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des avantages qui compensent ses imperfections; mais, si chaque législation est en rapport avec les institutions et les mœurs du pays qu'elle régit, pourquoi vouloir que la nôtre prenne ses formes de procéder dans un milieu tout autre que le sien?

Respectons donc nos lois, au lieu de les discréditer par des attaques systématiques. Reconnaissons et maintenons ce qu'elles ont de bon, actuellement; que s'il y a encore quelques améliorations possibles, signalons-les comme progrès, et l'examen provoqué en assurera sans doute la réalisation.

La jurisprudence n'a-t-elle pas aussi sa part dans les critiques qui viennent d'être examinées? Ce devrait être, puisque c'est elle qui, par ses interprétations et applications, donne aux lois la portée et les effets dont on se plaint. Pourquoi ne lui demande-t-on pas de concourir aux améliorations désirables, autant qu'il dépend d'elle, en résolvant à ce point de vue les questions qui comportent une telle latitude? Au moins devrait-on examiner ses décisions, pour voir comment sont entendues ou expliquées les lois sur lesquelles porte la critique. Ce serait le meilleur moyen de se fixer sur les réformes à demander au législateur.

Prenons pour exemple ce qui concerne la détention préventive, qu'on dit fort rare en Angleterre et trop fréquente chez nous. Cette précaution rigoureuse est un mal parfois nécessaire, mais souvent inutile, que nos lois tendent à réduire de plus en plus. Différents moyens ont été employés dans ce but faculté donnée aux juges d'instruction de s'en tenir à un mandat de comparution quand cela se peut sans danger, accélération de la procédure par des combinaisons nouvelles, facilités diverses pour la mise en liberté provisoire en toute matière et en tout état de cause: tout cela, fortifié par des exposés de motifs et des explications réitérées, où il est recommandé aux magistrats d'entrer pleinement dans l'esprit de la loi, de considérer la consécration du principe de la liberté de droit dans les cas prévus comme marquant les tendances et l'esprit de la loi nouvelle, comme faisant comprendre aux juges que son vœu est la liberté provisoire en matière correctionnelle. Cette recommandation favorable est-elle généralement observée ? Sans doute il est difficile de contrôler l'exercice par les magistrats du pouvoir d'appréciation qui leur a été confié, si ce n'est en comparant d'après les statistiques le nombre et la durée des détentions subies pour délit avec le nombre restreint des cas de liberté provisoire laissée ou accordée. Mais le contrôle est possible, relativement aux solutions motivées sur les questions de droit ou d'interprétation que des textes imparfaits ont laissé aux tribunaux le soin de résoudre. Il y en a eu déjà beaucoup, quant à la liberté provisoire demandée dans des situations que les textes n'ont pas spécialement prévues; nous les avons examinées en leur temps et, s'il y en a qui ont dû reconnaître l'impossibilité de franchir des limites légales, d'autres peut-être n'ont pas

assez fait prévaloir l'esprit de la loi ainsi que le pouvoir qui en résulte pour les juges 16.

Autre exemple: La contrainte par corps, abolie en matière civile et commerciale nonobstant les engagements même sanctionnés par jugement, a paru devoir être conservée pour la plupart des condamnations pécuniaires qui seraient prononcées en justice répressive. Mais c'était une exception, difficilement justifiée, qui devrait dans le doute être plutôt restreinte qu'étendue. La jurisprudence s'est-elle conformée à l'esprit de la loi abolitive, quand elle a résolu des questions d'applicabilité de l'exception ou bien de durée proportionnelle? Il y a controverse 17.

L'embarras est grand pour une interprétation satisfaisante, lorsqu'il s'agit d'une loi qui a deux principes contraires en présence, comme cela se voit dans trois lois récentes. C'est à expliquer.

Avant la loi du 25 mai 1864, la coalition entre ouvriers ou entre patrons, dans les conditions prévues par les art. 414-416 C. pén., était un délit punissable. Cette loi a considéré comme un droit la coalition simple, appelée « concert et union de ceux qui travaillent ou de ceux qui font travailler, s'entendant librement pour fixer les conditions du travail » (Exposé de motifs); mais elle a maintenu, même pour les cas de coalition, celles qui réputent illicites les associations non autorisées; de plus, elle a prononcé des peines, plus ou moins fortes selon la gravité des atteintes à la liberté du travailleur ou du patron, contre ceux qui auraient usé de violences, voies de fait, menaces ou manœuvres frauduleuses. Quand il s'agit de caractériser les faits, de décider, par exemple, s'il y a eu seulement concert licite ou bien association interdite, faut-il dans le doute admettre le système suivant lequel le droit de coalition impliquerait une entente même organisée avec permanence, ou bien punir l'association reconnue ainsi que tous faits réputés attentatoires à la liberté ou au libre exercice de l'industrie ou du travail ? La question s'est présentée pour des coalitions organisées dans diffé– rentes situations: toujours la jurisprudence a refusé d'étendre le droit nouveau de coalition et elle a décidé que la loi sur les coalitions n'autorisait pas les associations supposées n'être qu'un moyen nécessaire ; qu'on doit punir comme association la coalition organisée à l'état permanent, avec une caisse de secours ou de résistance se remplissant au moyen de souscriptions; qu'il y a aussi délit, soit de la part du comité représentant les coalisés qui refuse ou n'accorde que conditionnellement les autorisations de travail à lui demandées, soit des ouvriers

16. Voyez notre Commentaire et notre dissertation, J. cr., art. 8112 et 8668, ainsi que les arrêts ci-après : 17 févr. et 27 juill. 1867 (J. cr., art. 8374), 4 et 23 avril 1868, 19 et 15 juin, et 16 juill. 1868 (J. cr., art. 8668 et 8681).

17. Voy. 1. 22 juill. 1867 (J. cr., art. 8471 et 8524); arr. 29 avril, 16 mai, 27 août et 16 déc. 1868 (J. cr., art. 8667, 8717, 8744 et infrà).,

coalisés qui profèrent des menaces pour exclure un ouvrier ayant repoussé la cessation de travail concertée 18.

L'esprit de la loi nouvelle sur la presse politique est libéral, à en juger par les travaux préparatoires et par les dispositions principales, ayant supprimé la condition d'autorisation préalable et le régime administratif qui remplaçait la répression judiciaire. Mais c'est autre chose quant aux abus répréhensibles, au double point de vue des incriminations et des formes tracées pour une prompte répression. Les questions qui s'élèvent étant afférentes à des prohibitions enfreintes ou à des abus commis, la jurisprudence s'inspire moins des idées de liberté, qui se rapportent à la fondation et à la propriété des journaux, que des dangers résultant pour l'état social ou politique de la multiplicité des infractions répréhensibles. On le voit dans de récents arrêts qui, sur des questions régies les unes par d'anciennes dispositions et d'autres par les nouvelles, non-seulement répriment avec fermeté tous faits jugés délictueux, tels que délits d'excitation à la haine et manœuvres ayant ce but, mais aussi donnent aux prescriptions légales ainsi qu'aux prohibitions une sanction se trouvant moins dans les textes nouveaux que dans la référence d'après les travaux préparatoires à des dispositions antérieures, par exemple pour le dépôt lors de la publication et pour les comptes rendus interdits 19.

S'il est une loi où domine manifestement l'esprit de libéralisme, c'est surtout celle qui vient d'autoriser les réunions publiques, non-seulement pour l'examen des candidatures au Corps législatif dans une période précédant les élections, mais même pour toutes discussions autres que celles qui porteraient sur la politique ou la religion. Cependant les décisions jusqu'ici rendues sur des questions dérivant de cette loi, quoiqu'elles aient été précédées de plaidoiries imposantes, ont toutes jugé punissables les faits qui étaient poursuivis comme abusifs; et nousmême, loin de voir là une déviation des principes de la loi nouvelle, nous avons admis en la commentant qu'elle devait punir de tels faits 20. Comment justifier cette apparente contradiction? La loi qui donne ou reconnaît une liberté, pour les droits individuels, lui trace une limite, nécessaire dans l'intérêt public; et cette limite a dû être sanctionnée, pour qu'il fut possible de la faire respecter. Les individus, s'abusant souvent sur l'étendue de leur droit, l'excèdent parfois et provoquent ainsi une poursuite; l'office du juge est de faire respecter la loi, de quelque côté qu'elle ait été méconnue. Or pour lui, en pareil cas, la règle n'est pas

18. L. 25 mai 1864 (J. cr., art. 7939); arr. 22 févr. 1866, 3 avril 1867 et 7 févr. 1868 (J. cr., art. 8187, 8411 et 8625).

19. Voy. arr. 29 févr., 3 et 4 avril, 9 juill. et 20 août 1868 (J. cr., art. 8601, 8627, 8628, 8677 et 8685); arr. 24 juill. et 12 décemb. 1868 (J. cr., art. 8706 et infrà).

20. Voy. J. cr., art. 8718, p. 329 et 320, et arrêts actuellement soumis à la Cour de cassation.

seulement dans l'esprit libéral de la loi; elle doit être surtout dans les limitations sanctionnées, qu'il reconnaît enfreintes en appréciant sainement les faits. De là ces décisions répressives, qui sont signalées comme contraires au principe proclamé sans qu'on remarque également les licences même excessives où sont de vrais abus.

En toutes matières, au reste, la jurisprudence marche fermement, de plus en plus, dans la voie ouverte par nos lois criminelles pour la répression des faits jugés punissables. C'est ce que nous démontrerons dans des résumés successifs.

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Il y a contravention à l'art. 63 de l'ordonnance du 15 novembre 1846, ce qui entraîne la peine édictée par l'art. 21 de la loi du 15 juillet 1845, dans le fait du voyageur qui, n'ayant de billet que pour une station déterminée, la dépasse sans payer le supplément dû, lorsque d'ailleurs sa volonté de se procurer un transport gratuit est reconnue 1.

LA COUR ;

ARRÊT (Min. publ. c. Rigal).

-

Attendu qu'il est constant en fait que le prévenu a pris, le 14 février dernier, sur le chemin de fer de Marseille à Lyon, un billet pour se rendre de Mornas à Mandragon; qu'arrivé à la gare de cette dernière localité, il est resté dans le wagon où il s'était placé avec l'intention, qu'il a réalisée, de se faire transporter jusqu'à Lyon, sans payer un supplément de prix pour ce nouveau parcours; attendu que les faits ainsi établis constituent une infraction aux art. 21 de la loi du 15 juillet 1845 et €3, no 1, de l'ordonnance du 15 nov. 1846; que ces dispositions spéciales ont en effet pour but de réprimer les fraudes commises au préjudice des compagnies de chemins de fer; qu'aux termes de l'art. 63 de l'ordonnance précitée, il est défendu d'entrer dans les voitures sans avoir pris un billet; que ces expressions révèlent suffisamment que le législateur a prévu le cas où un voyageur entrerait dans un wagon et l'occuperait volontairement dans le but de se procurer un transport gratuit; qu'en restant dans le wagon au delà de la station à laquelle il avait droit de se rendre, le prévenu est en réalité entré dans le wagon sans avoir pris le billet qui lui aurait donné le droit de poursuivre sa route jusqu'à Lyon; attendu d'ailleurs que le voyageur de bonne foi qui par inadvertance ou par tout autre motif, ne s'arrêterait pas à la station fixée par son billet, s'exonérera toujours des poursuites dont il pourrait être menacé en faisant spontanément connaître sa situation aux employés du chemin de fer et en payant un supplément de prix; — réforme, déclare Rigal coupable d'avoir contrevenu, etc.

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Du 9 juill. 1868. - C. de Toulouse, ch. corr. M. Tourné, prés.

1. Voy. dans ce sens notre art. 8603, avec ceux auxquels il renvoie.

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Après information pour attentat à la pudeur sur un mineur de treize ans et renvoi en police correctionnelle pour outrage public à la pudeur, le tribunal, appréciant le fait dans son ensemble et le trouvant indivisible en ce qu'il est un, peut se déclarer incompétent parce qu'il y aurait crime, alors même que le ministère public voudrait restreindre la prévention à la partie du fait qui ne présenterait qu'un outrage à la pudeur publique.

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ARRET (Min. publ. c. Moreau).

LA COUR ; Considérant que le fait unique commis par Moreau sur la personne de Florine W... a été dénoncé par W... père, comme constituant un attentat à la pudeur; que sur sa plainte, une poursuite criminelle a été dirigée contre Moreau par le ministère public, sous prévention d'attentat à la pudeur sur une enfant âgée de moins de quinze ans, ce qui voulait dire, sans doute, âgée de moins de treize ans; qu'ainsi les termes du réquisitoire introductif d'instance ne peuvent laisser aucun doute sur la volonté du ministère public d'exercer l'action publique contre Moreau à raison du fait commis sur Florine W..., âgée de moins de treize ans ; qu'il n'y a donc pas lieu de rechercher, en droit, si le ministère public était libre d'exercer ou de ne pas exercer son action; qu'il suffit de reconnaître qu'il l'a exercée sans réserve en requérant information à raison de l'attentat commis sur la personne de Florine W... ; qu'après l'information, sur les conclusions conformes du procureur impérial, le juge d'instruction, appréciant les faits résultant de la procédure, par ordonnance du 15 février 1868, a renvoyé Moreau devant le tribunal correctionnel, sous prévention d'outrage public à la pudeur; qu'il est encore inutile d'examiner si le ministère public avait le droit, et s'il est conforme à la bonne administration de la justice, dans un procès criminel, de détacher certaines circonstances accessoires du fait principal pour créer un simple délit avec quelques éléments d'un crime laissé dans l'ombre; de relever, par exemple, dans un meurtre, les coups et blessures volontaires, sans tenir compte de la volonté de donner la mort, des armes employées, de la perversité des coupables, de la préméditation ou du guet-apens, ni du résultat des blessures; et de saisir les tribunaux correctionnels d'un délit de coups et blessures, simple accessoire du meurtre, qui disparaîtrait ainsi par le fait même de l'autorité chargée de recueillir les preuves des crimes et de livrer leurs auteurs aux tribunaux; - qu'il importe de constater ici que le ministère public n'est pas entré dans cette voie, puisqu'il a requis information à raison du crime commis sur Florine W... et contre son auteur; qu'il faudrait cependant faire observer, si cette voie était tentée, que la poursuite correctionnelle pour coups et blessures, lorsqu'il s'agit de meurtre, pour outrage public à la pudeur s'il s'agit d'un attentat à la pudeur commis publiquement, circonstances accessoires du crime, avant qu'il ait été statué sur le crime même par la juridiction compétente pour apprécier les faits dans leur ensemble, rendrait cette poursuite difficile, sinon impossible, multiplierait les procédures, constituerait un empiétement sur la juridiction du jury, une violation de la règle non bis..., et une infraction au principe de l'art. 365 JANVIER 1869. 2

J. cr.

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