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admise par la Cour de cassation, dont les premiers motifs étaient ceuxci: «Que lorsque le délit objet de la poursuite est complexe et comprend un ensemble de faits qu'il s'agit de constater et d'apprécier au point de vue de la qualification légale, le tribunal du lieu où se sont accomplis les plus importants de ces faits est compétent pour connaître du délit lui-même; qu'il en est ainsi lorsqu'il s'agit d'un délit d'escroquerie, dont l'élément caractéristique le plus important consiste dans des manœuvres frauduleuses, qui ont pour but de déterminer la remise des valeurs ou effets escroqués » (Rej. 9 décembre 1864; J. cr., art. 7977). Cette thèse était contestable, en ce qu'elle attribuait compétence au juge du lieu des manoeuvres seules, à l'exclusion de celui du lieu où avaient été obtenues les remises consommant l'escroquerie. Aussi l'arrêt, après avoir établi les manœuvres et dit que le tribunal saisi <«< était compétent à raison du lieu de la perpétration du délit,» a-t-il donné un autre motif, mais qui dérivait de la résidence et en disant que la compétence existait « sous cet autre rapport. »

Récemment, la question s'est élevée sur déclinatoire présenté au juge d'instruction par deux inculpés et sur opposition devant la chambre d'accusation à l'ordonnance rejetant l'exception. L'arrêt intervenu, recherchant d'abord le lieu du délit quant aux escroqueries que la prévention disait avoir été commises par des manoeuvres à Paris et par envois de fonds expédiés d'une ville de province, a considéré que les *remises étaient faites à Paris, puisqu'elles avaient lieu par la poste. Puis, examinant les autres escroqueries prétendues qui résulteraient des manœuvres de Paris avec continuation et avec obtention ailleurs, il a dit que l'obtention était « le résultat d'un ensemble de manœuvres frauduleuses concertées à l'avance, à Paris, entre tous les inculpés; que ce concert et l'ensemble des manœuvres constituent un tout indivisible, qui établit un lien de connexité entre tous les autres faits incriminés. » Enfin il a donné à l'un de ces faits la qualification de crime commis à Paris, et par suite a déclaré incompétent le juge d'instruction de Villeneuve (C. d'Agen, ch. d'acc., 40 mai 1868). Le même déclinatoire ayant été présenté devant le tribunal correctionnel de Villeneuve par les autres inculpés, le jugement et l'arrêt confirmatif l'ont rejeté en disant: « Qu'une des prétendues escroqueries se serait accomplie à Villeneuve par la remise de... dans les mains de Ch. L...; que pour elle, le tribunal de Villeneuve est évidemment compétent; que quant aux autres faits, préparés ou accomplis soit à Villeneuve, soit ailleurs, il est prétendu que les mêmes manœuvres frauduleuses qui auraient déterminé la remise de ces fonds auraient aussi déterminé plusieurs autres capitalistes à confier leurs fonds, soit à L..., soit à D...; qu'il semble résulter de la procédure et des débats qu'il existait à Paris, entre L... et D... un concert frauduleux, ourdi de longue main...; qu'il y avait connexité de délits et que le tribunal de V..., compétent pour l'un, l'est également pour tous les autres » (C. d'Agen, ch. corr., 14 août 1868). Le pourvoi en cassation soutenait, entre autres moyens,

que l'arrêt attaqué plaçait à Paris l'ensemble des manoeuvres ainsi que les plus fortes remises et ne constatait pour le lieu à Villeneuve que deux remises relativement minimes, reçues sans manoeuvres frauduleuses en ce lieu; qu'ainsi les juges de la Seine seraient certainement compétents et que ceux de Villeneuve n'avaient pu s'attribuer compétence pour le tout à raison seulement de deux faits secondaires. Il a été rejeté, parce qu'il paraissait résulter de l'arrêt attaqué qu'outre les remises obtenues à Villeneuve il y avait eu là des manoeuvres frauduleuses déterminantes 1.

Si le lieu du délit est

V. Pluralité, prorogeant la compétence. éminemment attributif de compétence pour la poursuite ou l'instruction et le jugement, parce que là s'est produit le mal à réprimer et doivent se trouver les preuves, ce n'est pas le seul, dans une législation voulant assurer la répression partout où elle est possible notre Code d'instruction criminelle, art. 23 et 63, déclare également compétents les magistrats du lieu de la résidence du prévenu, dont les antécédents doivent y être bien connus, et même ceux du lieu où il pourra être trouvé, lorsqu'ils l'y font arrêter. Ces trois causes de compétence existent, quand il y a plusieurs codélinquants, vis-à-vis de chacun d'eux et pour le jugement de tous ensemble, à raison du principe de l'indivisibilité des procédures; de plus, s'ils ont commis plusieurs délits qui soient connexes pour l'une des causes énumérées dans l'art. 227 du Code d'instruction, les magistrats compétemment saisis pour l'un d'eux ont encore une prorogation de compétence à l'égard des autres délits, par le seul effet de la connexité reconnue. Il y a là des causes de compétence nombreuses et diverses, qui engendrent des conflits ou des résistances, selon les situations.

Lorsque deux poursuites sont simultanément engagées dans des arrondissements différents, l'indivisibilité quant aux codélinquants et même la simple connexité entre les délits ouvrent une voie organisée pour parer aux inconvénients et dangers d'une disjonction, qui disséminerait les preuves et pourrait produire la contrariété de décisions :

1. LA COUR; Attendu qu'il résulte des constatations de fait de l'arrêt attaqué que les frères Lenoir et Dubois sont prévenus d'avoir pratiqué à Villeneuve-sur-Lot des manoeuvres frauduleuses, de nature à faire croire à l'existence d'une société fictive et de fausses entreprises devant faire naître l'espérance chimérique de bénéfices importants: que par ce moyen, ils auraient fait remettre à Charles Lenoir, à Villeneuve-sur-Lot, 18,000 fr. par Bentéjac, et 10,000 fr. par Sabatié; que des manœuvres analogues auraient eu lieu tant à Villeneuve-sur-Lot qu'ailleurs, à l'égard d'autres personnes qui ont aussi fait des remises de fonds aux mêmes prévenus; que ces manœuvres auraient été pratiquées par les mêmes individus en vertu d'un concert préalable, et que, par conséquent, elles ont pu être considérées comme connexes aux premières et de nature, en l'absence de poursuites devant un autre tribunal, à ètre soumises à la juridiction du tribunal correctionnel de Villeneuve-sur-Lot, bien que le concert frauduleux ait pu être ourdi ailleurs qu'à Villeneuve-surLot; que dès que les principales manœuvres ont été opérées dans un lieu, elles suffisent pour déterminer la compétence ratione loci; — rejette. Du 18 décembre 1868. C. de cass. M. Camescasse, rapp.

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c'est le règlement de juges, au moyen duquel la cour régulatrice, ayant vérifié les causes de compétence avec prorogation, attribue la connaissance des deux poursuites au juge qui lui paraît être à la fois pleinement compétent et dans la meilleure situation pour une bonne justice (C. inst. cr., 526 et suiv.). La voie est ouverte, tant qu'il n'y a pas eu jugement (arr. 27 juin 1867; J. cr., art. 8566), et c'est ordinairement au juge ayant compétence pour le délit le plus grave qu'est renvoyée la double poursuite (arr. 15 oct. 1849, etc.). Mais la situation est légalement différente quand il n'y a de poursuite engagée que devant un seul juge ou tribunal, ayant compétence pour l'un des délits et vis-à-vis de l'un ou l'autre des codélinquants, compétence se prorogeant aussi à l'égard des autres délits et prévenus, selon les principes sur l'indivisibilité des procédures ou sur la connexité. Alors il faudrait un motif d'incompétence ou un déclinatoire justifié, pour que le juge ou tribunal saisi eût le pouvoir ou le devoir de prononcer un dessaisissement, total ou partiel. Or aucune disposition de la loi n'autorise le juge d'instruction à se dessaisir lorsqu'il est compétent à raison du lieu (C. inst. cr., art. 69), et le juge correctionnel n'aurait ce pouvoir que s'il y avait crime (art. 244): ils ne peuvent refuser de statuer sur des faits qui sont de leur compétence, sous prétexte de connexité avec d'autres non actuellement poursuivis (Cass. 48 avr. 1868; J. cr., article 8650); à plus forte raison, quand ils sont saisis pour le tout, n'ont-ils pas ce pouvoir, loin que ce soit un devoir à raison du déclinatoire présenté (infrà). Toutefois, la prorogation de compétence doit avoir ses conditions et limites : nous allons les indiquer rapide

ment.

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VI. Codélinquants. C'est surtout pour les auteurs et complices qu'existe le principe de l'indivisibilité des procédures, afin que la défense de chacun soit plus efficace (voy. Rép. cr., v° Complicité, nos 41 et suiv.). Cela fortifie la compétence qui se proroge, mais augmente les difficultés lorsqu'il y a disjonction par l'effet de quelque décision exécutée.

La prorogation de compétence est telle, pour chaque juridiction saisie, qu'au cas de poursuite simultanée contre l'auteur principal et le complice devant le tribunal du lieu de résidence de l'un d'eux, quoique le jugement eût condamné contradictoirement celui dont la résidence avait déterminé la compétence, et par défaut celui qui n'avait fait que suivre le sort du premier, le tribunal conserve sa compétence prorogée pour statuer sur l'opposition de celui-ci, revenant isolément (arr. 6 nov. 1856; J. cr., art. 6308). Des escroqueries étant imputées à deux individus, avec connexité de délits, le juge de la résidence d'un des prévenus est compétent aussi vis-à-vis des autres et pour le tout, quand on peut dire que sa coopération dans les faits incriminés en faisait plutôt un coauteur qu'un simple complice (Rej. 9 déc. 1864; J. cr., art. 7977). Pour des escroqueries qui auraient été commises en Algérie par deux associés, la compétence vis-à-vis des deux préve

nus appartient aux juges du lieu où l'un deux est trouvé et arrêté, quoique l'autre résidât et soit arrêté au lieu du délit (Rej. 17 nov. 1866; J. cr., art. 8405). Lorsqu'un coauteur se trouve justiciable d'un tribunal pour une cause de compétence dérivant de la situation du coprévenu, il l'est également quant au délit qui lui serait privatif et qu'on pourrait dire connexe selon l'art. 227 C. inst. cr. Mais cette prorogation de compétence n'existe pas également à l'égard d'un délit que celui-ci aurait commis avec un tiers, sans connexité par rapport au délit principal; c'est ce qu'a reconnu un arrêt de cassation, disant : « Que si ce tribunal était compétent pour juger T..., à raison des faits qui lui étaient communs avec J... et à raison des faits connexes privatifs à T..., il était radicalement incompétent pour statuer sur les délits d'abus de confiance imputés à T... et à P... » (Gass. 8 janv. 1862; J. cr., art. 7057).

Au reste, lorsque celui des coprévenus dont la résidence avait seule déterminé la compétence pour tous vient à être écarté de la poursuite, la cause accidentelle de compétence ayant entièrement cessé, il doit y avoir dessaisissement, comme au cas de non-lieu pour le coprévenu d'un militaire. Exemple: Le juge d'instruction de Bagnères avait informé contre trois individus, dont deux étaient de son arrondissement et le troisième avait son domicile dans un autre, où aurait cu lieu la fraude poursuivie; par une même ordonnance il déclarait non lieu pour les deux premiers et renvoyait le troisième devant le tribunal correctionnel de Bagnères sur pourvoi contre l'arrêt ayant confirmé le jugement de condamnation, il y a eu cassation pour violation des règles de compétence à raison du lieu (Cass. 17 janv. 4861; J. cr., art. 7237). Quel serait l'effet d'un déclinatoire accueilli, qui ne l'aurait été que sur opposition d'une partie seulement des inculpés? Ce sera examiné plus loin.

VII. Délits connexes. Voulant définir la connexité, l'art. 227 C. inst. cr. a confondu avec le cas de « délit commis en même temps par plusieurs personnes réunies » (ce qui restreint le principe de l'indivisibilité), celui de délits « commis par différentes personnes en différents temps et en divers lieux, par suite d'un concert formé à l'avance entre elles. » De son côté la jurisprudence, pour faciliter les jonctions utiles, a décidé qu'on ne doit pas réputer limitative l'énumération contenue dans l'art. 227, qui s'étend de droit à tous les cas où le juge reconnaît un lien de connexité évident par suite on admet que lorsqu'un tel lien existe, le juge saisi, compétent pour l'un des délits, le devient aussi pour les autres, quoique commis par un autre prévenu et dans un arrondissement différent (C. Cass., 14 mai 1847, 17 sept. 1848, 18 avril 1857 et 7 déc. 4860; J. cr., art. 4355 et 6459). Or, ainsi qu'on l'a vu, l'un des effets de la compétence prorogée pour connexité est que le juge saisi ne peut se dessaisir par l'unique motif que d'autres juges seraient aussi compétents, surtout lorsqu'il n'y a pas encore de poursuite engagée devant ceux-ci; il ne le pourrait même, re

lativement à des délits qui seraient connexes avec un crime, pour lequel il aurait à déclarer son incompétence, à moins qu'ils ne formassent avec le crime un tout réellement indivisible (Voy. arr. 18 avril et 5 août 1868; J. cr., art. 8650 et 8704).

Mais ceci n'est que pour la poursuite collective, engagée tout au moins par des réquisitions. Lorsqu'un tribunal n'est saisi que vis-à-vis d'un des codélinquants ou que pour un des délits, qu'on pourrait dire connexes, la jurisprudence n'admet pas qu'il faille nécessairement procéder en même temps pour le tout: suivant elle, la division des poursuites n'opère pas nullité, hors le cas d'indivisibilité certaine ayant motivé la réclamation d'un des coprévenus (Rej. 23 nov. 4849, 18 mai 1850 et 19 déc. 1868; J. cr., art. 4756 et 4812). A plus forte raison le lien d'indivisibilité ou de connexité peut-il se trouver détruit, par l'effet de décisions faisant chose jugée: c'est ce qui a eu lieu dernièrement, dans une affaire pleine de complications. Des habitants de Villeneuve-sur-Agen, ayant perdu une partie des 280,000 fr. qu'ils avaient remis pour des opérations de bourse aux intermédiaires d'un agent de change, ont porté plainte contre ceux-ci, tous domiciliés à Paris, pour escroqueries et abus de confiance prétendus. La compétence du juge d'instruction de Villeneuve était déclinée par l'agent de change et son assesseur, l'ordonnance rejetant le déclinatoire a été annulée sur leur opposition par un arrêt déclarant incompétents ce juge d'instruction et ainsi le tribunal de l'arrondissement (Agen, ch. d'acc., 10 mai 1868; J. cr., art. 8701). Mais l'ordonnance portant renvoi de tous les inculpés devant le tribunal correctionnel de Villeneuve subsistait, à l'égard de ceux qui n'avaient pas usé du droit de déclinatoire et d'opposition; vainement deux d'entre eux ont-ils décliné la compétence du tribunal, il a autrement apprécié les faits et s'est déclaré compétent comme juge du lieu pour deux délits, avec prorogation de compétence quant aux faits connexes (jug. 20 juin 1868; arr. d'Agen, ch. corr., 14 août 1868). L'arrêt confirmatif a été maintenu par la Cour de cassation, rejetant le pourvoi de ces autres inculpés, malgré les raisons qui militaient pour qu'il n'y eût pas disjonction et nonobstant les difficultés inévitables d'une situation extraordinaire (Rej. 19 déc. 1868).

VIII. Disjonction prononcée. - Quels principes doivent guider et prévaloir, dans la situation que nous indiquons? D'une part, la chambre d'accusation, pour dessaisir les juges de Villeneuve quant aux deux opposants, a dit d'abord que les escroqueries prétendues auraient eu lieu à Paris, sauf pour deux faits formant avec les autres un tout indivisible; et que l'abus de confiance imputé à deux des cinq inculpés, s'il existait, serait un crime en ce qu'il y aurait eu participation de l'agent de change à Paris. D'autre part, le tribunal et la chambre des appels correctionnels, pour retenir le jugement de tous les faits quant aux trois autres inculpés, y compris même l'abus de confiance qui vient d'être qualifié, ont dit que tous constituaient des escroqueries dont deux commises à Villeneuve et les autres attirées par celles-ci pour cause

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