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de démence et de folie qui causent des dommages à la société. L'auteur, à-la-vérité, n'avait pas poussé le paradoxe jusque-là; mais, de cette mauvaise définition, il avait tiré la fausse conséquence, que la vraie mesure des crimes est le tort qu'ils font à la Nation, et non l'intention du coupable; et il en donnait pour motif que quelquefois le citoyen animé du plus mauvais esprit procure de grands avantages à la société, tandis qu'elle reçoit les coups les plus funestes de la main la mieux intentionnée. Faudrait-il donc donner la couronne civique au scélérat qui, trompé dans l'exécution de ses sinistres projets, aurait procuré quelqu'avantage à la société dont il méditait la ruine; et punir le citoyen vertueux qui, désirant la sauver, lui aurait involontairement causé quelque préjudice? Faudrait-il traiter en criminel celui qui aurait donné la mort en défendant sa vie, l'impubère, l'insensé, le furieux, et généralement tous ceux qui, étant privés de la raison, auraient causé un désordre quelconque dans la société? Voilà pourtant où nous conduiraient les conséquences de l'erreur échappée à l'auteur de ce traité, qui est, d'ailleurs, rempli d'idées libérales.

Lorsqu'il s'agit de graduer abstractivement les actions réputées criminelles, et de composer l'échelle des peines, il n'est pas douteux qu'on doit principalement prendre, pour mesure de la gravité des unes et de l'intensité des autres, le tort que chacune de ces actions peut causer à la société; mais lorsqu'il s'agit d'appliquer la loi à une action placée, par le législateur, dans la classe des crimes, il faut s'attacher à connaître quel a été le motif de celui qui l'a commise, parce qu'il ne peut être dé

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claré coupable, s'il n'est établi qu'il a agi en connaissance de cause, et qu'il a eu la volonté de la

commettre.

Pour bien déterminer ce qu'il faut entendre par le mot volonté, nous dirons, avec Filangieri, qu'elle est «< cette faculté de l'ame qui nous détermine à agir d'après les mouvemens du cœur et les calculs de la raison. Le désir excite, la raison compare, la volonté détermine: pour vouloir, il faut donc désirer et connaître. Connaître une action c'est en apercevoir le but et les circonstances qui l'accompagnent. Nous appelons donc action volontaire, celle qui naît de la détermination de la volonté, précédée du désir et de la connaissance du but, ainsi que des circonstances de l'action; et action involontaire, celle qui naît ou de la violence ou de l'ignorance. La violence est l'impression d'une force étrangère qui nous entraîne malgré notre volonté ; l'ignorance est cet état de l'esprit qui ne permet d'apercevoir ni le but, ni les circonstances d'une action. Dans ces deux cas, l'homme qui a violé la loi ne peut être regardé comme coupable. Faisons l'application de ces principes, et voyons quelles lois doivent en découler.

>> Le délit consiste dans la violation de la loi

jointe à la volonté de la violer. Les personnes que la loi doit supposer incapables de volonté, peuvent donc être regardées comme incapables de commettre un délit.

» La volonté, ai-je dit, est cette faculté de l'ame qui nous détermine à agir d'après les mouvemens. du cœur et les calculs de la raison. Il suit de là, que les personnes qui, par la faiblesse de l'âge ou un vice d'organisation, n'ont pu acquérir ou conser

ver l'usage de la raison, doivent être regardées par la loi comme incapables de volonté, et par conséquent de crime. Tels sont les enfans, les imbecilles, les visionnaires, les frénétiques.....

» J'ai dit ensuite que, pour vouloir, il faut désirer et connaître ; que connaître une action, c'est en apercevoir le but et les circonstances qui l'accompagnent; et qu'une action ne doit être appeléc volontaire que lorsqu'il est possible de trouver cette connaissance dans celui qui agit. De ce principe naît la distinction entre l'accident et la faute.

» L'accident suppose dans celui qui agit l'ignorance absolue de la possibilité de l'effet qui résulte de son action; la faute suppose un effet différent de celui qu'on s'était proposé d'obtenir, mais qu'on savait pouvoir arriver, parce que l'on connaissait toutes les circonstances de l'action. Dans l'un, il n'y a point de volonté, puisqu'il y a ignorance; dans l'autre, il n'y a point absolument défaut de volonté, puisqu'il n'y a pas défaut absolu de connaissance...>>

De là il tire la conséquence que l'accident ne rend pas coupable, et que les lois ne doivent pas le punir; que la faute rend coupable, mais que la peine doit être moindre que celle de la mauvaise foi, etc.

Cette doctrine était familière aux anciens ; les lois d'Athènes ne prononçaient aucune peine contre celui qui, sans intention, avait tué quelqu'un dans les jeux ou dans un chemin en le renversant, ou par ignorance à la guerre, ou parce qu'il l'avait surpris auprès de sa femme, de sa mère, de sa sœur, de sa fille, de celle à laquelle il avait confié l'éducation de ses enfans, ou pour défendre son bien contre celui qui voulait le lui ravir par violence. Une jeune fille fit prendre à un homme

qu'elle aimait éperduement, et qu'elle voulait s'attacher, un philtre dont il mourut. Accusée de poison devant l'Areopage, elle fut renvoyée par ce tribunal, non moins célèbre par sa justice que par son humanité; il fut reconnu qu'elle avait eu l'intention de rendre son amant fidèle, et non de lui donner la mort.

Les lois romaines admettaient les mêmes tempéramens. Le crime, suivant ces lois, ne pouvait exister sans la volonté de nuire : crimen contrahitur, si et voluntas nocendi intercedat. L. 1, Cod. ad leg. cor. de sic.

Et c'est pour cela que la loi recommandait de s'attacher bien plus à connaître la volonté que le résultat in maleficiis, voluntas spectatur, non exitus. L. 14, ff. ad leg. corn. de sicar. L'intention criminelle était exprimée dans un grand nombre de lois, par dolo malo, ou par d'autres mots équivalens. Ce dol n'était point suppléé par la faute grossière qui était réputée moins grave: in lege corneliá dolus pro facto accipitur, nec in hac lege culpa lata pro dolo accipitur. L. 7, ff. ad leg. corn. de sicar. On voit, par un grand nombre de lois, que le dol, dolus malus, était nécessaire pour caractériser la plupart des crimes, notamment ceux d'incendie, de meurtre, de faux en écriture, de faux témoignage, d'exposition de fausse monnaie, d'empoisonnement, et même de vol et de parricide (*); en sorte que les événemens qui survenaient

(*) L. 1, § 3, 1.3, 16, ff. ad leg. cor. de sicar. L. 1, 2, 9, § 2, 3, 1. 22, ff. de l. cor. de fals. institut. de obl.quæ ex dol. 7, placuit. L. 1, ff. de 1. pomp. de parri. L. 1, f. ad leg. jul. majest., etc., etc.

plutôt par accident que par esprit de fraude, l'homicide commis sans intention de donner lá mort, n'étaient pas réputés crimes: cæterùm ea quæ ex improviso casu potiùs quàm fraude accidunt, fato plerumque non noxio imputantur. Divus Adrianus rescripsit eam qui hominem occidit, si non occidendi animo hoc admisit, absolvi posse. L. 1, Cod. ad l. cor. de sicar. L. 1, ff. eodem.

Par suite de ces principes, les impubères, les insensés, les furieux, les somnambules, ne pouvaient être condamnés comme criminels, parce qu'ils n'étaient pas censés agir sciemment et dans l'intention de nuire: sanè sunt quidam qui facere non possunt injuriam, ut putà furiosus, et impubes qui doli capax non est, namque hi pati injuriam solent non facere, cùm injuria ex affectu facientis consistat. Furiosus in omnibus quiescentis et dormientis loco habetur. L. 3, § 1, ff. de injur. L. 5, 24, ff. de reg. jur. L. 2, § 5, ff. de jur. codic. De même les crimes causés par un cas fortuit ou imprévu, par force majeure, par nécessité d'une légitime défense, n'étaient pas punissables, non plus que ceux commis dans un premier mouvement par l'effet d'une forte passion ou d'une extrême douleur (1). C'est pourquoi celui qui, surprenant sa femme ou sa fille en adultère, leur donnait la mort, ainsi qu'à leur complice, était exempt de peines (2). Les lois romaines ayant été remplacées par celles

(1) L. 23, ff. de reg. jur. L. 11, § 2, ff. de pænis. L.5, Cod. ad l. c. de sicar. L. 4, § 1; 1. 7, § 4;. 1. 45, § 4. L. 52, § 4, ff. ad leg. acquil. L. 23, ff. de reg. jur. L. 4, ff. de vi et vi armatâ. L. 6, § 7, ff. de re milit., elc.

(2) L. 20, ff. ad leg. jul. de adult.

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