui n'a jamais touché le pouvoir sans le compromettre et le perdre. Ces pauvres brouillons s'imaginent qu'avec les vieilleries de drapeau révolutionnaire, de Constitution et de Marseillaise on fait les affaires d'un peuple, et qu'on peut diriger avec des phrases la politique générale des cabinets.

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