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ver dans ce passé si rempli de faits une conclusion pratique. En résumé, ce que, dans cette étude, je désire rechercher, ce sont les causes de ces transformations dans l'esprit des classes dirigeantes de la nation et le profit ou le danger qu'on y peut trouver au point de vue de l'État.

Depuis trente années, nous avons oublié de relire notre histoire; parcourons-la donc encore; mettons-la en honneur et devenons assez honnêtes, assez sérieux pour ne pas préférer un roman de mœurs aux drames perpétuellement saisissants que présente la vie des nations. Rappelons-nous enfin ce passage d'Augustin Thierry: «En promenant nos regards sur cette longue carrière ouverte depuis tant de siècles, où nous suivons nos pères, où nous précédons nos enfants, nous nous détacherions des querelles du moment, des petites craintes et des petites espérances, nous aurions plus de sincérité, plus de confiance dans l'avenir si nous savons tous que, dans les temps les plus difficiles, jamais la justice, la liberté même n'ont manqué de défenseurs dans ce pays. L'esprit d'indépendance est

empreint dans notre histoire aussi fortement que dans celle d'aucun autre peuple ancien ou moderne. Nos aïeux l'ont comprise, ils l'ont voulue comme nous; et s'ils ne nous l'ont pas léguée pleine et entière, ce fut la faute des choses humaines et non la leur, car ils ont surmonté plus d'obstacles que nous n'en rencontrerons jamais. »

CHAPITRE PREMIER

ROME EN 1662

Étudier Rome dans Rome même au dix-septième siècle, c'est adopter, suivant moi, la seule méthode susceptible d'expliquer les transformations qui se sont produites dans les phases diverses de la puissance catholique. Cette étude d'ailleurs est nouvelle. Je ne crois pas, en effet, que nos historiens aient encore donné un tableau exact et détaillé de la Cour pontificale à cette époque. Sous ce rapport j'ai donc cru rendre un réel service et faciliter une comparaison plus parfaite entre la curie romaine du dix-septième siècle et celle du dixneuvième.

Au centre d'un désert, la cité pontificale, et, dans la grande ville dispersée sur les deux rives du

Tibre, le Vatican, les ambassades avec leurs vastes demeures inviolables, les églises, les couvents, les palais des princes romains, le Ghetto, les brelans, les ruines narquoises de la vieille Rome, et au milieu de tout cet entassement de merveilles, de colonnes, de dorures et de repaires sans nom, les grands seigneurs, leurs suites nombreuses et leur luxe inouï à côté de la plus complète misère, les bravi et les rufiens traînant leurs espadons à travers les ruelles infectes, les filles au sourire provocant, la foule des solliciteurs de tous étages, une nuée de scribes, de prêtres, d'agents de toute espèce, s'acharnant après la curée universelle, telle était Rome en l'an de grâce 1662. Quel bizarre assemblage, et qu'il fait mieux comprendre l'indignation de Louis XIV, jeune encore, et ce mot frappant de notre ambassadeur, M. de Grémonville : « Le Pontificat est si décrié et le pape si haï que ce qui pourrait l'offenser serait reçu comme une satisfaction publique. » Mais ce spectacle, quelque exact et quelque triste qu'il paraisse être au premier abord, n'en conservait pas moins un caractère tout spécial de grandeur. La Rome du dix-septième siècle en effet restait toujours la capitale des anciens maîtres du monde et de ces papes fameux qui avaient su donner à la catholicité un cachet particulier de splendeur héroïque, et imprimer au mouvement humain, par l'excès même de leur ambition, une

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