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dente, ou par suite d'une violence qui mettait sa danger, etc.; et dans ces divers cas, on ne peut pas dire que l'auteur de l'action ait agi librement, volontairement, ni avec l'intention de nuire. Cette seule réflexion doit suffire pour établir qu'après avoir constaté l'existence d'une action quelconque, il faut encore en examiner les circonstances, et dans quelle intention elle a été commise. Cette règle est générale, et s'applique à tous les genres de crime.

Et qu'il me soit permis de faire remarquer ici, que le faux, désigné dans la loi ci-devant transcrite, comme peu susceptible de changer de caractère, suivant les intentions différentes qui l'ont produit, présente néanmoins des variétés prodigieuses. Par exemple, s'agit-il du faux commis par paroles, comparez les mensonges officieux, les complimens, les plaisanteries et les différentes dissimulations dont on fait un usage si fréquent dans la société, avec un parjure et un faux témoignage donné dans l'intention de faire condamner un innocent à la peine de mort; les premiers vous paraîtront absolument innocens, tandis que les autres constituent un crime capital; et, avec un peu de réflexion, vous apercevrez facilement entre ces deux extrêmes, une mulútude presque infinie de nuances de faux qui ne different que par l'intention de celui qui les commet. S'agit-il de faux intellectuel en écriture, peut ranger dans cette classe, et en suivant une espèce de progression ascendante, les fictions ingénieuses des romanciers et des poètes, les fables, les apologues, les flatteries, les satyres, les calomnies, les suppositions de faits ou de circonstances utiles, indifférentes ou nuisibles, et successivement toutes

on

les dissimulations, toutes les fourberies pratiquées pour nuire et pour envahir la fortune publique ou particulière.

C'est à l'occasion de ce faux intellectuel que l'orateur du Gouvernement disait, en présentant le troisième livre du Code pénal, au Corps législatif: «Toutefois il faut prendre garde de réputer crime, >> ce qui ne serait qu'un mal-entendu ou une mé>>prise. Le rédacteur d'un acte peut mal saisir la >> volonté des parties, et pourtant n'être pas cri>> minel; il ne le sera, aux termes du projet, que >> quand il aura frauduleusement dénaturé la >> substance ou les circonstances de l'acte. D'après >> ce caractère, il ne reste rien qui puisse alarmer >> l'innocence >>.

S'agit-il du faux matériel en écriture, les espèces n'en sont pas moins variées. Celui qui, après la rédaction d'un acte ou d'un écrit quelconque corrige les fautes d'orthographe ou de ponctuation, qui raye une lettre, un ou plusieurs mots inutiles ou répétés, qui en ajoute parintercalation ou autrement, commet des faux matériels; il peut arriver que ces altérations ne changent pas du tout le sens de l'acte, qu'elles aient pour objet d'expliquer une phrase, une disposition obscure, de réparer une erreur une omission qui porte sur la forme ou sur la substance de l'acte, qu'elles soient on conformes à ce qui a été réellement convenu et arrêté entre les parties, ou confirmées par les faits et les actes antérieurs ou subséquens, ou approuvées directement ou indirectement par les intéressés; ou qu'elles soient, au contraire, en opposition avec la vérité, dans l'objet de nuire à l'un des contractans, de diminuer son bénéfice ou d'augmenter sa perte; l'al

tération peut avoir été commise dans un écrit frivole, dans une convention sous seing-privé, dans un acte authentique, dans un arrêt, dans un décret impérial, dans une loi, etc. On conçoit que ces diverses circonstances, et l'intention qui a dirigé l'auteur du faux matériel, doivent avoir une grande influence sur le degré de faute qui peut être attaché à ce genre de faux.

Une fausse signature, est-il ajouté dans la loi d'instruction, n'admet pas des circonstances atténuantes, et ne peut pas trouver son excuse dans ses motifs. Eh bien, cette proposition, qui paraît incontestable au premier aperçu, est encore susceptible de quelques exceptions. J'en puis citer plusieurs qui ont été admises par les tribunaux, et il est facile d'en imaginer un plus grand nombre. Premièrement, Jacques - Joseph йuet ayant été traduit devant la cour de justice criminelle et spéciale du département de Sambre et Meuse, pour avoir signé le nom de plusieurs personnes au bas d'une pétition présentée au sous-préfet de l'arrondissement de Mareles, cette cour jugea qu'il n'y avait lieu à suivre, et se déclara incompétente par la raison que les pétitionnaires pour lesquels Huet avait signé, avaient donné leur consentement à ce qu'il signât, à l'exception de deux ; et qu'à l'égard de ces deux qui n'avaient pas consenti, il ne paraissait pas que Huet eût signé pour eux méchamment et à dessein de nuire, etc. Cet arrêt fut confirmé, le 18 mars 1806, par la cour de cassation, qui donna pour motifs «< que le crime de faux ne peut » exister là où il ne se rencontre aucune idée, ni » aucune intention de porter le moindre dommage » à autrui, et que le fait qui avait donné lieu à la

» poursuite ne présentait aucune intention crimi>> nelle (*)». Secondement, souvent des particuliers et même des marchands ne sachant ou ne pouvant signer, ont imaginé de faire souscrire de leur propre nom les billets, conventions et quittances qu'ils avaient à passer, et d'employer, pour faire leur signature, la main de leur femme, de leurs enfans ou de toute autre personne de confiance. Cet usage. est sujet à plusieurs abus, qui ont donné lieu à des contestations judiciaires, et même à des inscriptions de faux; mais les auteurs de ces fausses signatures et ceux qui en ont fait usage, n'ont jamais été punis comme faussaires, quand il a été constaté que ces signatures avaient été faites à l'invitation ou d'après, le consentement des intéressés.

Jamais on n'a criminalisé non plus, ni les fausses signatures fabriquées par des individus en démence, ni celles apposées pour des employés momentanément absens, à la marge des états d'appointemens qui sont en usage dans les bureaux des administrations publiques, lorsqu'elles ont été faites sans fraude; ni les écrits, ni les facéties pseudonymes que le premier avril, et les derniers jours de carnaval font éclore et circuler tous les ans, lorsqu'il n'en est résulté, ni pu résulter aucun préjudice pour personne; parce qu'il n'existe réellement aucun rapport entre les auteurs de ces écrits et ceux qui contrefont les signatures des parties intéressées, des fonctionnaires publics ou des magistrats, au bas des. actes, des jugemens, des diplômes et des décrets, dans l'intention d'assouvir leur cupidité ou leur

(*) Voyez le Répertoire de M. Merlin, au mot Faux, sect. 15, n.o 2.

ambition, en se procurant beaucoup d'or ou en troublant l'état par des désordres civils ou politiques (*).

La conséquence naturelle des détails dans lesquels on vient d'entrer, sont que si le faux, désigné par la loi comme moins susceptible que les autres faits de changer de caractère, par rapport à l'intention, n'est cependant rien, lorsqu'il a été com→ mis sans intention de nuire ; il en est de même, et à bien plus forte raison, des autres actions réputées eriminelles : l'intention de celui qui les a commises, et les circonstances qui les ont accompagnées, les

(*) Il me serait sans doute bien facile de multiplier les hypothèses et les exemples, pour établir que les fausses signatures ne sont pas toujours criminelles; mais je me bornerai à rappeler deux anecdotes : la première est celle de ce mari inquiet et jaloux, qui fit parvenir à son epouse un billet de rendez-vous, dans lequel l'écriture et la signature de celui avec qui il la soupçonnait d'intelligence furent habilement imitées. Ce dangereux stratagême réussit audelà de ses espérances, et lui donna la certitude du malheur qu'il redoutait. Pense-t-on que si la femme coupable et son séducteur eussent denoncé l'infortuné marí, ils fussent parvenus à le faire punir comme un vil faussaire? - La deuxième est relative à une dame dont le mari captait la succession: après avoir long-temps résisté à ses fatigantes suggestions, elle feignit de consentir à disposer de ses biens en faveur de son avide époux, pourvu que ce fat par un testament secret; elle le chargea même de le faire rédiger à sa fantaisie: ce qu'il accepta. Lorsqu'il le lui présenta rédigé, elle le prit, le signa, et après l'avoir elle-même clos et cacheté, elle le remit au notaire pour remplir les formalités de la suscription. Incessamment après la mort de la testatrice, le mari s'einpressa de faire ouvrir le testament. Quelle fut sa surprise et sa confusion! la testatrice, au-lieu d'y apposer sa sígnature ordinaire, avait signé Nabuchodonosor.

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