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clémence du souverain, qui use largement de son droit de grâce. Faudrait-il aller jusqu'à rayer de nos lois, absolument et dès à présent, une peine reconnue nécessaire et légitime dans presque toutes les législations? Tous les efforts possibles ont été faits, de différentes manières et avec une certaine agitation, pour obtenir forcément un tel résultat : la dernière fois encore, saisi par une pétition de plusieurs milliers d'individus qui le demandait, le Sénat a prononcé l'ordre du jour conformément à un rapport qui démontrait l'impossibilité d'une si grave réforme el qui seulement émettait des vœux pour l'abolition graduelle autant qu'elle serait possible. Si la peine de mort a été récemment supprimée dans quelques-uns des cantons suisses et dans certains États de l'Union américaine, dans la législation portugaise et même en Espagne par un fait révolutionnaire, elle se maintient chez presque toutes les autres nations de l'Europe. L'Autriche et la Prusse la conservent dans leurs lois, sauf exercice fréquent du droit de grâce. Lá Belgique avait évité pendant quelque temps de l'appliquer, et elle n'a pas cru pouvoir continuer cet essai. Dans le nouveau royaume d'Italie, dont la capitale actuelle était celle d'un heureux duché qui n'admettait plus la peine de mort (ce qui paraissait d'abord devoir la faire supprimer), elle est maintenue par le pouvoir législatif après examen et discussion. L'Angleterre ellemême, à la suite d'enquête publique par une commission qui a très-sérieusement étudié ce problème, vient de se prononcer formellement contre l'abolition de la peine capitale, en considérant comme limite du progrès possible la réduction opérée chez nous par la révision de 1832. Selon sa législation actuelle, la peine de mort est applicable sans distinction de sexe ou d'âge; on l'a même infligée sans pitié à des enfants, reconnus coupables de meurtre avec discernement.

Quant à la surveillance des condamnés libérés, il y a là un problème d'autant plus difficile à résoudre, qu'il faut à la fois garantir la société contre les récidives et laisser aux individus surveillés des moyens de travail et d'amendement. Chaque pays a son système, plus ou moins semblable au nôtre, excepté toutefois l'Angleterre, qui tend à en créer un d'après l'expérience. Sans doute il n'y a pas la perfection désirable, au double point de vue qui vient d'être indiqué, soit dans le système trop administratif que créa notre Code de 1810, soit dans celui que lui substitua la révision de 1832, soit même dans le système établi par décret du 8 décembre 1854. On peut aussi reprocher à celui-ci de ne pas atteindre le but, qui serait de fixer chaque libéré dans la résidence choisie, de le rendré meilleur et ainsi de prévenir les rechutes et récidives, ce qui ralentirait le mouvement de la criminalité. Peut-être conviendrait-il, en multipliant d'ailleurs les maisons de refuge pour ceux qui sortent de prison sans ressources assurées, de supprimer la surveillance à l'égard des condamnés correctionnels, de rendre variable ou graduée comme la peine principale cette peine accessoiré, et même

') 9. Voy. J. du dr. cr., art. 8473, et Cah. de janv. 1868.

de prononcer plus rarement la surveillance ou d'atténuer les condamnations pour rupture de ban: ce sont encore des idées à méditer pour l'amélioration de notre loi pénale, qu'au reste on doit considérer dans son ensemble comme n'étant pas plus sévère que celles auxquelles on la compare.

Les plus récentes critiques, se préoccupant exclusivement des intérêts de la défense individuelle, s'attaquent surtout à l'institution du ministère public, et plus encore à notre procédure criminelle, qu'on prétend mauvaise à raison de ses différences avec la législation anglaise. Il en a été fait justice dans un récent et brillant discours de rentrée, démontrant que la comparaison est à l'avantage de notre législation actuelle 10. Voici en quoi consistent les différences principales.

En France, le ministère public rend d'immenses services à la société et concourt efficacement à l'œuvre répressive, sans exclure l'action des individus lésés. L'Angleterre, elle, est encore privée de cette institution admirable, qu'ont vainement demandée plusieurs de ses hommes d'État, ce qui a fait naître des systèmes et motivé des expédients que désapprouvent eux-mêmes les criminalistes anglais 11. L'attorney général, officier de la couronne et aussi avocat, ne peut agir d'office que pour certains crimes, tels que trahisons ou meurtres, dont la gravité les fait réputer commis contre la reine représentant ses sujets, ce qui nous rappelle les anciens cas royaux; la poursuite de tous autres est délaissée aux citoyens, ainsi qu'aux personnes lésées : comme elle pourrait être négligée ou abandonnée par celles-ci, le juge se voit obligé de recourir à un ordre de comparution contre celui qui devrait poursuivre, ou bien de soumettre le poursuivant à une caution, mesures souvent inefficaces par différentes causes et aboutissant parfois à une grande injustice pour la victime du délit; enfin, pour assurer la répression d'une foule d'infractions qui restaient impoursuivies, il s'est formé de nombreuses associations qui se chargent de les rechercher et poursuivre elles-mêmes, les unes pour tel genre de délits, d'autres pour telle catégorie d'habitants ou pour telle ville 12. Ce système est des plus défectueux d'une part, il expose la société à voir commettre impunément une foule d'infractions; d'autre part, dans les cas de poursuite, il place le prévenu en face d'accusateurs privés,

10. Discours de M. l'avocat général Blanche, à l'audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation du 3 novembre 1868 (Monit. du 4 nov.). Dans son discours à l'audience de rentrée de la Cour impériale d'Amiens, M. le substitut Froissart a émis des idées conformes, mais d'une manière plus générale. A Montpellier, au contraire, M. le substitut Lacointa, examinant rapidement la législation criminelle de plusieurs pays voisins du nôtre, a cité celle de l'Angleterre et spécialement sa procédure comme révélant un degré de civilisation en rapport avec ses institutions politiques.

11. Voy. Bentham, Traité de l'organisation judiciaire; Times, nombreux articles critiques.

12. Voy. les indications données dans le discours de M. l'avocat général Blanche.

souvent excités par un calcul intéressé à employer contre lui des moyens étouffant sa défense. Aussi demande-t-on de plus fort l'institution en Angleterre du ministère public, à l'exemple de ce qui existe non-seulement en France, mais même en Écosse et en Irlande 13.

Selon la loi anglaise, l'arrestation préventive est pour tout Anglais un devoir sanctionné dans certains cas, un droit ou une faculté dans beaucoup d'autres; les constables ont ce pouvoir, sans mandat de juge, pour tout délit commis en leur présence ou à eux dénoncé, même pour simple contravention de police; et l'ordre d'arrestation peut être donné par un juge compétent, pour toute infraction quelconque : la liberté de chacun se trouve ainsi exposée à beaucoup d'erreurs, contre lesquelles il a fallu la garantie de l'habeas corpus. Mais il n'y a pas de police judiciaire organisée pour la recherche ou découverte des crimes et des coupables à livrer aux juges, parce qu'on s'en rapporte à l'inté rêt privé du soin de remplir cet office : aussi les difficultés et dépenses sont-elles considérables, lorsqu'il faut mettre la main sur un coupable ayant, par exemple, enlevé une forte somme, ou bien sur un étranger dont l'extradition est accordée sans qu'il fût arrêté. Notre législation, heureusement, a des règles sanctionnées et une police judiciaire vérita-blement parfaite, qui concilient mieux avec le respect de la liberté individuelle les nécessités de la défense sociale et de la justice répressive en prescrivant l'arrestation pour flagrant délit, elle pose des limites assez précises et elle n'autorise pas les violences qu'admet la loi anglaise; les dépositaires de la force publique n'ont que des pouvoirs définis et limités, comme ceux de certains préposés d'administrations publiques; enfin nos magistrats sont, pour le mandat ou l'ordre d'arrestation, soumis à des conditions qui, si elles laissent au juge d'instruction un pouvoir facultatif très-étendu, présentent du moins de fortes garanties pour tous les droits.

Les détentions préventives, coûteuses pour le Trésor et funestes surtout à la considération ou au crédit et à la fortune des prévenus et de leurs familles, sembleraient interdites par la loi anglaise, qui promet à tous la liberté provisoire jusqu'au jugement. Cependant celles qu'on peut justifier par la nécessité, qu'apprécient les magistrats, sont bien plus nombreuses et prolongées qu'on ne le croit communément. D'une part il y en a beaucoup qui proviennent des intervalles forcés entre l'arrestation et l'époque où siégera le juge, des ajournements ou sursis prononcés par certains magistrats pour vérification préalable, par exemple. D'autre part, un magistrat prudent et éclairé n'hésite jamais à exiger, pour la liberté provisoire d'un accusé, une caution proportionnée à la gravité de l'accusation et au danger de fuite. N'est-ce pas ce qui a lieu en France, avec cette différence qu'en Angleterre la liberté provisoire est un privilége de la fortune, puisqu'il faut toujours une caution effective? Notre Code d'instruction de 1808, il est vrai,

13. Voy. Times, 17 avril 1867 et 24 janv. 1868.

avait des sévérités qui ont motivé de légitimes et persistantes réclamations; mais cette partie de notre législation a été considérablement réformée et améliorée par les lois que nous citions en commençant cette revue 14. Pourrait-on diminuer encore le nombre des détentions préventives, surtout pour simples délits ? Cela dépend des magistrats, auxquels l'exposé de motifs de la loi sur la liberté provisoire a conseillé de se conformer à son esprit. Faudrait-il aller jusqu'à compter dans la durée de la peine infligée, le temps de la détention préventive, ayant été nécessitée par quelques circonstances? De graves objections semblent s'y opposer.

L'instruction préparatoire, en Angleterre, est publique, ordinairement et sauf exception pour les cas de renvoi à la session avant vérification de certains indices ou moyens contraires outre que cela tient à tout un système d'organisation et de procédure qui ne pourrait s'établir chez nous, il en résulte des entraves pour le droit de défense luimême. L'inculpé se trouve provoqué par les interpellations d'un accusateur privé, que l'intérêt ou la passion excite souvent, lequel produit des témoins qui peuvent déterminer le renvoi à une session d'assises; s'il a le droit de se faire assister par un défenseur, on ne lui en donne pas d'office, même dans le cas où le poursuivant en a un; s'il parle pour se défendre, ses paroles peuvent se tourner contre lui, et s'il produit des témoins à décharge, cela le prive de l'avantage d'avoir la parole le dernier. En France, sans introduire un tel système d'instruction préparatoire, ne pourrait-on pas du moins admettre la publicité ? Entre autres dangers, la vindicte publique serait souvent entravée par des divulgations qui feraient disparaître les preuves recherchées. Un éminent magistrat propose d'exiger qu'il soit donné d'office à l'inculpé, tout au moins lors du renvoi en police correctionnelle, un défenseur désigné, qui provoquerait des citations à témoins et aurait communication de la procédure à un certain moment ce sont des idées à méditer..

On reproche à notre législation, plus encore qu'aux magistrats entraînés par un excès de zèle, d'admettre l'interrogatoire des inculpés et des accusés comme moyen de preuve contre eux et le résumé des débats par le président des assises comme éclaicissement nécessaire pour les jurés. Voyons.- Dans l'instruction, l'interrogatoire est autant un moyen de défense pour l'inculpé qu'une nécessité des investigations, si bien que les criminalistes recommandent aux magistrats instructeurs d'informer aussi à décharge en provoquant même les objections que négligerait un inculpé timide ou peu intelligent; que la loi veut qu'un inculpé arrêté soit interrogé sans retard, et que la jurisprudence déclare nulle l'instruction qui serait close avant interrogatoire de tous les prévenus ou accusés présents: s'il arrive quelquefois qu'un juge

14. Suprà, p. 5 et 6.

d'instruction presse l'inculpé de questions embarrassantes, pour obtenir un aveu ou des contradictions prises pour charges, c'est un abus accidentel, relativement rare, comme celui qui existerait dans une interdiction de communiquer ordonnée sans cause suffisante; ce serait une faute du magistrat et non de la loi même, qui récemment encore a prescrit des mesures pour qu'elle n'eût jamais lieu (L. 28 juin 1865, art. 613). A l'audience, le prévenu ou accusé est interrogé par le président pour l'identité d'abord, ce qui est nécessaire dans son intérêt et en tous cas pour la justice; l'interrogatoire se continue sur les faits et circonstances, mais sans que l'accusé lui-même soit absolument tenu de répondre quand il n'a pas d'explications justificatives à donner : car c'est une erreur de croire que les textes qui exigent l'interrogatoire ont été jusqu'à vouloir qu'il y eût toujours des réponses formulées. Or, en Angleterre, l'accusé est obligé de répondre à certaines questions, d'après la loi même, pour fixer la forme ou la compétence, outre que l'avocat du poursuivant abuse souvent du droit d'examen vis-à-vis des témoins à décharge. Quant au résumé des débats, c'est une condition dont l'utilité est reconnue dans la plupart des législations admettant le jugement par jurés, en Angleterre notamment, où le magistrat va plus loin encore que nos présidents d'assises pour diriger les appréciations du jury. Et si parfois ce directeur des débats abuse du pouvoir qui chez nous est livré à son honneur et à sa conscience, c'est surtout dans un pays où il peut même renvoyer à une nouvelle délibération les jurés qui se sont trompés suivant lui.

Que dire enfin des moyens légaux de réparation pour les cas d'erreur du juge? Notre législation a toujours reconnu comme une garantie nécessaire, due et maintenue, la faculté de recours à une juridiction supérieure par la partie condamnée, soit l'appel qui soumet à des juges de second degré plus nombreux le procès entier, soit le recours en cassation qui fait examiner par une cour régulatrice si les formes essentielles n'ont pas été négligées et s'il n'y a pas eu quelque autre violation de loi; voies de recours si utiles, qu'on les étend même aux matières disciplinaires, par application de principes qui pourtant n'ont pas été législativemeut proclamés pour elles 15. Les Anglais ont-ils des garanties pareilles, dans leur législation ou dans la pratique judiciaire? Non. Chez eux on ne connaît pas la règle des deux degrés de juridiction, ou le droit d'appel; et si le recours pour erreur existe en principe, c'est avec des conditions ou entraves telles, qu'à vrai dire on ne sait comment ou pour quelles causes l'exercer et qu'il n'aboutit presque jamais. Sans doute cela tient surtout à des institutions et à une organisation judiciaire différentes des nôtres, comme il se peut qu'au point de vue des Anglais leur législation dans son ensemble ait

15. Voy. notre Traité récent sur la Discipline des cours et tribunaux, du barreau et des corporations d'officiers publics, où nous avons complétement exposé les règles sur les voies de recours, t. II, nos 774 à 798 bis.

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