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Il est de plus le premier maître, le suprême monarque de la société. Or Dieu premier principe, Dieu maître suprême a droit, comme tel, à un culte. Il a donc droit à un culte social. Mais il n'est pas complet là où il n'y a pas de religion d'Etat. Il y manque en effet un élément fort important l'autorité, la tête de la nation. La société civile se compose essentiellement de deux éléments: le peuple et l'autorité. Et par conséquent le culte social doit les comprendre l'un et l'autre, et il est incomplet, si l'autorité, la tête manque.

On le voit donc, la religion d'Etat est parfaitement avouée par la raison. Elle n'est pas du reste opposée à la liberté civile des cultes, dont nous avons parlé au chapitre précédent, et qui existe généralement en Europe. Tout le monde sait que sous la Restauration, par exemple, la religion catholique était proclamée par la constitution religion de l'Etat, bien que la liberté que je viens de rappeler, y fùt aussi proclamée et existât réellement.

Mais je me hâte de le reconnaître le vent ne souffle pas aujourd'hui de ce côté-là; l'opinion publique n'est pas parmi nous favorable à la religion d'Etat. La véritable question pratique en ce moment est plus grave encore: c'est celle de la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Faut-il la proclamer, ou faut-il conserver l'union qui existe aujourd'hui ?

La séparation est d'abord opposée au passé et à toute l'histoire des deux sociétés depuis quatorze siècles, laps de temps pendant lequel l'union a eu pour l'une et l'autre d'excellents résultats. Or la raison et le bon sens nous disent qu'il faut bien se garder de briser ainsi avec ce qui s'est toujours fait, et ne pas détruire un état de choses dont les résultats sont connus pour se jeter dans les aventures.

Elle est opposée au Concordat qui règle parmi nous les relations des deux pouvoirs, et qui a eu jusqu'ici de très bons résultats nous aurons du reste à en parler.

Elle est opposée aux droits de l'Eglise, qui doit être sustentée par l'Etat, à titre de dette, en compensation acceptée par lui des biens ecclésiastiques qu'il s'est appropriés.

Et l'acquittement d'une dette n'est pas assurément quelque chose de facultatif; la justice la plus élémentaire dit que la société civile n'a nullement le droit de s'y soustraire.

Elle est opposée à la nature même des choses, en ce sens au moins qu'elle demande l'union comme le régime qui est en lui-même le meilleur et le plus rationnel, bien qu'elle ne l'exige pas absolument et essentiellement.

En effet, tout indique que les deux sociétés auxquelles l'homme appartient sur la terre, l'Eglise et l'Etat, doivent avoir des relations multiples. Elles sont sans doute distinctes dans leur origine; mais toutefois elles ont une cause, un principe premier commun, Dieu et la nature sociale de l'homme. Elles ont chacune un but spécial et propre; mais ils ne sont point séparés et s'unissent au contraire parfaitement. L'Etat a pour but propre et immédiat de contribuer à faire trouver à l'homme sur la terre la paix et la tranquillité; l'Eglise a pour fin, pour mission, de lui faire pratiquer les vertus chrétiennes qui doivent le mener au terme de son existence. Or ces deux buts ne sont nullement séparés et ils ont d'étroites relations. L'état de paix et de tranquillité extérieure et sociale est grandement utile à la pratique de la vertu et des devoirs religieux; et d'un autre côté la vertu, la pratique de la religion contribuent à la paix et au bonheur social. Les buts que poursuivent les deux sociétés ne sont donc pas séparés. Les moyens ne le sont pas davantage. Celui qui les résume tous, et par lequel les deux sociétés tendent à leur but, c'est pour l'une et l'autre l'observation de leurs lois. Mais qui ne voit d'abord que l'observation des lois de l'Eglise, la fidélité à ses préceptes est très utile à l'observation des lois de l'Etat, puisque indépendamment des autres raisons, cette observation même est une des prescriptions de l'Eglise. Les observateurs fidèles des lois religieuses le sont aussi des lois de l'Etat, et on ne peut être un bon chrétien et un mauvais citoyen; on trouve peu de saints sur les barricades. D'un autre côté, l'obéissance aux lois civiles produit la paix et la tranquillité des Etats, très utile à l'œuvre de l'Eglise qui ne

se fait qu'à grand'peine au milieu des troubles et des révolutions.

L'histoire parle comme la nature des choses. Qu'on la consulte, et l'on verra que c'est avec le concours de l'Etat que l'Eglise a fait ses plus grandes œuvres religieuses et civilisatrices. A part son établissement primitif au milieu des persécutions, où Dieu voulait, comme dit Bossuet, que sa main parut toute seule, elle a presque toujours usé dans la suite des âges de la coopération des gouvernements catholiques. C'est avec le concours de l'autorité civile que l'Eglise s'est établie définitivement au milieu des Francs; et leur union a produit les grandes choses que l'on sait. Si Dieu, par l'action de sa miséricordieuse providence amenait au catholicisme l'empereur de Russie et le gouvernement anglais, quel immense résultat l'Eglise ne pourrait-elle pas obtenir dans l'univers entier! On a beau répandre les idées d'indépendance et chercher à amoindrir l'influence de l'autorité, elle sera toujours considérable pour le bien comme pour le mal. Sans doute ce ne sont ni les princes, ni les gouvernements qui convertissent, mais ce sont de grands auxiliaires ou de grands obstacles.

Mais, dit-on quelquefois, voyez les Etats-Unis d'Amérique. Il n'y a là entre le gouvernement et l'Eglise catholique aucune espèce d'union, aucune relation officielle, mais au contraire séparation complète, et quant aux biens ecclésiastiques, et quant à la nomination des évèques, et quant aux lois et règlements canoniques séparation en tout et partout. Et cependant l'Eglise catholique fait dans ces régions d'immenses progrès.

Ce fait, qui est très réel, contribue à mettre dans tout son jour une importante vérité, connue du reste, c'est que l'Eglise a en elle-même, dans sa divine organisation, tout ce qui lui est nécessaire pour vivre, se répandre, propager la vérité et la vertu et verser des bienfaits. Elle peut, absolument parlant, se passer du concours et de l'appui ds la puissance civile, quand celle-ci la lui refuse, et ne lui demander que

deux choses, l'air et la liberté. Je n'admets pas que ce soit là pour elle, à parler en général, la meilleure condition d'existence, celle où elle peut le mieux déployer toute sa bienfaisante influence. Mais enfin l'Eglise peut, dans cet état de choses, exister, se répandre, s'organiser et vivre de sa propre vie. Dieu qui savait qu'elle aurait à exister et à faire son œuvre sous tous les régimes possibles, l'a tellement constituée qu'elle trouve en elle tout ce qui lui est nécessaire et qu'à parler absolument elle n'a besoin que d'elle-mème.

Mais il faut se garder de conclure de cette vérité et du fait dont nous parlons, que l'état de choses qui existe aux EtatsUnis relativement à l'Eglise, soit ce qu'il y a de mieux et doive ètre imité en France. D'abord cet état de choses tient en réalité de celui des missions étrangères, et en est la continuation : l'Eglise s'est établie dans ce pays, 's'y est développée et continue à le faire. En second lieu, le gouvernement y est protestant: estil si étonnant qu'il n'y ait pas entre lui et l'Eglise de relations officielles? Le même fait se passe en Angleterre, où l'Eglise ne demande rien à l'Etat. En troisième lieu, la religion catholique en France a un droit positif et de justice au traitement que l'Etat fait à ses ministres. En quatrième lieu, le passé des Etats-Unis n'a sous ce rapport aucun rapport avec celui de la France, qui n'est sans doute pas un pays de missions, et a quatorze siècles de christianisme et de relations officielles avec l'Eglise, fixées aujourd'hui dans un Concordat dont les résultats ont été juqu'ici excellents.

Concluons donc que l'union de l'Eglise et de l'Etat a toute espèce de motifs, qu'elle est le régime le plus raisonnable, et qu'à prendre les choses en elles-mêmes, elle doit être l'état normal et habituel des sociétés. Sans doute il y a des degrés dans cette union, et elle ne saurait être aussi étroite dans les temps modernes qu'elle l'était au moyen âge. Mais elle vaut mieux que la séparation, et il faut la maintenir en France et chez toutes les nations catholiques.

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