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LA PRINCESSE MATHILDE ET LE PRINCE L. N. BONAPARTE

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de la pétition. M. Odilon-Barrot soutint à la tribune que M. Jérôme Bonaparte exigeait formellement sa rentrée dans le droit commun de tous les Français, et que c'était avec ce caractère et ses conséquences que la pétition devait être renvoyée aux conseils de la couronne; mais en quittant la séance, il écrivait au pétitionnaire: «Il m'a semblé que l'opinion de tous était que vous prissiez le ministère au mot, et que vous le pressiez de réaliser l'engagement qu'il vient de prendre, avant qu'il soit refroidi ou rassuré, avant surtout que la Chambre se sépare. » M. Jérôme Bonaparte suit ces conseils, et par l'intermédiaire de M. Pietri il fait communiquer à Odilon-Barrot la lettre qu'il écrit au conseil des ministres. La demande sous cette forme est jugée insuffisante, une pétition au roi est nécessaire. M. Jérôme Bonaparte charge M. Pietri de la rédiger, et M. Odilon-Barrot de l'approuver. Enfin, deux mois après l'envoi de cette lettre, M. Jérôme Bonaparte reçoit à Bruxelles, le 22 décembre 1847, l'autorisation de résider en France pendant trois mois.

Trente ans d'exil, les ennemis et les embarras de la vie à l'étranger, avaient singulièrement usé la foi de M. Jérôme Bonaparte dans le rétablissement de l'Empire; il éprouvait le besoin de rentrer dans sa patrie, et de s'y ménager une retraite assurée; l'exilé, pour réaliser ces vœux, s'était adressé à Louis-Philippe, à un ancien exilé comme lui. Le lendemain de la révolution de février, on trouva parmi les papiers qui attendaient la signature royale, deux ordonnances, l'une portant allocation d'une pension de cent mille francs, accordée au prince Jérôme, et réversible par moitié sur la tête de son fils, l'autre

élevant le dernier frère de l'Empereur à la dignité de pair de France.

Les longues négociations que le lecteur vient de suivre ne sont pas sans intérêt pour l'histoire; elles prouvent, par le nombre et l'importance des personnages qui s'y trouvent mêlés, par l'intérêt que le gouvernement y attache, la grande place que le bonapartisme occupait encore dans les esprits.

Le second fils de M. Jérôme Bonaparte, Napoléon, était en pension à Genève lorsque sa mère mourut en 1835. Son père l'envoya chez la reine Hortense, à Arenenberg. Napoléon Bonaparte resta un an auprès de sa tante, « n'ayant d'autre précepteur que son cousin Louis Napoléon (1) ». M. Jérôme Bonaparte, au commencement de 1836, allant chercher sa fille Mathilde à Stuttgard, passa quelques mois avec elle dans la résidence de sa belle-sœur. « C'est pendant cette réunion des deux familles que Jérôme et sa belle-sœur formèrent le projet de mariage entre la princesse Mathilde et le prince Louis» (2). Cette union allait se conclure lorsque la conspiration de Strasbourg éclata. L'histoire trouverait aisément dans des lettres rendues publiques sur la rupture de ce mariage, des détails capables de piquer la curiosité et de fournir pâture à la malignité publique; mais elle ne doit lever le voile qui protége l'intérieur des familles que lorsqu'elle espère jeter un jour inattendu sur quelque grand événement, ou une leçon à tous; elle laisse donc à la chronique le soin de réunir et de publier les

(1) Mémoires et correspondance du roi Jérôme et de la reine Catherine. (2) Idem.

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documents qui renferment les vraies causes de la rupture du mariage entre M. Louis Bonaparte et Mile Mathilde Bonaparte, sa cousine.

Le fils aîné de M. Jérôme Bonaparte faisait déjà partie de l'armée wurtembergeoise; le roi Guillaume offrit à son beau-frère de faire entrer son second fils à l'École militaire de Louisburg. Napoléon en sortit avec le numéro 1, et servit deux ans avec le grade de lieutenant. Le général Négrier, le capitaine d'état-major Lebrun, le duc d'Elchingen, le capitaine d'artillerie Beuret, avaient été envoyés en Allemagne pour étudier la situation militaire de la confédération. L'année 1839 touchait à sa fin on chantait ils n'auront pas le Rhin libre à Cologne, et la Marseillaise à Paris; la fréquentation de ces officiers pendant les manoeuvres du 8me corps de la confédération, la vue de la cocarde tricolore, excitèrent chez le jeune Napoléon de patriotiques remords, et le décidérent à envoyer sa démission au ministre de la guerre.

En 1845, lors de la petite agitation bonapartiste, provoquée par la discussion de deux pétitions demandant le rappel de la loi de bannissement des Bonaparte, M. Jérôme Bonaparte obtint pour son fils Napoléon l'autorisation de traverser la France en se rendant en Angleterre. M. Napoléon Bonaparte passa un mois à Paris « à Paris, le jeune prince renoua la chaîne des souvenirs impériaux brisée depuis tant d'années. Ce fut, il faut le dire, dans les rangs de l'opposition, plutôt que dans les rangs du parti ministériel qu'il trouva des encouragements et des marques de sympathie » (1). Une

(4) Mémoires et correspondance du roi Jérôme et de la reine Catherine.

TAXILE DELORD.

1. — 2

lettre de M. Thiers au roi Jérôme, le 13 juillet 1845, contient un détail intéressant sur le séjour de M. Bonaparte à Paris.

« Prince, je prie le prince Napoléon, votre fils, de vouloir bien faire arriver la réponse suivante à votre lettre de Florence du mois de mai dernier. J'ai été fort honoré et fort heureux de voir le fils, objet de vos justes prédilections. Tout le monde a été frappé de ses traits, de sa ressemblance avec la figure la plus populaire des temps modernes, et ce qui vaut encore mieux, de son esprit, de son tact, de sa parfaite attitude. Je ne me suis pas permis de lui donner des conseils dont il n'a pas besoin; mais, dans une circonstance, je lui ai dit ce que je pensais parce qu'il a bien voulu connaître mon sentiment. C'est relativement à la visite qu'il a faite au Roi. Je crois qu'il aurait commis une faute véritable en ne remerciant pas le Roi, auquel il devait la faculté qui lui a été accordée de visiter la France. Du reste, le Prince était incapable de se tromper à cet égard. Il a fait la visite qu'il devait, et il est maintenant à Paris après avoir satisfait à toutes les convenances. »

M. Napoléon Bonaparte passa un mois à Paris et plusieurs mois en Angleterre, à deux reprises différentes; il y retrouva son cousin évadé de Ham. La société anglaise se tenait, à l'égard de M. Louis Bonaparte, dans une réserve voisine de la froideur; elle montra plus de cordialité et de bienveillance à M. Napoléon Bonaparte. La diplomatie française affectait, comme la société anglaise, de marquer par sa conduite la différence qu'elle faisait entre les deux cousins. Les membres de l'ambassade française menacèrent de se retirer d'un club où il était, question d'admettre M. Louis Bonaparte, et où la présence de M. Napoléon Bonaparte était parfaitement acceptée par eux. Ce dernier envoya immédiatement sa démission de membre du club, « n'admettant pas qu'on pût faire une pareille distinction entre lui et son cousin »> (1).

(1) Mémoires et correspondance du roi Jérôme et de la reine Catherine.

M. NAPOLEON BONAPARTE.

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L'histoire doit laisser encore ici à la chronique, la tâche de recueillir dans les lettres particulières, dans les journaux, dans les souvenirs des gens du monde, les faits nombreux qui prêtent aux relations entre les deux cousins un caractère moins cordial.

Un duel de M. Napoléon Bonaparte avec un officier général au service de Toscane servit pendant quelques semaines de texte aux conversations des salons. Les deux adversaires, très-surveillés sans doute par les polices de France et d'Italie, se cherchèrent en vain pendant plusieurs mois. Enfin ils se rencontrèrent. Il était temps; les propos des journaux, l'intervention un peu bruyante des deux témoins de M. Napoléon Bonaparte (1), faisaient souhaiter à ses amis la fin de ces préliminaires. Le duel se termina d'une façon heureuse: personne ne fut blessé.

Les personnes qui approchaient, à cette époque, M. Napoléon Bonaparte, ne voyaient en lui qu'un jeune homme plus satisfait de rappeler les traits de l'Empereur, qu'empressé de raviver les traditions politiques de l'Empire: réconcilié avec le titre de citoyen, il paraissait regretter de n'en pouvoir exercer les droits, et borner son ambition à figurer un jour parmi les aides de camp de M. Odilon-Barrot sur les bancs de la gauche.

Le prince Eugène, fils adoptif de Napoléon I, abjurant son passé, s'était fait présenter à Louis XVIII sous le nom de général de Beauharnais; il prit plus tard le titre de duc de Leuchtenberg, au grand scandale de

(1) MM. Alexandre Dumas et Méry.

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