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ne dit-il pas avec la noble franchise de son génie, après le récit de certains abus de pouvoir : « Voilà les effets funestes de la tentation de la puissance... Cela fut ainsi dès l'origine. Et aussitôt qu'il y eut des puissances absolues, on craignit tout de leurs passions... Et on voit que depuis l'établissement de la puissance absolue, il n'y a plus de barrière contre elle. Avouons donc de bonne foi qu'il n'y a point de tentation égale à celle de la puissance, ni rien de plus difficile que de se refuser quelque chose quand les hommes vous accordent tout. » Il me semble difficile de mieux montrer que la puissance absolue est funeste à l'autorité comme aux peuples. Les institutions qui la modèrent sont donc un bienfait pour tous. 1 Boss., Polit. tirée de l'Écrit., 1. X, a vi.

CHAPITRE QUATRIÈME.

DU SYSTÈME REPRÉSENTATIF. RÉGIME DES ÉTATS ET RÉGIME

PARLEMENTAIRE.

Nous avons donc vu la nécessité des institutions modératrices du pouvoir. L'autorité absolue, bien qu'elle puisse être quelquefois nécessaire, ne doit pas être l'état normal chez les nations civilisées. Cette doctrine, considérée ainsi en général, et abstraction faite des formes que ces institutions peuvent revêtir, convient à tous les peuples arrivés à un certain degré de civilisation, et elle paraît généralement admise parmi les publicistes modernes.

Mais une question se présente immédiatement. Que doivent être ces institutions? En quoi consistent-elles? Où faut-il placer ce tempérament, ce contre-poids dont le pouvoir a besoin?

A prendre les choses absolument, et en faisant abstraction. des temps et des circonstances, il n'y a dans un Etat que deux choses, le gouvernement et la nation. C'est donc dans celle-ci qu'il faudrait placer le contre-poids dont nous parlons. Mais il est moralement impossible qu'une nation tout entière, une grande nation, participe elle-même en corps au gouvernement. Elle ne peut le faire que par représentation, par ses représentants. De là le système représentatif. Ce serait une erreur de croire qu'il est moderne et qu'il était autrefois inconnu. Il a toujours existé, sinon quant au nom, au moins quant à la chose elle-même. Et, pour nous restreindre à la France, qui ne connaît les assemblées appelées Champ de Mars et Champ de Mai, composées d'abord, comme nous l'a

vons déjà rappelé, de tous les hommes libres, et plus tard, quand cela fut devenu impossible, formées seulement des prélats et des grands du royaume, représentants naturels de la nation? Déjà sous la première race de nos rois, on trouve une sorte de parlement, où l'on prononçait sur les affaires importantes de l'Etat et sur les causes majeures de justice. Tout le monde connaît aussi les Etats généraux, qui se sont perpétués jusqu'à la fin du siècle dernier. Or, je le demande, qu'est-ce que tout cela, sinon la nation représentée, le système représentatif mis en action? Il est du reste impossible d'en concevoir, d'en imaginer un autre. Les assemblées des grands du royaume, de la noblesse, des notables, les états, les parlements, les chambres, tout cela, c'est la nation représentée d'une manière plus ou moins complète. Ce sont là en effet, de l'aveu de tout le monde, des institutions modératrices du pouvoir, des contre-poids à l'autorité. Or, toutes ces choses représentent ou le gouvernement ou la nation. Mais évidemment elles ne représentent ni ne peuvent représenter le gouvernement, car il est absurde qu'il se fasse contre poids à lui-même, qu'il soit lui-même l'institution modératrice de son pouvoir. Elles représentent donc la nation. Le système représentatif est donc de tous les temps; il est dans la nature même des choses.

Mais il se présente dans l'histoire sous deux grandes formes principales; le régime des états et le régime parlementaire 1. Nous allons les examiner l'un et l'autre. Commençons par le premier.

1 On a souvent confondu dans les discussions contemporaines le système représentatif et le système parlementaire. Celui-ci n'est qu'une partie, une des formes du premier. Le système représentatif a plus d'extension, puisqu'il comprend, et le régime des états, et le régime parlementaire. Quand la France était sous le régime des états, le système représentatif y existait par là même, mais non le régime parlementaire. Le régime parlementaire est représentatif; mais tout régime représentatif n'est pas parlementaire, puisque le régime des états, lui aussi, est représentatif. En un mot, le régime parlementaire n'est qu'une division du système représentatif qui comprend, et le régime des états, et le régime parlementaire. Le régime des états a existé longtemps en France, et le régime parlementaire existait en même temps en Angleterre; et l'un et l'autre étaient le système représentatif.

Bien que ce régime soit mort et ne fonctionne plus sous nos yeux, nous pouvons cependant, d'après l'histoire, nous en faire une idée, nette et précise. On peut ramener à quatre principaux tous les éléments qui le composent, et qui étaient, pour ainsi dire, épars dans l'ancienne société. Le régime des états consiste en corporations formant de véritables corps sociaux, et représentant les intérêts des diverses professions; en municipalités représentant les intérêts des communes, des bourgs, des villes; en états provinciaux représentant les intérêts des provinces; et enfin en états généraux formant des corps politiques et représentant les intérêts généraux de la nation tout entière. Fénelon, plus rapproché que nous des temps où a fonctionné ce régime dont il était partisan, nous en a tracé lui-même comme une sorte de tableau. Dans son Plan de gouvernement, esquissé pour le duc de Bourgogne en prévision de son élévation au trône, il expose ainsi ce qu'il aurait voulu voir établi en France :

Etablissement d'assiette, qui est une petite assemblée de chaque diocèse, comme en Languedoc, où est l'évêque avec les seigneurs du pays et le tiers état, qui règle la levée des impôts suivant le cadastre, et qui est subordonné aux états de la province.

» Etablissement d'Etats particuliers dans toutes les provinces, comme en Languedoc; on n'y est pas moins soumis qu'ailleurs, on y est moins épuisé. Ces états sont composés des députés des trois états (classes) de chaque diocèse, avec pouvoir de policer, corriger, destiner les fonds, écouter les représentations des députés des assiettes, mesurer les impôts sur la richesse naturelle du pays, du commerce qui y fleurit. › Etablissement d'Etats généraux.

» Leur utilité. Etats du royaume entier seront paisibles et affectionnés, comme ceux de Languedoc, Bretagne, Bourgogne, Provence, Artois. Conduite réglée et uniforme, pourvu que le roi ne l'altère pas. - Députés intéressés, par leurs biens et par leurs espérances, à contenter le roi. Députés intéressés à ménager leur propre pays où leur bien se

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