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Tous ceux qui ont lu, ou qui ont seulement parcouru l'histoire de l'Eglise, ne peuvent ignorer qu'elle en est pleine. Tous ceux qui connaissent, même superficiellement, le droit canonique, savent que les élections et les règles d'après lesquelles elles doivent se faire, en sont une partie très considérable et très importante. Et l'on y trouve des règles pleines de sagesse, qu'il serait fort utile aujourd'hui de méditer. La première, c'est que l'élection doit se faire en complète connaissance de cause, et que par conséquent il faut faire toute diligence pour connaître la capacité des sujets, et c'est là une obligation grave. « Tout électeur, lisons-nous dans le texte, est obligé de donner son suffrage en connaissance de cause, et de faire des recherches sur la capacité de la personne à élire... Il est tenu de prendre les précautions nécessaires pour éviter l'élection des indignes ou des moins capables 1. »> Hélas! quel nombre immense d'électeurs parmi nous sont ici en faute! Ecoutons encore le droit ecclésiastique : « L'électeur qui a voté pour un indigne, doit être puni par la privation de son droit d'élection. Et s'il prétend qu'il a voté ainsi par ignorance, il doit prouver qu'elle n'était pas coupable. Une pareille ignorance ne se présume pas; car tout électeurs est obligé, de par son mandat, de s'assurer des qualité du sujet à élire 2. » A bien prendre les choses, c'est-à-dire dans leur réalité, nous n'avons guère, pour la nomination de nos législateurs, que des élections à deux degrés la plus grande partie des électeurs ne connaissent pas ceux qu'ils nomment; les comités les connaissent, et ainsi ce sont eux surtout qui les nomment.

La seconde condition de la légitimité d'une élection, c'est sa liberté. Or le droit canonique est plus sévère encore, si c'est possible, pour cette condition que pour la première. Il va jusqu'à proscrire toute sollicitation de suffrage. « La subornation, lisons-nous, ôte la liberté du choix et rend l'élection nulle. Or il y a subornation quand on emploie des solliDécret Gregor. De electione, etc. Cfr. FERRARIS, Bibliotheca canonica etc. au mot Electio.. 2 FERRARIS, ibid.

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citations et des prières pour obtenir des voix. On punit même de l'excommunication, « quiconque aura suborné les électeurs, en cherchant à obtenir leurs voix, soit pour soimême, soit pour un autre, soit pendant les élections, soit dans les six mois qui les précèdent . » Les divers cas du reste de subornation sont indiqués et flétris énergiquement: La subornation a lieu, lorsqu'on emploie des menaces, des blâmes, des calomnies, des insinuations, des révélations de fautes secrètes, des dons, des promesses, et autres moyens, artifi ces ou procédés malhonnêtes, pour émouvoir et déterminer l'électeur à donner son suffrage, soit à celui qui use de ces moyens pervers, soit à ses amis, en faveur desquels il les emploie . » Voilà certes, tout le monde en conviendra, des prescriptions qui sont fort justes, et que l'on fera bien d'appliquer dans tous les temps et dans toutes les circonstances. Et maintenant à qui fera-t-on croire qu'il y ait quelque opposition entre les doctrines de l'Eglise et l'élection?

Mais, dit-on, le suffrage universel n'est-il pas vu par elle d'un mauvais œil? Ne lui est-elle pas hostile?

C'est là une pure imagination. Il n'y a absolument rien dans les doctrines et les prescriptions de l'Eglise qui lui soit opposé. Elle ne s'occupe pas des élections politiques. Qu'elles soient à un degré ou à deux, que le suffrage soit universel ou restreint, elle ne s'en occupe pas. Elle laisse à chaque nation les avantages et les périls de tous les systèmes de vote anciens ou modernes, et leur souhaite à toutes bonheur et prospérité.

Saint Thomas d'Aquin est, comme chacun sait, le théologien le plus autorisé dans l'Eglise. Or il veut que dans un Etat bien réglé il y ait élection et même suffrage universel. D'après lui, c'est au peuple qu'appartient l'élection des chefs: ad populum, dit-il, pertinet electio principum. Et dans un tel Etat, dit-il encore, le principat appartient à tous, et parce que les chefs peuvent être pris dans tout le peuple, et parce qu'ils sont élus par tous; en d'autres termes, pour parler la langue 1 FERRARIS, ibid. 2 Id., ibid. 3 Id., ibid.

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L'ÉGLISE ET LES SOCIÉTÉS MODERNES.

politique moderne, parce que tous sont éligibles et que tous sont électeurs; talis principatus ad omnes pertinet, tum quia ex omnibus eligi possunt, tum quia ab omnibus eliguntur 1. Sans doute il faut se garder d'appliquer cette doctrine à tort et à travers. En tout cas, elle est un fait, que personne ne peut nier.

Mais Pie IX n'a-t-il pas condamné le suffrage universel? N'a-t-il pas proscrit cette proposition : « l'autorité n'est autre chose que la somme du nombre et des forces matérielles 2 ? » Il faut de la bonne volonté pour voir là une attaque au suffrage. Le pape dit que l'autorité n'est pas uniquement la somme des voix et des forces matérielles; mais il ne dit pas le moins du monde que le suffrage n'est rien et ne vaut rien. Et la condamnation portée est du reste parfaitement conforme à la raison. L'autorité est le droit de commander, ayant sa source première et générale en Dieu, et sa source secondaire dans la volonté nationale, manifestée de quelque manière ; nous l'avons démontré. Et ainsi l'autorité n'est pas un fait purement matériel et une force brute. Et ce n'est que chez les animaux qu'une pareille définition peut être admise. L'autorité est un droit, et l'obéissance un devoir; et ces deux choses appartiennent à l'ordre moral. Qui oserait le nier? Or c'est ce que Pie IX enseigne.

1 Sum. theol., 1a 2x, q. 105, a. 1. 2 Syllabus, LX.

CHAPITRE QUATORZIÈME.

RÉSUMÉ ET CONCLUSION DE CE LIVRE.

Nous allons, avant d'entrer dans la seconde partie de cet ouvrage, suspendre un instant notre marche, jeter un regard d'ensemble sur l'espace que nous avons parcouru, et placer nos doctrines dans leur liaison et leur unité sous les yeux de l'esprit. Le lecteur pourra ainsi conclure avec nous qu'il n'y a aucune opposition réelle entre la démocratie saine et véritable et l'Eglise catholique.

Quand on considère avec quelque attention l'ensemble des êtres, quand on les étudie dans leur nature, leurs aptitudes et leurs rapports, on arrive, comme nous l'avons vu, à cette conclusion tous les êtres, depuis la poussière jusqu'à Dieu, tous les mondes, sont en relation les uns avec les autres, et tous forment une immense et universelle société.

Et si nous nous renfermons dans l'humanité, nous voyons d'abord que tous les hommes, par là même qu'ils sont hommes, forment une société naturelle et générale qui les embrasse tous. Elle se divise en deux sociétés particulières: la société domestique et la société civile. La nécessité de cette dernière découle, nous l'avons vu, de la nature même de l'homme, au moins telle qu'elle est, dans sa réalité actuelle. L'ordre, la sécurité, la paix, le développement intellectuel, moral et matériel l'exigent impérieusement. Et ainsi la société n'est pas une institution libre, mais une institution naturelle et nécessaire.

Cette société ne peut exister sans l'autorité; celle-ci en est

un élément nécessaire, indispensable. Or nous avons traité de l'origine de cette autorité. D'où vient-elle ? Où en est la source? Elle vient de Dieu, disent les uns. C'est le peuple, disent les autres, c'est la nation qui la donne, c'est là sa source véritable.

Nous avons vu où est la vérité. Cette question est double, elle a un double aspect, qu'il faut soigneusement distinguer, sous peine de n'arriver qu'à une solution confuse et mal définie. Quelle est la source de l'autorité considérée en ellemême et en général? D'où vient qu'il y en a sur la terre? Quelle en est la cause première et générale? En second lieu, qui estce qui l'a donnée aux princes, aux chefs des peuples? D'où vient qu'ils l'ont ? Quelle est sa source immédiate ?

La source, la raison première de l'autorité, avons-nous dit, comme de la société, c'est la nature même de l'homme, et Dieu, par conséquent, auteur de la nature. La société est naturelle, nécessaire à l'homme. Or l'autorité est un élément essentiel de la société. Elle vient donc de la nature, elle vient donc de Dieu. Mais est-ce lui qui la donne immédiatement aux chefs des peuples? D'où vient qu'ils l'ont?

Nous l'avons vu, d'après les meilleurs théologiens, c'est la nation qui est après Dieu la source seconde et immédiate du pouvoir. Un peuple, une collection de familles a nécessairement, par la nature des choses, le droit naturel de se constituer en corps, en société politique, et de se continuer, si l'on peut ainsi parler, dans cet état. Or ce droit inclut celui de gouvernement, le droit de se gouverner, car ce dernier est intrinsèque à la nature et à l'idée même de société politique. Le peuple a donc naturellement en lui-même ce droit de gouvernement. Mais un peuple ne peut pas se gouverner lui-même. Il faut donc qu'il transmette ce droit, qu'il le donne à quelqu'un, à un ou à plusieurs. Or donner le droit de gouverner ou de commander, c'est donner le pouvoir. Dieu sans doute en est la cause première; la nation en est la cause seconde.

Cette doctrine est le principe même de la démocratie. Et d'un autre côté, nous l'avons montré, elle est celle des princi

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