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ne veut pas seulement l'autorité d'une manière générale et, pour ainsi dire, abstraite, il la veut positive et vivante. Et lorsqu'elle est légitimement dans les chefs des peuples, il veut qu'on leur obéisse; il confirme et sanctionne leur autorité d'un sceau réellement divin, à considérer même les choses dans l'ordre purement naturel. Dieu ayant élevé l'humanité à l'ordre surnaturel, veut sans doute que les chefs d'un côté et les peuples de l'autre agissent par des motifs et pour des buts surnaturels; mais c'est une question que nous n'avons pas à traiter ici, et qui ne rentre pas dans le but que nous nous sommes proposé.

Le voilà donc ce fameux droit divin, dont tant de publicistes parlent sans le définir, et sans savoir ce qu'il est. Rien pourtant n'est plus simple, plus vrai, plus logique, plus con-forme à la nature et à la raison. Il suffit de faire usage de son intelligence pour comprendre que Dieu est nécessairement et par l'essence même des choses, la source et l'océan infini de toute autorité, et que par conséquent tout pouvoir vient de lui, dans le sens que nous avons expliqué. C'est là du reste le côté admirable de l'autorité; c'est ce qui ennoblit l'obéissance et la rend digne de l'homme. Dieu, source première de l'autorité, veut le pouvoir des princes et des chefs des peuples, il en veut l'exercice, confirme et sanctionne leurs lois, et la soumission remonte ainsi jusqu'à lui. C'est là surtout ce qui la rend noble et grande.

Et maintenant ce droit divin est-il opposé au droit national? Ces deux droits sont-ils contraires l'un à l'autre ?

En aucune manière et sous aucun rapport. Un coup d'œil sur leurs relations suffit pour le faire comprendre.

Ce droit divin consiste en ce que Dieu soit la source première, le principe premier de l'autorité. Le droit national consiste en ce que la nation en soit après Dieu sa source secondaire. Or, nous avons démontré, et plusieurs fois, qu'il en est ainsi, et cela nécessairement, par la nature même des choses. Et d'un autre côté la cause première n'est nullement opposée à la cause seconde, et celle-ci ne détruit pas la pre

mière. Elles se supposent au contraire l'une l'autre. C'est là de la logique et de la philosophie élémentaire. Il n'y a donc aucune opposition, aucune difficulté dans l'existence simultanée de ces deux droits.

En second lieu, un des droits auxquels les nations paraissent tenir spécialement, surtout dans les temps modernes, c'est, à l'établissement d'un pouvoir, d'une forme de gouvernement, d'intervenir de quelque manière. Mais il n'y a aucune ombre d'incompatibilité entre cette intervention et le droit divin. La nation étant la cause immédiate du pouvoir, il est naturel qu'elle intervienne, au moins par son acceptation. Et encore une fois la cause seconde ne détruit pas la cause première. Il n'y a qu'un cas où le droit de Dieu soit blessé, c'est l'illégitimité du changement de pouvoir; mais nous supposons, bien entendu, ce changement légitime.

Un autre droit, généralement et vivement revendiqué à notre époque, c'est le droit à la liberté. Et on ne saurait nier qu'une certaine liberté ne doit être donnée aux peuples. Le degré sans doute n'est pas facile à préciser; il est même impossible de le faire à priori et d'une manière générale et absolue. Cela dépend évidemment, et du caractère de la nation, et de ses antécédents, ainsi que des circonstances où elle se trouve. Telle liberté qui est salutaire ou du moins sans danger pour un peuple, pourrait être un péril pour un autre. Il faut toutefois chez les peuples civilisés et chrétiens unir l'autorité et la liberté; il faut des institutions modératrices du pouvoir. Et nous aurons à en parler au second livre de cet ouvrage. En tout cas, la doctrine du droit divin, telle que nous l'avons exposée, ne peut faire obstacle à aucune liberté légitime. Elle ne s'oppose à aucune forme de gouvernement. Dieu veut qu'on obéisse aux lois d'une république comme à celles d'une monarchie, au gouvernement démocratique des Etats-Unis d'Amérique comme au gouvernement aristocratique de l'Angleterre; il commande l'obéissance à toute autorité, et le droit divin sanctionne et protège tout gouvernement légitime.

CHAPITRE HUITIÈME.

LA DÉMOCRATIE EN FRANCE. TIERS-ÉTAT.

Tout ce que nous avons écrit jusqu'ici regarde la démocratie, mais considérée surtout au point de vue doctrinal et dans son principe. Nous allons maintenant la considérer plus directement en elle-même et dans son application, comme fait social.

Et d'abord, d'où vient la démocratie? Est-elle entièrement nouvelle parmi nous. N'y existe-t-elle, comme plusieurs semblent le croire,' que depuis la grande révolution?

La société ancienne qui a disparu à la fin du dernier siècle et dont la nôtre est sortie, se composait, comme le monde des anciens, de quatre éléments : la royauté, le clergé, la noblesse et le tiers-état. Le nom de ce dernier indique ce qu'il était, c'est-à-dire le tiers ou le troisième état ou corps politique. Nos anciens auteurs l'appellent aussi le commun état; et en effet, il était l'état du plus grand nombre. Les écrivains modernes le nomment souvent simplement le tiers.

Mais que faut-il entendre sous cette dénomination de tiersétat? Que comprend-il? Qu'est-ce qui le composait? Les publicistes se sont partagés à cet égard en deux opinions. Les uns pensent que le tiers était ce que nous appelons aujourd'hui la bourgeoisie. Et ce sentiment était autrefois assez commun. La raison sur laquelle il s'appuie, est que la bourgeoisie seule, de toute cette classe immense, qui n'était ni le clergé ni la noblesse, était apte à la vie politique. D'autres écrivains, et à leur tête Augustin Thierry 1, s'élèvent avec force 1 AUG. THIERRY, Essai sur l'histoire de la formation du Tiers-Etat, Préf.

contre cette opinion, qu'ils qualifient de dangereuse et de fausse. Elle est dangereuse, disent-ils, parce qu'elle tend à introduire la division d'autrefois dans la société moderne. Elle est fausse en elle-même, puisque historiquement le tiers-état comprenait et représentait tout ce qui n'était ni le clergé ni la noblesse.

Que penser de cette discussion? Où est la vérité? Quelle opinion faut-il admettre?

Nous croyons que la dernière est préférable, parce qu'elle exprime mieux la réalité des choses. Le tiers représentait tout le peuple, et surtout dans les derniers siècles de la monarchie. Nous avons l'ordonnance de Louis XVI relative aux élections pour la nomination des députés aux états généraux de 1789. Or, elle désigne comme ayant le droit d'assister aux assemblées électorales « tous les habitants des villes, bourgs et campagnes, nés Français ou naturalisés, âgés de vingt-cinq ans, domiciliés, et compris aux rôles des impositions '. »

Quant au danger de l'opinion contraire, il est certain qu'en fait, et quelque sentiment que l'on veuille admettre, il s'établit naturellement une distinction entre la bourgeoisie et le peuple; non pas une distinction juridique ou de droit, mais une distinction de fait. Et la raison en est bien simple. Ce que l'on appelle la bourgeoisie est la classe cultivée, lettrée, intelligente et riche, relativement au peuple. Or, à parler en général, ce sera toujours l'intelligence qui dominera sur la terre, et le peuple lui-même nomme pour ses représentants précisément ceux qui lui sont supérieurs; il sent d'instinct que l'intelligence est la reine du monde.

Le tiers-état contenait donc en lui-même la démocratie, ou plutôt il l'était, au moins dans sa substance, et il a toujours eu une réelle importance. Un regard rapide sur son histoire nous fera comprendre cette vérité, et nous aidera dans nos appréciations. Sa marche à travers les siècles peut se diviser comme en deux parties : il y a une première période où cette démocratie est peu développée et comme à l'état d'incubation; elle dure 1 Règlement du roi Louis XVI, du 24 janvier 1789.

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