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CHAPITRE XI

LES SOLUTIONS

J'ai dit que, en France, quatre grandes questions dominaient la situation et s'imposaient aux mûres réflexions de nos concitoyens :

1o La question de gouvernement;

2o La question sociale;

3o La question économique; 4° La question religieuse.

La première n'est en réalité qu'une question de fonctionnement exécutif, car elle se résume dans cette formule: le pouvoir sera-t-il héréditaire ou temporaire ? Or, comme, pour le premier terme de cette formule, trois partis, en majorité dans l'assemblée nationale française, mais en minorité dans le pays, sont en présence et prétendent également à son acceptation au profit de chacun d'eux, par combinaison illogique avec le suffrage universel dont ils sont issus et dont l'expression même est la négation

du droit héréditaire qu'ils invoquent, la solution en a été successivement reculée et remise, faute de s'entendre. C'est cette sorte de statu quo qui a pris nom République septennale, avec un président, chef du pouvoir exécutif, république, qu'au bout d'une année d'exercice les esprits les plus déliés du doctrinarisme n'ont pu réussir à entourer de garanties réclamées par le pouvoir lui-même.

La deuxième question, dite sociale, consiste à rechercher les moyens par lesquels tout individu puisse, en travaillant, éviter la misère provenant du chômage, de la maladie et de la vieillesse. Des institutions de crédit populaire, des avances, des caisses de retraite, des maisons hospitalières, l'éducation et l'instruction assurée aux enfants, des cours d'adultes, la solidarité de l'association admise comme base de tous ces efforts, telles sont les premières solutions de cette terrible question sociale. Si poignante et si perpétuellement actuelle, elle ne peut toutefois être résolue que successivement, mais avec le concours volontaire de tous, car ce ne sont ni la richesse ni la puissance oisives qu'il s'agit de procurer aux masses, mais un travail rémunérateur et une vie intellectuelle et morale qu'il leur faut assurer.

D'ailleurs, derrière cette vaste question d'humanité, que le Christ avait donnée comme but aux prédications de ses disciples, il en existe une autre

tout aussi grave et qui rattache la première à la seconde. Je veux parler de la question dite de sociabilité. En effet, si les classes dirigeantes ne peuvent s'entendre pour la direction des affaires de l'État, elles savent réunir leurs craintes et leurs méfiances contre cette question sociale qui les effraye et contre ce droit, conséquence même du suffrage universel que paraissent vouloir posséder les masses, de prendre une part proportionnelle aux affaires de l'État, par l'intermédiaire de leurs représentants les plus autorisés, c'est-à-dire de permettre à chacun d'arriver, quelle que soit son origine, en raison de son intelligence et de son talent, et cela à l'exemple des Grant et des Lincoln.

Au fond de cette contradiction, de cette lutte entre les classes, lutte si pénible pour le pays qui la supporte, il y a comme une sorte de reconstitution de la féodalité, de groupement de ces individus si funestes qui entourèrent et conseillèrent si mal le malheureux Louis XVI. Ce petit monde à part est animé, comme autrefois, des mêmes instincts irréfléchis d'opposition au progrès du temps, opposition si bien définie par le mot continuons, et par cette autre phrase, également citée par l'archevêque de Malines : « Nous sommes bien; pourquoi nous déranger? »

Mais comment ce monde minuscule s'est-il reformé ? Tout naturellement, je crois, et par la force

même des choses. En effet, à la suite des trois formes de gouvernements héréditaires, monarchie traditionnelle, monarchie constitutionnelle, césarisme, qui ont présidé aux destinées de la France depuis soixante-dix ans, il s'est créé pour chacune d'elles, et dans chacune des administrations, charges et fonctions civiles, financières ou militaires, une sorte d'aristocratie dirigeante, de dessus du panier, dont les membres ou les descendants, quoique possédant les opinions les plus variées, sont mus par un sentiment identique, celui de l'égoïsme, qu'ils décorent, comme leurs ancêtres de tous les âges, du mot vide de sens, conservation sociale, ordre moral, etc....

La vie fiévreuse et les salons faciles de la capitale, le système d'énervement du second empire, l'organisation prétorienne de l'ex-armée césarienne, l'existence des cercles où toutes les opinions, dites conservatrices, se croisent et s'allient journellement, à l'exception, bien entendu, de celles émanant des travailleurs et des hommes de famille qui n'ont pas les loisirs d'aller perdre leur journée et leur argent dans ces centres de l'oisiveté: tels sont les moyens et les milieux qui ont permis l'éclosion de cette catégorie particulière de Français. Monde curieux, qui a sa langue à lui, ses journaux, ses salons, ses femmes et ses prêtres.

Ses membres sont partout où l'on peut arriver

sans efforts et sans travail. Dispersés aisément au premier orage, gagnant prudemment la frontière si le danger devient sérieux, ils se retrouvent, se reforment et se resserrent bien vite, l'heure critique une fois passée. Ennemis irréfléchis du mouvement, du changement, du progrès et de tout ce qui lutte, ils ont peur même de leur ombre. Les réformes les exaspèrent, les solutions les terrifient. Ils en sont encore à regretter les facilités commodes du remplacement militaire. Irréligieux par nature, mais infaillibilistes par genre, ils sont à la recherche de tous les Césars; ils en inventeraient même au besoin, s'il n'en surgissait pas toujours de bonne volonté.

Légers, superficiels, sans instruction profonde, sans grande moralité, sans intérieur, ils vivent d'un mot et d'une légende. Ils descendent des beaux diseurs de l'hôtel de Rambouillet. Spirituels parfois, ils raillent volontiers; élevés à l'école des Tartufe, ils savent tuer leurs adversaires en les calomniant.

Ils ont existé de tous les temps. Au seizième siècle, ils croyaient avoir tout dit en appelant leur ennemi un huguenot. Sous Louis XIV, il était de haut goût, dans les ruelles et au confessionnal, de conspuer les jansénistes. Au dix-septième siècle, ils s'acharnaient après les philosophes. Aujourd'hui, c'est de mode pour eux de gratifier le premier travailleur venu, l'homme du progrès, du titre de

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