Page images
PDF
EPUB

CHAPITRE QUINZIÈME.

LES PRINCIPES DE 89.

Nous avons rencontré plusieurs fois dans le cours de cet ouvrage, dans la série des matières qui se sont présentées à notre examen, des expressions, des formules générales, vagues, mal définies, et qui sont une source de malentendus et de discussions souvent aussi vagues qu'elles-mêmes. Peutêtre dans cette catégorie faut-il donner le premier rang à la formule écrite en tête de ce chapitre. Qui ne parle des principes de 89? Ils sont sur les lèvres des orateurs, sur la plume des écrivains, dans les livres et les feuilles publiques. Mais tous ceux qui en parlent, pourraient-ils les définir? En ont-ils une idée nette et précise?

Que faut-il donc entendre par ces principes? Quels sont-ils? Où sont-ils ? Faut-il entendre simplement par là un ensemble de principes sociaux et politiques, favorisant plus ou moins la liberté? C'est bien là, je crois, l'idée générale qui est au fond dans l'esprit de ceux qui en parlent. Mais qui ne voit que c'est là quelque chose de trop vague et de trop indéterminé ? Faut-il comprendre sous cette appellation les idées sociales et politiques émises à cette époque fameuse de 89? Mais on a enseigné alors comme toujours des doctrines vraies et des doctrines fausses, des doctrines utiles et des doctrines dangereuses, des doctrines contradictoires les unes aux autres. Qui fera le triage et quelle autorité aura-t-il? Cherchons donc quelque chose de plus positif.

Tout le monde sait qu'à cette époque les états généraux furent convoqués, et devinrent l'Assemblée constituante. Les

députés apportaient dans leurs cahiers les vœux de la France pour la réforme de l'Etat. Une commission fut chargée de les étudier et d'en faire le résumé, qui fut lu à l'Assemblée le 27 juillet 1789. Ecoutons-le '.

<< Messieurs, vous êtes appelés à régénérer l'empire français: vous apportez à ce grand œuvre et votre propre sagesse et la sagesse de vos commettants. Nous avons cru devoir d'abord rassembler et vous présenter les lumières éparses dans le plus grand nombre de vos cahiers; nous vous présenterons ensuite et les vues particulières de votre comité, et celles qu'il a pu ou pourra recueillir encore dans les divers plans, dans les diverses observations qui lui ont été ou qui lui seront communiquées ou remises par les membres de cette auguste assemblée. » C'est de la première partie de ce travail que nous allons vous rendre compte.

>> Nos commettants sont tous d'accord sur un point ils veulent la régénération de l'Etat; mais les uns l'ont attendue de la simple réforme des abus et du rétablissement d'une constitution existant depuis quatorze siècles, et qui leur a paru pouvoir revivre encore, si l'on réparait les outrages que lui ont fait le temps et les nombreuses insurrections de l'intérêt personnel contre l'intérêt public. D'autres ont regardé le régime social existant comme tellement vicié, qu'ils ont demandé une constitution nouvelle, et qu'à l'exception du gouvernement et des formes monarchiques, qu'il est dans le cœur de tout Français de chérir et de respecter, et qu'ils vous ont ordonné de maintenir, ils vous ont donné tous les pouvoirs nécessaires pour créer une constitution, et asseoir sur des principes certains et sur la distinction et constitution régulière de tous les pouvoirs, la prospérité de l'empire français. Ceux-là ont cru, que le premier chapitre de la constitution devait contenir la déclaration des droits de l'homme, de ces droits imprescriptibles pour le maintien desquels la société fut établie. >>

1 Rapport du comité de constitution contenant le résumé des cahiers relatifs à cet objet, lu à l'Assemblée nationale par le comte de Clermont-Tonnerre.

Le rapporteur expose ensuite les principes politiques contenus dans les cahiers; il les divise en deux classes: les uns qu'il donne comme décision certaine et qui sont le résultat uniforme des cahiers; les autres qu'il donne comme questions à résoudre, et qui sont le résultat différent et même contradictoire de ces mêmes cahiers. Ces questions regardent la création d'une ou de deux chambres législatives; la permanence ou la périodicité du corps législatif, ainsi que sa dissolution; le maintien des différents ordres de l'Etat, l'action législative du roi, la liberté de la presse, etc. Voici les principes donnés comme certains par les cahiers: le gouvernement français est un gouvernement monarchique ; la personne du roi est inviolable et sacrée; la couronne est héréditaire de mâle en mâle; le roi est dépositaire du pouvoir exécutif; les agents de l'autorité sont responsables; la sanction royale est nécessaire pour la promulgation des lois; la nation fait la loi avec la sanction royale; le consentement national est nécessaire à l'emprunt et à l'impôt; celui-ci ne peut être accordé que d'une tenue d'états généraux à l'autre ; la propriété sera sacrée ; la liberté individuelle sera sacrée. Tels sont les points sur lesquels les cahiers étaient d'accord.

Il semble que les principes de 89 devaient être pris dans les doctrines proclamées alors par la France dans les cahiers dont nous venons de parler et qui émanaient d'elle. Il n'en est rien cependant. Ce n'est pas là qu'il faut chercher, au moins quant au texte, ce que l'on entend communément sous ce nom de principes de 89. En cette année mémorable qui ouvre une nouvelle ère pour la France, l'Assemblée constituante, après la fameuse nuit du 4 août qui abolit les privilèges, fit comme préambule à la constitution qu'elle méditait, la célèbre déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Lisons-la d'abord :

Les représentants du peuple français constitués en Assemblée nationale, considérant que l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont

résolu d'exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l'homme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs; afin que les actes du pouvoir législatif et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la constitution et au bonheur de tous.

» En conséquence, l'Assemblée nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l'Etre suprême, les droits suivants de l'homme et du citoyen.

» ART. 1er. Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune.

» ART. 2. Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont : la liberté, la sûreté et la résistance à l'oppression.

» ART. 3. Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation : nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément.

» ART. 4. La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Ainsi l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi.

» ART. 5. La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas.

» ART. 6. La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège soit qu'elle punisse. Tous les

« PreviousContinue »