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ciétés modernes. Elle n'a pas à faire ses preuves en fait d'amour et de charité, et elle bénira toujours les efforts que l'on fera pour l'amélioration et le bonheur du plus grand nombre. Elle qui travaille et verse son sang pour amener le sauvage à la lumière, à la vérité et à la civilisation, comment n'aimerait-elle pas les sociétés européennes, qui sont le fruit de ses entrailles, et la France qui est sa fille aînée ?

Entrons donc, sous le bénéfice de cette vérité, dans ces belles questions sociales.

La première qui se présente à nous, c'est celle de l'origine même de la société. Le dix-huitième siècle nous a légué à cet égard une erreur qui a contribué à en produire beaucoup d'autres, et que nous allons examiner. Elle a eu pour portevoix et pour propagateur principal J.-J. Rousseau, un des plus dangereux sophistes, parce qu'il sait mêler la vérité à l'erreur, et parce qu'en même temps qu'il fausse les esprits, il passionne les âmes. La société, dit son école, a une origine tout humaine; c'est l'homme qui en est l'auteur, c'est lui qui l'a faite. Les premiers pères du genre humain ont vécu d'abord à l'état sauvage; puis ils se sont mis dans l'esprit de fonder la société; ce qu'ils ont fait. Dès lors, tout en elle vient de l'homme seul: son origine, ses éléments, ses droits, l'autorité qui la gouverne : tout, en un mot, y est humain, tout y vient de l'homme et de sa volonté; tout y dépend de lui, et il peut tout changer, quand cela lui plaît.

Qui ne voit, à première vue, l'immense danger de cette erreur? Qui ne voit qu'elle est la source première et féconde d'où les autres sont sorties? Il n'est pas difficile du reste, de montrer la fausseté de cette dangereuse opinion. Et les raisons qui la combattent, viennent de tous les points de l'horizon intellectuel.

Quand sortant, pour ainsi dire, de soi-même, on considère les êtres dont on est environné, on remarque sans peine qu'ils sont tous, de quelque manière, en relations les uns avec les autres. Et lorsque étendant ses observations, et suivant les lois d'une analogie certaine, on embrasse du regard de l'in

telligence le globe entier que nous habitons, on constate que tous les êtres qu'il contient, sont unis entre eux, et forment comme une immense société. Les individus, les familles, les classes, les espèces, les genres, tout est en communication avec tout. Les mêmes lois régissent tous les ètres purement matériels, les mêmes lois régissent tous les tres qui sont au premier degré de la vie et végétent; les mêmes lois régissent tous les êtres animés; les mêmes lois enfin régissent tous les êtres intelligents, et tous les êtres de toutes les classes sont de quelque manière en relation avec tous les autres, ne fût-ce que par ces grandes énergies de la nature, ces forces et ces lois universelles d'attraction et de répulsion qui nous gouvernent, ne fût-ce que par ce fond commun et solide que nous appelons la terre et qui nous porte à travers l'espace.

Si, maintenant nous élevant sur l'aile de la pensée, nous parcourons le système solaire auquel notre globe appartient, et si nous ramassons en une seule idée générale les données de l'observation et de la science, nous constatons encore que tous ces beaux globes roulent dans l'espace avec ordre et harmonie, que des lois communes et fixes les ramènent à l'unité et qu'ils forment entre eux la société des astres. Si, ensuite montant à travers les sphères, nous interrogeons les mondes qui peuplent les espaces, si nous contemplons les myriades de soleil qui sont, comme le nôtre, le centre de myriades de mondes, nous voyons tous ces globes soumis à des lois certaines, suivre dociles la route qui leur a été tracée, et conduire sans fin dans les plaines célestes leurs courses harmonieuses. Et, si montant encore et nous plaçant par la pensée au-dessus de tous ces globes, nous réfléchissons sur les lois des êtres et les analogies des mondes, nous n'hésitons pas à affirmer qu'une loi commune enchaîne tous les êtres de la création et les emporte tous d'un mouvement unique et universel.

Nous pouvons donc, sans entrer ici dans des détails et des développements qui ne sont pas de notre sujet, poser ce principe, constater ce fait général : tous les êtres sont immédiate

ment ou médiatement en relation les uns avec les autres, ils forment tous une immense et universelle société.

Les raisons de ce fait sont multiples; indiquons-les rapidement. Et d'abord Dieu n'est pas seulement la cause, la source première et générale des êtres et des choses, il en est encore le type suprême, l'exemplaire universel. L'Etre divin en créant les mondes a copié, pour ainsi dire, un modèle intérieur qui est lui-même, et il les a faits à son image. Or Dieu, dans la simplicité infinie de son être, est à la fois un et multiple, il est en société. La raison nous apprend en effet que Dieu est, qu'il est une énergie infinie, une intelligence infinie, une volonté infinie; et la révélation allant plus loin dans l'explication de la nature divine, nous enseigne qu'il est à la fois Père, Fils et Esprit, c'est-à-dire, que sa nature se termine en une trinité de personnes, qu'il y a en lui unité dans la multiplicité, qu'il est en société. Conséquemment, puisque la création est comme une expression de lui-même, puisqu'il en est nécessairement le type et l'exemplaire, et qu'il l'a frappée à son image, les mondes doivent être, eux aussi, unité dans la multiplicité, les mondes et tous les êtres doivent être en société.

Si, descendant de ces hauteurs, nous considérons les êtres en eux-mêmes, si nous étudions leur nature, nous remarquons vite en eux, en tous, une double aptitude: une aptitude à donner, et une à recevoir. De là naît entre eux une sorte de conformité réciproque. Cette aptitude se constate et se vérifie dans toute espèce d'ètres, dans tous les règnes de la nature. Tout être matériel peut s'annexer et il peut donner, il peut recevoir et il peut perdre; tous sont soumis à la foi d'affinité et de cohésion, d'attraction et de répulsion. Tout être du monde végétal se nourrit des sucs de la terre, de la pluie et de la rosée du ciel, et des rayons du soleil. Les êtres doués de sensibilité sont tous susceptibles de recevoir des impressions et d'en faire naître, de communiquer la vie qu'ils ont reçue eux-mêmes d'autres êtres. L'homme, être intelligent et libre, roi de la création qu'il résume en lui-même, chef

d'œuvre de la nature, doué d'aptitudes merveilleuses, peut donner et peut recevoir, et cela relativement à tous les êtres créés de tous les règnes et de toutes les espèces. La loi dont nous parlons, atteint donc tous les êtres et la création tout entière. Or, la réalisation de cette loi, son exercice, c'est la société elle-même, c'est la communication réciproque et universelle des ètres, qui sont ainsi en société par leur nature même.

Quand on jette un coup d'oeil d'ensemble sur la création, ce qui frappe, ce qui plaît, ce que l'on admire surtout, c'est l'ordre, l'harmonie qui y règne. Si nous supposons l'univers et les êtres qu'il renferme existant avec leurs propriétés, mais sans relation, sans ordre, nous avons créé le chaos, cette masse informe, indigesta moles, dont parle la poésie, écho des traditions antiques, cette terre dépouillée et nue, cet abîme dont parlent les saintes Ecritures. Or, assurément Dieu n'a pas pu vouloir que ses œuvres ne fussent qu'un chaos. Il a donc ordonné les êtres les uns à l'égard des autres, il les a mis en relation, il les a unis par des lois, il les a établis en société. Et, c'est là ce qui fait la beauté de la création. Le beau est la splendeur des choses. Et cette splendeur elle-même résulte de l'ordre, de la proportion des parties, de l'harmonie de l'ensemble. La beauté de l'univers vient donc de ce que tous les êtres qui le composent, forment comme une universelle société.

Il y a donc une société générale, une immense communion des êtres. Tout est en société, depuis la poussière jusqu'à Dieu.

Or, nous allons voir cette loi s'appliquer à l'homme, ce principe se réaliser dans l'humanité par la société naturelle et générale des hommes, qui doit nous occuper d'abord un instant. J'appelle ainsi la société qui sort, qui découle immédiatement de la nature de l'homme, qui est le résultat immédiat de ses facultés, de ses tendances naturelles et de ses besoins innés. Il faut se garder de la confondre avec la société civile; plusieurs, pour n'avoir pas fait cette distinction, sont tombés dans de graves inexactitudes, et ont jeté de l'obscurité sur ces ques

tions, au lieu d'y apporter la lumière. Assurément le Français et l'Américain n'appartiennent pas à la même société civile, mais l'un et l'autre sont membres de la même société générale; ils sont en société sans être concitoyens. Cette société générale, immédiate, primitive, ne suppose pas par elle-même une autorité qui gouverne; la société civile au contraire la suppose nécessairement. Au reste, ce que nous allons dire de cette société fera mieux comprendre sa nature.

Il suffit à l'homme de réfléchir un instant sur lui-même, de prêter quelque attention à ce qui se passe en lui, pour constater l'existence d'une tendance, d'une inclination naturelle, innée, à se mettre en communication avec ses semblables, à vivre en société. Cette tendance se manifeste dès l'enfance, elle existe chez tous les hommes, dans tous les temps et dans tous les lieux. Elle sort de notre nature comme l'eau qui coule de la source, comme la flamme qui jaillit du foyer, comme les rayons qui s'échappent du sein du soleil. Elle est donc une tendance naturelle, innée, qui a été mise en nous par la main de la nature, ou plutôt de son auteur. La nature veut donc l'homme en société; la société est son état naturel.

De quelque côté du reste que l'on considère l'homme, on en voit sortir la même vérité. C'est un fait d'expérience que l'homme ne se développe intellectuellement et moralement que dans un milieu social, que dans la société et par la société. Il a sans doute une lumière intérieure ; Dieu a placé dans le sanctuaire de son âme l'astre de l'intelligence; mais à parler en général, cet astre, cette lumière ne brillent, ne jettent leur éclat qu'au contact d'nne intelligence étrangère; et c'est un fait hors de contestation que l'homme, que l'enfant ne se développe convenablement au point de vue intellectuel et moral que par la communication avec ses semblables, et que la société est sous ce rapport un moyen nécessaire à l'humanité. Le genre humain ne peut vivre convenablement de la vie intellectuelle et morale que dans l'état social; et si par impossible tous les hommes vivaient hors de ce milieu, ils ne ressembleraient pas mal à des brutes. Mais assurément un état nécessaire à l'homme

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