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M. LOUIS BONAPARTE CANDIDAT MALGRÉ LUI.

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ont exilé le glorieux martyr de Sainte-Hélène, mais les baïonnettes étrangères qui sont venues nous imposer une famille odieuse, qui a constamment travaillé à la ruine de notre patrie.

>> Rappelons-nous tous les bienfaits de Napoléon et sa grandeur infinie.

› Rappelons-nous aussi les bienfaits et la grandeur d'âme de Joséphine la bien-aimée de la France.

> Nommons tous Napoléon-Louis Bonaparte, petit-fils de Joséphine, neveu du grand Napoléon; il est digne de son oncle par son courage et par ses idées démocratiques.

» Lisez l'Extinction du paupérisme qu'il a écrit à la prison de Ham. Je suis sûr que vous saurez apprécier son cœur, ses talents et son amour du peuple.

» Vive la République!

» Salut et fraternité.

» Signé : DAMERVAL, ancien militaire, aujourd'hui ouvrier vannier, 17, à la Halle aux Blés. »

Les murs se couvrent en quelques jours d'affiches semblables aux précédentes signées tantôt de noms véritables, tantôt de pseudonymes. Pas une de ces affiches qui ne présente le candidat comme un ardent républicain. «< Le Prince,» dit M. de Montholon aux électeurs, « est un bon patriote, un républicain sincère qui fera tout ce qui dépendra de lui pour que la France soit et reste républicaine. » Un autre ami du candidat déclare que « le citoyen Napoléon Bonaparte a donné depuis longtemps des preuves incontestables de la vérité de ses opinions républicaines, en déclarant qu'il n'avait jamais cru et qu'il ne croirait jamais que la France fût l'apanage d'un homme ou d'une famille. Le peuple a parlé, il a proclamé la république démocratique, Louis Napoléon la défendra avec nous. » Un troisième parrain de M. Louis Bonaparte affirme que « la république grande, fraternelle, est dans le cœur, dans la pensée de Louis Napoléon Bonaparte; comme nous, il veut le développement le

TAXILE DELORD.

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plus complet du principe démocratique. »> Enfin, pour ne pas trop multiplier ces citations, un quatrième s'écrie : « Cet enfant de Paris, notre frère à tous, une fois assis au sein de l'assemblée où nous l'aurons envoyé, sa voix se réunira, messieurs, à celles qui demanderont l'application franche et loyale de notre immortelle devise :

« Liberté, Égalité, Fraternité. »

Les partisans du régime impérial qui passent devant la boutique de bottier, située passage des Panoramas, galerie des Variétés, doivent se sentir saisis d'une reli- . gieuse émotion; c'est dans la soupente de cette boutique obscure que se réunissaient M. de Persigny, M. Laity et les principaux promoteurs de la candidature de M. Louis Bonaparte les agents électoraux venaient là recevoir leurs instructions, de là partaient les hommes chargés de la pose des affiches, véritable mission de dévouement dans certains quartiers. A la place Maubert, par exemple, le colleur, menacé par les ouvriers, est obligé de se réfugier dans une maison où les femmes lui donnent asile : même scène sur la place de l'Hôtel de Ville; les cris: Vive l'Empereur! accueillent au contraire, sur la route d'Allemagne, la pose de la première affiche bonapartiste; une femme à Belleville demande une affiche au colleur qui vient de poser la dernière, elle l'arrache et s'enfuit en disant : « Mon mari est malade, et de savoir qu'on vote pour Napoléon, ça le guérira. »

M. Louis Bonaparte, qui jusque-là s'était tenu dans une complète abstention, prit enfin la résolution d'entrer personnellement dans la lice en adressant des billets auto

M. LOUIS BONAPARTE ENTRE DANS LA LICE.

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graphes aux personnes que M. de Persigny lui désignait comme les plus dévouées à son élection. Le charbonnier Labregal, le cordonnier Devaux, et presque tous les fidèles inscrits sur la liste insérée plus haut en reçurent: les subsides indispensables à la propagande arrivèrent en même temps de Londres.

Une lithographie représentant l'Empereur montrant du doigt Louis-Napoléon à la France, des biographies, des portraits, des médailles, sont répandues à foison; une avalanche d'amulettes bonapartistes tombe sur Paris. La musique se met de la partie; la candidature du citoyen Louis Bonaparte proposée aux prolétaires par M. Émile Thomas, directeur des ateliers nationaux, en attendant de devenir rédacteur en chef du journal bonapartiste Le 10 Décembre, et régisseur des biens du prince-président dans la Sologne, est chantée par des centaines de ténors nomades dans tous les carrefours à grand renfort d'orgue de Barbarie.

Napoléon, rentre dans ta patrie!
Napoléon, sois bon républicain !

La presse vient en aide à la peinture, à la musique et à la poésie. Les anciens journaux bonapartistes, le Capitole, la Colonne, l'Idée Napoléonienne, la Revue de l'Empire, ont pour remplaçants: l'Aigle républicain, le Petit Caporal, la Redingote grise, la Constitution, journal de la République napoléonienue, le Napoléonien, le Bonapartiste, etc. Quelques-uns de ces journaux sont rédigés par des gens qui paraissent naïfs et sincères dans leur admiration pour Napoléon I; le

plus grand nombre se sert de l'Empereur et de l'Empire comme d'une arme à double tranchant pour attaquer la République et les hommes du gouvernement républicain. Les journalistes bonapartistes, s'ils n'ont pas toujours du talent, ne manquent jamais d'habileté ; les articles suivants le prouvent, le premier emprunté au Napoléon républicain et intitulé: Mes proclama

tions.

«Dans le silence du sépulcre où m'a cloué la mort, le bruit de neuf voix qui jasent m'a réveillé. J'ai levé la tête, et j'ai regardé la France. » Elle attendait encore cent jours après l'écroulement d'un trône, les bras croisés, qu'un signal énergique organisât ses travaux.

» Je me suis laissé dire qu'à cet effet, le pays avait convoqué son élite.

>> Ses chantiers étaient froids et déserts; l'enclume semblait morte; les bobines des filatures sommeillaient à leurs tiges rouillées.

» L'artiste pleurait sur ses pinceaux.

» On se demandait à la Bourse des nouvelles du crédit.

» Et je compris à ce dernier symptôme que ce repos universel n'était pas d'un jour de fête.

» Les neuf cents voix jasaient toujours.

>> Est-il vraiment possible qu'après quelques mille années d'histoire, l'organisation du travail n'est pas l'alphabet de la civilisation?

>> Est-ce que nos aïeux n'ont pas lancé des flottes, colonisé des landes, défriché des déserts, bâti des villes, construit des ponts, élevé des palais, des citadelles et des cathédrales?

J'ai vu, moi, le Simplon s'abaisser devant mes regards, des rivières se répandre à travers d'immenses campagnes, d'impraticables marais s'assainir, des arcs-de-triomphe s'élever comme par enchantement?

» Ai-je épuisé notre pays par ma gloire? La tête n'a-t-elle plus d'idées, le cœur plus de dévouement, le bras plus de muscles? La République aurait-elle oublié l'Empire?

>> Dans l'intervalle des défis sanglants que m'adressait coup sur coup l'Europe, je me suis bien gardé de jeter ma parole au vent. Concevoir des plans en silence, mettre en un clin d'œil des masses en mouvement pour les exécuter, tout cela n'était qu'un éclair de ma pensée. Je ne parlais que par proclamations, et la série de mes proclamations atteste celle de mes initiatives.

» Plus d'une fois la nuit, le panorama du pays s'est développé dans ma tête. Comme le père de famille, je ne songeais qu'à vous, sachant que je pouvais compter sur vous. Mon cœur était fécond de votre bon vouloir. Mon vocabulaire était riche parce qu'il était l'expression de mes

LA PRESSE BONAPARTISTE.

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actes. Le plus ridicule de tous les métiers, c'est de màcher la phrase à vide.

» Fermez votre oreille à tous ces propagateurs de plans gigantesques, tout disposés à bâtir l'édifice de votre bonheur quand vous aurez eu la complaisance de leur donner des milliards. Vous devriez bien être las de leurs flagorneries et de leurs romans : « La France est un pays qui s'ennuye! » disait, il n'y a pas longtemps, l'un de vos splendides ora

teurs.

> Dites-lui de ma part de faire son meȧ culpȧ.

» NAPOLEON. »

Le Petit Caporal explique ainsi son titre :

» Le petit caporal n'est pas cet empereur de théâtre, habillé sur les dessins de David, mais le général avec sa redingote grise; c'est le bourgeois de Paris qui se mêle aux groupes populaires les jours de fête, et qui apprend par les conversations particulières, les abus à réformer, les injustices à réparer; c'est le chef d'armée qui n'oublie ni le nom ni la figure d'aucun de ses soldats, et qui, à défaut d'un grade quand l'instruction élémentaire manquait, savait récompenser le grognard ou le

conscrit

» En lui faisant jaillir une étoile du cœur.

» Non! le petit caporal n'est pas mort, c'est le Christ de la gloire, et quand il reposait là bas dans l'Atlantique, sous les mimosas brûlés de Sainte-Hélène, il n'eût fallu qu'un Pierre l'Ermite pour entraîner des millions de croisés à la conquête de son tombeau.

› Qu'avez-vous à lui reprocher au petit caporal? d'avoir égorgé la République sa mère; mais elle-même lui avait dit : Frappe le ventre! (feri ventrem) tant elle rougissait de sa dégradation. Ce n'était plus la femme forte et courageuse, mais une Messaline dans le boudoir du directeur Barras. Et puis il chassait les avocats, ce choléra du monde politique, et le peuple aujourd'hui ne désire-t-il pas mélanger la tribune parlementaire encombrée de rhéteurs!

» Mais le petit caporal ne mourra pas; comme le Christ présent dans l'hostie, il est présent, lui, dans toute idée de gloire et de grandeur, et le peuple communie avec lui, car le peuple qui lui doit le rétablissement du culte, n'oublie pas ses principes religieux; il comprend trop qu'un État périt quand il s'étaye sur des mœurs provisoires. Encore une fois non, le petit caporal ne mourra pas. »

L'association secondait l'action de la presse : la société des débris de l'armée impériale, formée à l'occasion du retour des cendres de l'Empereur, n'avait pas cessé d'exis

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