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abus, il ne nous restera que les avantages bien sensibles de l'institution. On sait, par exemple, que la loi prononce la peine capitale contre les auteurs des révoltes et des séditions; mais lorsque la révolte s'est étendue dans plusieurs provinces, et qu'elle a gagné une partie de l'armée, l'intérêt de la société veut que la punition n'atteigne que les provocateurs et les chefs, et que la multitude trouve son salut dans la clémence du souverain: ut poena ad paucos, репа metus ad omnes perveniat. Des exemples récens prouvent que l'intérêt public exige même quelquefois l'absolution des chefs (*). L'espérance de l'impunité est, dit-on, un des plus forts aiguillons du crime. Rien n'est plus certain. Mais la grâce, dispensée avec sagacité, ne saurait produire un pareil résultat. Celle qui fut accordée au vainqueur des Curiaces ne fit jamais naître l'espoir de l'impunité dans l'ame d'aucun malfaiteur; celle qui fut pro: noncée en faveur de Fabius Quintus, vainqueur des Samnites, sur l'intercession du sénat, de l'armée et du peuple romain tout entier, bien loin de détruire la discipline militaire, servit à la raffermir; aussi le Dictateur ne se laissa-t-il fléchir que lorsqu'il en eut la certitude, et qu'il put dire avec sécurité : Benè habet quirites! Vicit disciplina militaris, vicit imperii majestas..... Non noxa eximitur Q. Fabius..... Sed NOXE DAMNATUS donatus populo romano, donatur tribunitia potestati, precarium non justum auxilium ferenti. Fut-il jamais un individu assez présomptueux pour se flatter d'ex

(*) La pacification des rebelles de la Vendée et des départemens de l'Ouest.

citer en sa faveur un intérêt aussi vif dans tous les ordres de l'état?

Ainsi, le droit de faire grâce est, comme le dit Montesquieu, un grand ressort des gouvernemens modérés, qui peut avoir d'admirables effets quand il est exercé avec sagesse. Dans un état bien constitué, le souverain doit avoir la faculté de tempérer la rigueur des lois, sur-tout dans les cas où leur exécution littérale entraînerait un désastre; et il suffit d'avoir les premiers élémens du droit public, pour sentir que l'éclat du diadême se flétrirait sur la tête du monarque, à l'instant où on lui interdirait la clémence. Je ne prétends pas approfondir davantage cette matière, dont je n'ai même fait mention que pour avoir occasion de rappeler aux ma¬ gistrats chargés d'appliquer les lois criminelles qu'ils ne peuvent absoudre ceux que les lois décla rent coupables, sans attenter aux droits du souve

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On voit, en effet, que le droit de faire grâce n'est circonscrit par aucune loi, et n'a, par conséquent, d'autres limites que celles qui lui sont tracées par la sagesse du monarque; mais il n'en est pas ainsi du pouvoir judiciaire; ses attributions sont clairement déterminées par les lois dont on vient de faire l'analyse. Il résulte de ces lois, que tout ce qui est relatif au fait en lui-même, aux circonstances qui l'ont précédé et suivi, soit que, d'après la loi, elles atténuent ou qu'elles aggravent, toutes les questions relatives à la moralité du fait, à la volonté, à l'intention, à la situation d'esprit et à l'âge du prévenu, aux excuses, à la nature et à la force des preuves, à la peine qui doit être prononcée ; en un mot, tout ce qui peut, selon la loi, concourir à

faire absoudre, condamner ou à modifier la peine, est de la compétence des jurés ou des magistrats, selon leurs attributions respectives; mais ils ne peuvent, sans attentat, franchir la barrière salutaire des lois, ni prendre pour base de leurs jugemens des circonstances étrangères à leurs attributions, ui des considérations politiques, dont l'appréciation ne peut avoir lieu qu'après que la justice a été apaisée par la condamnation du coupable (*).

Ainsi, par exemple, sous l'empire du Code du 3 brumaire an 4, des juges pusillanimes qui, craignant d'excéder leurs pouvoirs, auraient négligé d'approfondir la question intentionnelle, ou refusé d'avoir égard à une circonstance atténuante, ou à une excuse par eux reconnue suffisante, auraient commis une erreur très-grave, et, par suite, une grande injustice, puisque l'article 646 de ce Code leur ayant formellement attribué la connaissance de ces sortes d'exceptions, et aucune loi n'ayant alors précisé ce qu'il fallait entendre par excuses, c'était à eux qu'il appartenait d'en apprécier le mérite se lon leur conscience. Tandis qu'aujourd'hui ils commettraient une erreur non moins considérable, et un véritable excès de pouvoir, s'ils admettaient pour excuses un fait ou une circonstance que la loi

(*) La cour de cassation a reconnu comme une vérité constante, dans l'arrêt qu'elle a rendu, le 30 novembre 1810, sur le pourvoi du duc Pie Bonnelli, qu'en cas d'absolution, toute idée de délit, et par conséquent de culpabilité, disparait, tandis que la grâce présuppose, au contraire, le délit existant et la culpabilité reconnue. C'est l'un des motifs sur lesquels cette cour s'est fondée pour casser l'arrêt de la cour de justice criminelle de Rome, qui avait refusé d'admettre la demande en revision formée par le duc Pie.

ne déclare pas excusable, puisqu'en contrevenant à l'article 65 du nouveau Code pénal, ils empiéteraient évidemment sur le droit de faire grâce.

En un mot, les accusés dont l'innocence est reconnue, ou qui peuvent trouver des moyens d'absolution dans la loi, doivent être acquittés par les juges, sans être obligés de se pourvoir en grâce; ceux, au contraire, qui sont reconnus coupables, doivent être condamnés, quels que soient les services qu'ils ont rendus, la profession qu'ils exercent, la fortune et la considération dont ils jouissent, et la faveur qui les environne; sauf, après leur condamnation, leur recours à la miséricorde de l'Empereur, s'ils ont quelques titres pour l'obtenir. Cette distinction m'a paru exprimée avec beaucoup de précision et de noblesse, dans la belle réponse que la veuve du grand pensionnaire Barnevelt fit au gouverneur-général des Pays-Bas. Cette veuve infortunée étant accourue solliciter, aux pieds de Maurice, la grâce de l'un de ses fils, condamné à mort pour être entré dans une conspiration, ce prince lui témoigna sa surprise de ce qu'elle faisait plus pour son fils qu'elle n'avait fait pour son mari. « Je » n'ai point demandé grâce pour mon époux, ré>>pondit-elle, parce qu'il était innocent; je la de>> mande pour mon fils, parce qu'il est coupable ».

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