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due à raison du paiement de la dot, les droits de la succession s'élèvent donc à 500,000 fr., composés de 200,000 fr. en valeurs réelles, et de 300,000 fr. montant de la dot. D'après les principes ci-dessus développés, le survivant ayant droit à l'usufruit de moitié, soit 250,000 fr., exercera cet usufruit jusqu'à concurrence de 200,000 fr., montant des valeurs réelles, tandis qu'il n'aurait droit qu'à 100,000 fr. si le rapport fictif de la dot n'avait pas lieu. Quant aux 50,000 fr. de surplus, il ne pourra y prétendre, puisqu'il faudrait pour cela opérer la réduction de la dot, et que cette réduction n'est pas possible en présence de l'engagement qu'il a pris d'en garantir l'intégralité jusqu'à concurrence des fonds de la succession. C'est donc 200,000 fr. qu'il prendra et non 100,000 fr., comme le dit le Répertoire général, par suite d'une erreur qui ne se comprendrait pas, si l'on ne savait avec quelle précipitation cet ouvrage de jurisprudence a été conçu et

exécuté.

La règle que nous venons de formuler a été admise par le Tribunal de Soissons (jug., 10 avril 1867, Rép. pér., 3313) et par le Tribunal de la Seine (jug., 3 mai 1873, Revue, no 4418).

«Attendu, dit ce dernier jugement, que Lefer est décédé le 20 décembre 1869, laissant pour unique héritière la femme Panckouke, sa fille, et comme donataire, aux termes de son contrat de mariage, de l'usufruit de moitié des biens composant sa succession, la femme Bayard, sa veuve; que, lors du mariage de la femme Panckouke, ses père et mère lui avaient conjointement constitué en dot une somme de 210,000 fr., imputable sur la succession du premier mourant, et sur laquelle 110,000fr. seulement avaient été versés; que suivant la régie, lors de la déclaration de la succession, le receveur a admis à tort, pourla liquidation du droit de 3 p. 100, à raison de l'usufruit de la veuve, la déduction du montant de la dot de la femme Panckouck de l'actif de la succession;

« Attendu, d'une part, que la somme de 110,000 fr. payés à compte sur la dot de la femme Panckoucke devait, aux termes de l'art 922, être réunie fictivement à la masse de la succession pour fixer le montant de l'usufruit de la veuve Lefer; qu'on objectérait en vain que, suivant l'art. 867, le rapport n'est dû que de cohéritier à cohéritier; qu'en effet, cet article ne s'applique qu'aux rapports réels, et que, dans l'espèce, la donatrice de la quotité disponible, bien que ne pouvant contraindre la donataire

en avancement d'hoirie au rapport réel de la somme donnée, n'en avait pas moins le droit de demander la réunion fictive de cette somme à la masse, afin de connaître la consistance générale de l'hérédité et de faire fixer la quotité disponible;

« Attendu, d'autre part, que la donation irrévocable d'usufruit faite par Lefer à sa femme, dans son contrat de mariage, n'a pu recevoir aucune atteinte par suite de la constitution de dot faite ultérieurement par les époux Lefer à la femme Panckoucke; qu'en effet l'irrévocabilité des conventions matrimoniales et la défense formellement faite par la loi de renoncer à une succession future sont un double obstacle à ce que la femme instituée par son contrat de mariage donataire en usufruit de la moitié des biens que le mari laissera à son décès, puisse, du vivant du mari, soit directement, soit indirectement, et même pour l'établissement d'un enfant commun, renoncer au bénéfice de ladite donation; etc. >>

Si nous avons reproduit textuellement ce jugement, ce n'est pas pour le donner comme modèle de clarté et d'exactitude à la jurisprudence à venir. On aperçoit bien au fond l'idée générale, qui jusqu'à présent a servi de base à notre discussion, et, à ce titre, nous ne pouvons que l'accueillir favorablement. Mais il règne dans l'exposé des motifs une confusion telle que la cause que nous défendons, et qui est en réalité celle du Tribunal, ne saurait l'invoquer, tel quel, sans s'exposer à de nombreuses critiques qui ne pourraient que la compromettre. Ainsi, dans sa première partie, le jugement semble faire une concession, d'où résulterait que le rapport fictif peut seul être invoqué par l'époux survivant, donataire en usufruit, et que le rapport réel n'est jamais possible. Il est évident que c'est là une affirmation absolument fausse. Nous avons démontré, en effet, que le survivant, lorsqu'il n'est pas lié personnellement par la constitution de dot faite par l'époux prédécédé, pouvait, en vertu du principe d'irrévocabilité des conventions matrimoniales, exercer son usufruit dans sa plénitude, même au préjudice de l'enfant doté, et à cet effet demander la réduction, jusqu'à due concurrence, de la dot constituée à ce dernier. Or cette réduction ne peut se faire sans nécessiter, de la part de l'enfant, le rapport réel de ce qui lui a été donné.

Plus loin, s'appuyant sur l'irrévocabilité de l'institution contractuelle, le Tribunal émet l'avis que le survivant n'a pu re

noncer, même en constituant une dot imputable sur la succession du prémourant, à l'usufruit qui résultait pour lui du contrat de mariage. On n'aperçoit pas bien la conclusion que le Tribunal en tire; elle semblerait être que, contrairement à ce que le jugement vient d'avancer, le rapport réel peut être exigé dans tous les cas, quels que soient les engagements pris par le survivant dans la constitution de dot. Cette conclusion serait aussi fausse què la première. Nous avons établi en effet que le consentement, par le survivant, à ce que la dot fût prise en entier sur la succession du prémourant, sans impliquer de sa part une renonciation à ses droits d'usufruit, s'opposait néanmoins à ce que ces droits fussent exercés au préjudice de l'enfant doté, et qu'en conséquence son usufruit, bien que la liquidation en dût être faite sur toutes les valeurs de la succession, y compris le rapport de la dot, ne pouvait porter réellement que sur les valeurs délaissées par le défunt, à l'exclusion des biens constitués en dot.

Toute cette confusion provient de ce qu'on ne distingue pas assez deux opérations essentiellement différentes : le mode de liquidation du droit d'usufruit, et la fixation de son étendue. Pour le liquider, il faut toujours, et dans tous les cas, faire le rapport des biens donnés. Cette opération faite et le chiffre maximum de l'usufruit étant connu, reste à fixer ses limites définitives. Or, il n'aura pas d'autres limites que le chiffre résultant de la liquidation, si le survivant n'est pas engagé personnellement à garantir le paiement intégral de la dot. Si au contraire il est tenu de cette garantie, comme dans le cas où la dot constituée par les deux conjoints a été déclarée imputable en entier sur la succession du prémourant, ou encore dans le cas où la constitution a eu lieu solidairement, l'usufruit se trouvera limité aux valeurs de la succession autres que les biens constitués en dot.

III.

Jusqu'à présent nous n'avons eu à nous occuper que du cas où la donation d'usufruit au conjoint survivant a eu lieu par contrat de mariage. Il était essentiel de distinguer cette hypothèse de celles qui vont suivre; car le motif déterminant des solutions auxquelles nous avons été conduit, et qui réside dans le principe d'irrévocabilité de l'institution contractuelle, ne sau

rait être étendu aux donations d'usufruit faites hors contrat de mariage. Ce sont en effet des principes tout différents qui vont nous servir à trancher les difficultés qui se sont élevées à propos des donations de cette catégorie.

Une donation d'usufruit entre époux, faite hors contrat de mariage, produit les mêmes effets qu'un legs. La donation, qui laisse au disposant la faculté de révoquer la libéralité (art. 1096), et qui ne le dépouille que pour le temps où il ne sera plus, confère au donataire un droit qui ne se vivifiera et n'aura d'efficacité que par le décès du donateur. Il en résulte qu'elle doit être assimilée aux legs, et que, pour en déterminer l'étendue, on doit appliquer les mêmes règles que si la libéralité procédait d'un testament.

La difficulté que nous avons à résoudre exige que nous fassions une distinction. Ou bien il s'agit de trancher une question de quotité disponible, c'est-à-dire que le légataire ou l'époux donataire en usufruit, qui a, nous ie supposons, des droits nettement définis, se borne à réclamer l'exécution de son legs, jusqu'à concurrence de la quotité disponible; ou, ce qui est bien différent, comme nous le verrons, il s'agit d'interpréter la volonté du disposant, et de déterminer l'importance de la disposition, eu égard aux biens sur lesquels elle doit porter.

Un exemple fera saisir la différence qui sépare ces deux cas. Je donne ou lègue à ma femme soit un immeuble déterminé, soit l'usufruit de la totalité des biens que je laisserai à mon décès, et je meurs laissant des enfants. Dans un cas comme dans l'autre, on est fixé, je le suppose, sur le maximum de la libéralité que j'ai voulu faire. C'est, dans le premier cas, l'immeuble avec toutes ses dépendances; dans le second, l'usufruit général des biens que je laisserai en mourant. Mais, ma femme pourra-t-elle profiter, dans son intégralité, de la libéralité qui lui a été faite? Oui, si elle ne dépasse pas la quotité disponible. Non, dans le cas contraire. La question est donc de savoir si, pour fixer cette quotité, il faudra faire le rapport des biens que j'aurai donnés par acte entre-vifs ?

Supposons, d'un autre côté, une personne laissant des enfants et ayant donné ou légué à sa femme, soit le quart en propriété, soit le quart ou la moitié en usufruit de ses biens. On est certain, dès à présent, que la libéralité ne dépasse pas la quotité disponible. Mais le donataire a-t-il entendu que sa libéralité porterait

seulement sur les biens qu'il laissera à son décès, ou sur tout l'ensemble de l'actif successoral, y compris les biens dont il s'est dessaisi par acte entre-vifs? Question de fait, qui n'a rien de commun avec celle qui s'élève dans le premier cas, où il s'agit, avant tout, de calculer la quotité dont le testateur pouvait disposer.

Nous allons examiner successivement ces deux hypothèses.

IV

On a prétendu quelquefois que le légataire, ou l'époux donataire en usufruit, puisque son cas est soumis aux mêmes règles que celui du légataire, n'était pas fondé, pour calculer la quotité disponible, à exiger le rapport des sommes données entre-vifs par le disposant.

Cette doctrine ne soutient pas l'examen, et, de fait, elle n'a pas tardé à être complétement abandonnée. Le légataire ne peut jamais, à la vérité, exiger le rapport réel, effectif, des biens donnés (art. 857 C. c.). Il est sans droit, en effet, sur ces biens, dont le défunt a disposé à titre irrévocable pour tous autres que ses propres héritiers. Ces derniers seuls peuvent exiger le rapport réel, lorsque le bien a été donné à un de leurs cohéritiers, et la réduction, s'il y a lieu, lorsque le donataire est un étranger. Aussi le légataire ne pourra-t-il jamais toucher aux biens dont le défunt s'est dépouillé par acte entre-vifs. Son droit n'ira jamais jusqu'à lui permettre d'exercer sur eux la disposition dont il a été l'objet.

Mais ce qu'il prétend et ce qu'il a le droit de prétendre, c'est que son legs, qui a pour objet des biens libres et existants dans lat succession du testateur, ne soit réduit qu'autant que les héritiers ne trouvent pas, soit dans la succession, soit dans les biens qui leur ont été donnés, le montant de leur réserve. En un mot, dès l'instant que chacun des héritiers se trouve rempli de sa légitime, rien ne s'oppose plus à l'exécution du legs, exécution pleine et entière si les biens du testateur y suffisent, après prélèvement de cette légitime, exécution jusqu'à concurrence du disponible, dans le cas contraire.

« Ce que les légataires se bornent à prétendre, dit M. Demo« lombe, c'est, d'une part, que leurs legs n'excèdent pas la « quotité disponible calculée, comme elle doit l'être, d'après ToM. XVIII.

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