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moins directes portées à l'ordre social, leur irruption entraînerait sa ruine? Les magistrats, chargés d'appliquer les lois pénales, ne doivent donc jamais perdre de vue que l'intérêt de la société réclame impérieusement la punition du coupable; que leur excessive indulgence compromettrait la sûreté de ses membres, et ne servirait, selon les expressions du vénérable Tronchet, « qu'à sacri>> fier la propriété et la vie des citoyens à la scélé>> ratesse des coupables, en les invitant, par l'im» punité, à de nouveaux forfaits ».

Mais la raison, la justice et l'humanité veulent aussi que les peines soient proportionnées aux délits, en telle sorte que ceux qui sont moins graves, en raison des caractères qui les constituent, du préjudice qui en est résulté, et des circonstances qui les ont accompagnés, soient punis de peines plus légères. Elles commandent sur-tout le triomphe de l'innocence, lorsqu'elle se trouve accidentellement compromise: et leurs voix, sur ces deux points, se concilient et se confondent encore avec l'intérêt social. Qu'arriverait-il s'il en était autrement? C'est que, dans le premier cas, c'est-à-dire, si l'intensité des peines n'était pas proportionnée à la gravité des délits, les crimes les plus préjudiciables à la société deviendraient les plus fréquens, puisqu'en offrant un plus grand appât au malfaiteur, ils ne l'exposeraient pas à un châtiment, plus rigoureux. Dans le second, si l'innocence n'était pas suffisamment garantie, les gens de bien courraient le double danger de périr, ou par les artifices des méchans, ou par le vice de nos institutions criminelles. Il en résulterait une défiance, une inquiétude générale qui nuirait essentiellement aux divers rapports sociaux. Aussi est-il

bien avéré que le supplice d'un innocent cause dans la société un désordre beaucoup plus grand que l'absolution de plusieurs coupables (*); d'où l'on doit conclure que l'excessive rigueur n'est pas moins nuisible à l'ordre public que l'extrême indulgence.

III. A ces maximes générales, il convient d'ajouter quelques observations importantes sur les règles qui doivent être observées dans l'application des lois pénales.

Et d'abord, ces règles diffèrent de celles relatives à l'application des lois civiles, principalement en ce que celles-ci peuvent être interprétées et même suppléées par le magistrat, lorsqu'elles sont obscures ou insuffisantes, tandis que les lois criminelles ne sont jamais susceptibles d'extension, et qu'elles ne peuvent être interprétées que pour adoucir le sort de l'accusé. Ainsi M. Portalis n'entendait parler que des lois civiles, quand, présentant au Corps législatif le titre préliminaire du Code Napoléon, il disait : « L'office des lois est de statuer sur les >> cas qui arrivent le plus fréquemment. Les acci» dens, les cas fortuits, les cas extraordinaires ne >> sauraient être la matière d'une loi. Dans les choses » même qui méritent de fixer la sollicitude du légis>>lateur, il est impossible de tout fixer par des rè»gles précises. C'est une sage prévoyance de pen» ser qu'on ne peut tout prévoir..... Il est donc » nécessairement une foule de circonstances dans » lesquelles un juge se trouve sans loi. Il faut donc >> laisser alors au juge la faculté de suppléer à la loi par les lumières naturelles de la droiture et

(*) Cette vérité se trouve développée dans mon troisième Mémoire sur le Juri, pag. 99 et suiv.

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» du bon sens. Rien ne serait plus puéril que de >> vouloir prendre des précautions suffisantes pour » qu'un juge n'eût jamais qu'un texte précis à ap>>pliquer pour prévenir les jugemens arbitraires, >> on exposerait la société à mille jugemens iniques, » et, ce qui est pis, on l'exposerait à ne pouvoir >> plus se faire rendre justice; et, avec la folle idée » de décider tous les cas, on ferait de la légis»lation un dédale immense dans lequel la mémoire >> et la raison se perdraient également. Quand la loi » se tait, la raison naturelle parle encore. Si la pré>> voyance des législateurs est limitée, la nature est >> infinie; elle s'applique à tout ce qui peut intéresser >> les hommes; pourquoi voudrait-on méconnaître » les ressources qu'elle nous offre? Nous raisonnons » comme si les législateurs étaient des dieux, et » comme si les juges n'étaient pas des hommes.... II >> est rare qu'il naisse des contestations sur l'applica>>tion d'un texte précis; c'est toujours parce que la >> loi est obscure ou insuffisante, ou même parce » qu'elle se tait, qu'il y a matière à litige. Il faut » donc que le juge ne s'arrête jamais. Une ques>>tion de propriété ne peut demeurer indécise. Le » pouvoir de juger n'est pas toujours dirigé, dans >son exercice, par des préceptes formels; il l'est » par des maximes, par des usages, par des exem>>ples, par la doctrine. Aussi le vertueux chancelier » d'Aguesseau disait très-bien que le temple de la » justice n'était pas moins consacré à la science qu'aux >> lois, et que la véritable doctrine, qui consiste » dans la connaissance de l'esprit des lois, est supé>> rieure à la connaissance des lois mêmes. Pour >> que les affaires de la société puissent marcher, il >> faut donc que le juge ait le droit d'interpréter les

lois et d'y suppléer. Il ne peut y avoir d'excep» tion à ces règles que pour les matières crimi»nelles, et encore, dans ces matières, le juge » choisit le parti le plus doux, si la loi est obse » cure ou insuffisante; et il absout l'accusé, si » la loi se tait sur le crime ».

Cette exception, reconnue par l'orateur du Gouvernement, tirée du droit romain (1), confirmée par les articles 2 et 3 du Code du 3 brumaire an 4 (2), est encore aujourd'hui la conséquence de l'article 4 du nouveau Code pénal (5). Ainsi, retenons pour maxime: 1. que l'application des lois pénales ne doit point être faite d'après les principes du droit civil; 2.o que lorsque la loi pénale est insuffisante pour condamner, le juge n'a pas le droit d'y suppléer; 3. que lorsque la loi pénale est obscure, le juge ne peut se permettre de l'interpréter qu'en faveur de l'accusé (4). Du reste, l'insuffisance et l'obs

(1) Pœna non irrogatur nisi quæ, quâque lege vel quo alio jure specialiter, huic delicto imposita est. L. 131, ff.de verb. sig.-Interpretatione legum pœnæ mollienda sunt. L. 42, ff. de pænis. -In pœnalibus causis benigniùs interpretandum est. L. 155, ff. de divers. reg. jur.

(2) Loi du 3 brumaire an 4, art. 2. « Aucun acte, aucune omission, ne peut être réputé délit, s'il n'y a contravention à une loi promulguée antérieurement ». - Article 4. « Nul delit ne peut être puni de peines qui n'étaient pas prononcées par la loi, avant qu'il fût commis ».

(3) Cod. pen., art. 4. « Nulle contravention, nul délit, nul crime, ne peuvent être punis de peines qui n'étaient pas prononcées par la loi, avant qu'ils fussent commis ».

(4) Ces maximes sont observées avec une telle rigueur en Angleterre, qu'un statut d'Edouard VI ayant déclaré les voleurs de chevaux inadmissibles à réclamer le bénéfice du clergé, on jugea que cette rigueur ne pouvait

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curité de la loi ne sont pas des motifs pour que le juge s'arrête en matière criminelle, non plus qu'en matière civile; il doit juger aussitôt que l'instruction est complette; acquitter l'accusé, si la loi est insuffisante; ou l'appliquer favorablement, si elle est obscure.

IV. Il est une autre maxime non moins importante, qui mérite la plus grande attention, quoiqu'elle ne soit pas exprimée en termes formels dans le nouveau Code pénal, c'est qu'il ne peut exister de crime, là où il n'y a pas eu intention de le commettre.

D'où il suit que nul ne peut être déclaré coupable d'un crime, s'il n'est convaincu de l'avoir commis volontairement, et avec l'intention de le commettre. Ces propositions exigent quelques développemens.

C'est avec raison que l'on a critiqué l'auteur de l'excellent traité des Délits et des Peines, pour avoir soutenu que toutes les actions opposées au bien public sont des crimes. Si cette définition était admise, il faudrait comprendre dans la classe des crimes les purs accidens, et tous les actes de fureur,

s'étendre à celui qui n'avait volé qu'un seul cheval; et l'année suivante, il fut passé un nouvel acte pour éclaircir le premier. Un autre statut de Georges II, portant que le vol de brebis, ou d'autre bétail, était un crime capital punissable, sans privilége du clergé, on pensa que cette disposition ne devait s'appliquer qu'au vol de brebis seulement, ce genre de vol y étant clairement exprimé, et non au vol de tout autre bétail : ces expressions et autre bétail, étant trop vagues. - Dans les sessions suivantes, ik fut fait un autre acte, qui étendit cette disposition spéciatement aux boeufs,aux vaches et aux taureaux.

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