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à côté du grand principe de la souveraineté nationale, un appel contradictoire à l'imprescriptibilité du droit monarchique, et un retour vers le passé propre à froisser les susceptibilités d'une nation qui avait la prétention d'être rentrée en pleine possession d'elle-même et d'avoir inauguré une ère nouvelle. Le roi Joseph faisait d'ailleurs allusion à de prétendues sympathies de l'Autriche, de la Russie et de l'Angleterre pour la cause de Napoléon II, allusions qui prouvaient combien l'éloignement nuisait, dans l'esprit du comte de Survilliers, à une saine appréciation de l'état de l'Europe (1).

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Le cri de vive Napoléon II n'avait pas trouvé d'écho au milieu des barricades de Juillet. Ce cri proféré par un ancien aide de camp de l'Empereur faillit lui coûter la vie (2). Joseph Bonaparte conçut alors l'idée d'une alliance entre le bonapartisme et la république : « En 1832, le roi Joseph s'étant rendu en Angleterre, son frère Jérôme vint l'y trouver. Le comte de Survilliers eut pendant son séjour à Londres plusieurs entrevues avec les chefs du parti républicain, MM. Guinard, Godefroy Cavaignac, Bastide, entrevues auxquelles le prince Jérôme, étranger par caractère et par principe à tout ce qui ressemblait à une conspiration, ne prit pas part, mais dont il connut les résultats par son frère. Nous regrettons de ne pas pouvoir donner les curieux détails consignés à ce sujet dans nos notes, nous dirons seulement qu'une entente sérieuse ne put s'établir entre le chef de la famille Bonaparte et les représentants de

(1) Mémoires et correspondance du roi Jérôme et de la reine Catherine. (2) Achille de Vaulabelle, Histoire des deux Restaurations.

la jeune école républicaine, telle qu'elle venait de se former après 1830.

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Le roi Joseph parlait un langage tout différent de celui de ses jeunes et ardents interlocuteurs; on ne put le comprendre. Le comte de Survilliers reconnut ce que lui avait dit son frère Jérôme, que l'idée bonapartiste telle qu'elle pouvait s'adapter aux besoins de la société moderne n'était pas encore dégagée du travail de fermentation qui agitait les esprits, et qu'il fallait de la patience et attendre (1). »

Joseph Bonaparte, mort en 1844, s'était pénétré des conseils de son frère Jérôme au point de ne plus compter du tout sur l'avenir de l'idée bonapartiste. Les tentatives de son neveu Louis-Napoléon à Strasbourg et à Boulogne pour relever l'Empire n'inspiraient à Joseph Bonaparte pas plus de confiance dans l'intelligence de leur principal acteur que dans son étoile. Un écrivain (2) connu par de nombreux et d'intéressants travaux sur notre histoire contemporaine, raconte qu'il lui est arrivé plus d'une fois de se trouver dans le cabinet de M. Joseph Bonaparte, à Londres, au moment où M. Louis Bonaparte se présentait chez son oncle; se levant alors pour prendre congé, il était instamment prié de rester par le maître de la maison, afin de lui épargner l'embarras d'un tête-à-tête que les chimères, dont l'esprit du nouveau visiteur était plein, rendaient très-fatigant, disait-il, et très-ennuyeux.

Napoléon et Lucien, les deux complices du 18 brumaire brouillés à la suite du refus de Lucien de rompre

(1) Mémoires et correspondance du roi Jérôme et de la reine Catherine. (2) M. Sarrans jeune.

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son second mariage avec la veuve d'un agent de change de Paris, s'étaient réconciliés en 1815, et séparés assez froidement après Waterloo; Lucien, accueilli amicalement une première fois en Angleterre, se préparait à s'y rendre de nouveau; la captivité de son frère sur le Bellerophon lui fit chercher une autre retraite ; il la trouva dans les environs de Rome, à Tusculum, où il passait son temps à faire des fouilles, absorbé dans les occupations et dans les émotions de l'archéologie, à l'abri des orages politiques mais non des coups de main des brigands. qui, un jour, furent sur le point de l'enlever dans sa villa même. Lucien, lorsqu'il mourut en 1840 à Sinigaglia, presque ruiné par de fausses spéculations, comptait si peu sur la restauration de l'Empire pour rétablir la fortune de ses enfants, qu'il les avait tous fait naturaliser Romains.

Louis Bonaparte, uni, malgré lui, à Hortense de Beauharnais, ressentit, disent ses amis, de cette contrainte une de ces tristesses et un de ces découragements profonds que causent les douleurs domestiques, les plus terribles de toutes les douleurs parce qu'elles se font sentir à chaque instant; Louis Bonaparte, caractère indécis et soupçonneux, en proie à une méfiance incurable de soimême et des autres, vivait dans la solitude en Italie, cultivant pour se distraire les lettres et la poésie, ne montrant aucun penchant à croire que le trône de Napoléon I pût être relevé, surtout par le second de ses fils.

Jérôme Bonaparte, le plus jeune des frères de l'Empereur, léger, aimant les plaisirs, s'était exposé plus d'une fois aux réprimandes du chef de la famille. Visitant l'Amérique en qualité d'officier de marine, il

avait épousé à Baltimore mademoiselle Patterson, jeune et belle Américaine; un ordre de l'Empereur rompit bientôt ce mariage. Jérôme devint roi de Westphalie ; ce roi que son frère mettait parfois aux arrêts comme un sous-lieutenant, et qui avait pour secrétaire de ses commandements le facétieux romancier Pigault-Lebrun, menait la vie assez lestement, quoique uni à la fille du roi de Wurtemberg.

Jérôme Bonaparte, obligé de quitter Paris après la chute définitive de son frère, errait d'asile en asile et de ville en ville. Le voisinage de Rochefort, distant à peine le quelques lieues de Niort, où il s'était réfugié, lui permit de fréter un navire pour passer en Amérique. Fouché, au milieu de ces préparatifs, le fit prévenir que sa retraite était découverte. Jérôme Bonaparte revint à Paris, où M. Abbatucci, ancien consul de Naples à Trieste, lui offrit une retraite pendant que des amis négociaient, auprès du roi de Wurtemberg, beau-père de Jérôme Bonaparte, pour obtenir la permission de vivre désormais dans ses États. Le roi de Wurtemberg, après bien des hésitations, voulut bien assigner à son gendre le château de Gæppingen comme résidence. Jérôme Bonaparte partit pour le Wurtemberg sous un déguisement. « Arrivé sur le pont de Kehl, quand il eut fait un pas au delà de la frontière, Jérôme, se retournant, aperçut un officier de gendarmerie français. Cet officier, en se découvrant, lui dit : « J'avais ordre d'arrêter Votre Majesté. Je rendrai compte au ministre de la police que j'allais le faire au moment où elle a mis le pied sur le territoire allemand. » Il a été reconnu depuis que Fouché avait organisé cette poursuite simulée pour se mettre à couvert

M. THIERS ET JEROME BONAPARTE.

vis-à-vis du gouvernement royal et pour se soustraire à l'odieuse obligation d'arrêter le roi (1).....

Jérôme Bonaparte aurait désiré se fixer en Italie; il sollicita vainement cette autorisation pendant près de quatre ans. «Enfin, au congrès de Vérone, l'empereur Alexandre emporta de haute lutte, auprès de ses alliés ou de leurs représentants réunis autour de lui, l'autorisation qui permettait au roi Jérôme et à la reine Catherine de s'établir à Rome (2). »

Les membres de la famille Bonaparte s'attendaient à être rappelés en France après l'expulsion des Bourbons de la branche aînée. Louis-Philippe s'appuyait sur les généraux de l'empire, Soult, Mortier, Gérard, Lobau, Reille, d'Erlon; il prenait Gourgaud et Heymès pour aides de camp, mais il ne parlait pas d'abroger la loi de 1816; aussi les bonapartistes, mécontents du maintien de cette loi, ne furent-ils pas étrangers aux agitations qui marquèrent les premiers jours de la monarchie nouvelle. Jérôme Bonaparte ne contribua point à les exciter. « ]] sut s'élever à une appréciation impartiale de la révolution nouvelle, et reconnut la légitimité d'un régime auquel il était décidé à demander la jouissance du droit commun par les voies légales (3). »

La loi de 1816 bannissait les Bonapartes du territoire sous peine de mort, tandis que les Bourbons se trouvaient exilés de fait seulement. M. de Bricqueville, ancien colonel de l'Empire, député de la Manche, déposa, le 14 septembre 1831, sur le bureau de la Chambre, une

(1) Mémoires et correspondance du roi Jérôme et de la reine Catherine. (2) Idem.

(3) Idem.

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