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Sur les matières colorantes, à base de fer, des terrains de sédiment et sur l'origine probable des roches rouges; par W. Spring, membre de l'Académie.

Nous avons fait, M. M. Lucion et moi, il y a déjà quelques années, des recherches sur la cause probable de la déshydratation, au sein de l'eau, de certaines espèces minérales répandues dans les terrains de sédiment (*). Nous nous sommes demandé si la pression osmotique qui peut atteindre, comme on sait, une valeur considérable dans des solutions concentrées de sels, n'aurait pas facilité le départ de l'eau. Les travaux de Pfeffer, de van 't Hoff et d'autres savants avaient fait regarder une dissolution comme tendant à augmenter l'espace qu'elle trouve dans le dissolvant; il devenait donc possible qu'une substance renfermant de l'eau d'hydratation à l'état stationnaire tant que la tension de dissociation se trouvait équilibrée, perdit cette eau lorsque la contre-tension aurait baissé dans une mesure suffisante.

Pour vérifier le fait en principe, nous avons opéré sur l'hydrate de cuivre et sur quelques sels basiques de ce métal, parce que ces composés sont peu stables et, en outre, qu'ils manifestent des changements de couleur très faciles à constater lorsqu'ils perdent de l'eau.

(*) Sur la déshydratation, au sein de l'eau, de l'hydrate de cuivre et de quelques-uns de ses composés basiques. (BULL. DE L'ACAD. ROY. De BELGIQUE, 3e série, t. XXIV, pp. 21-56; 1892.)

Le résultat de ces recherches nous a conduits à formuler cette proposition, que la présence d'un sel dans l'eau produit, sur un corps hydraté, un effet comparable à celui d'une élévation de température. Nous avons dit alors qu'il pouvait être regardé comme possible que les sédiments colorés en rouge-violet par l'oxyde ferrique, si répandu dans nos terrains primaires et même secondaires, se fussent déposés dans des estuaires ou dans des lacs salés, tandis que les terrains de couleur d'ocre fussent plutôt de formation d'eau douce. Cette conclusion soulevait des questions subsidiaires auxquelles il devait encore être répondu. L'objet de ce travail est de fournir le complément d'études annoncé depuis 1892.

POSITION DU PROBLÈME.

On peut ramener les couleurs des terrains colorés par des composés du fer aux quatre types suivants : le bleu verdâtre, le jaune d'ocre, le rouge vineux et le noir. On a attribué, tacitement, le bleu-vert à la présence de silicates ferreux (chlorite ou glauconie), le jaune d'ocre à des composés ferriques hydratés (limonites), le rouge vineux à des composés ferriques anhydres (oligiste, hématite) et le noir à des composés ferroso-ferriques (aimant ou silicates). Entre ces couleurs typiques, on reconnaît toutes les nuances possibles provenant d'un mélange, en proportions diverses, des composés mentionnés. Il suffira donc de poursuivre l'origine des couleurs typiques pour comprendre les cas particuliers.

La question que l'on peut se poser est celle de savoir si ces quatre composés du fer peuvent avoir eu un même

point de départ, et, dans l'affirmative, à quelles circonstances on doit attribuer les changements de direction dans la composition chimique.

La principale difficulté que présente la solution de cette question réside dans le fait que, très souvent, sinon toujours, trois couleurs se trouvent associées dans un même sédiment. Par exemple, on rencontre dans notre terrain dévonien, et dans d'autres terrains encore, des bancs entiers colorés en vert, suivis de bancs rouges alternant parfois avec des bancs jaune d'ocre. Nos psammites nous offrent de nombreux exemples de ces alternatives. Bien mieux, dans l'étage de Gedinne et dans l'étage de Burnot, il n'est pas rare de voir cette association dans un même banc on a alors les roches dites bigarrées; le plus souvent, c'est le vert et le rouge qui se trouvent juxtaposés.

On reconnaît immédiatement la difficulté que présente ce mélange de roches de couleurs variées à l'explication proposée si la roche rouge doit véritablement sa couleur à une déshydratation du composé ferrique sous l'influence d'une eau salée, pourquoi alterne-t-elle, dans une même formation géologique, avec des parties qui ont résisté à la déshydratation? On n'admettra certes pas qu'il y a eu des successions d'eaux douces et d'eaux salées à une même époque.

C'est pour répondre à la question ainsi posée que je me permets de faire connaître le résultat de mes recherches actuelles. On le verra, elles montrent, en substance, que l'hydrate ferrique perd son eau spontanément quand il n'est pas uni chimiquement à d'autres corps. Tout sédiment ayant contenu de l'hydrate ferrique à l'époque de son dépôt, doit nécessairement être, aujourd'hui, de

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couleur rouge-violet, si le composé ferrique est resté isolé au point de vue chimique, dans la suite des temps. D'autre part, elles nous disent que la couleur jaune brunåtre n'est pas exclusivement due, comme on l'a cru, à de l'hydrate ferrique, mais plutôt à un composé mixte d'oxyde ferrique et d'un oxyde non chromogène : SiO2, Al2O5, CaO, MgO. Ce composé, quand il est du type de l'oxyde magnétique, devient attirable à l'aimant seulement quand il a été chauffé, mais il partage avec celui-ci la propriété d'être plus stable que l'hydrate ferrique. En outre, il conserve sa couleur quand il est déshydraté et ne passe au rouge brique que par la calcination. Il résiste donc mieux à l'action de l'eau salée. Enfin, les roches vertes doivent leur couleur, non pas à un silicate ferreux, mais à un silicate ferroso-ferrique: elles sont donc un cas particulier des roches noires colorées par l'aimant.

RECHERCHES ANTÉRIEURES.

La question de la coloration des roches par les composés du fer ne semble pas avoir beaucoup occupé les chercheurs jusqu'à présent. On ne rencontre des travaux que sur l'origine des roches rouges. Il paraît donc, comme je l'ai dit plus haut, que la couleur des autres roches ne soulevait aucun doute dans l'esprit des géologues et des chimistes.

Le travail le plus complet sur l'objet qui nous occupe est dû à Israël Cook Russel (*); il donne un aperçu des hypothèses qui ont été formulées au sujet de l'origine de

(*) Subaèrial Decay of Rocks and origin of the red color of certain Formations. (BULLETIN OF THE UNITED STATES GEOLOGICAL SURVEY, no 30; 1889.)

la couleur rouge. Il me sera permis de renvoyer à ce travail remarquable pour diminuer l'étendue de cette note, tout en mentionnant cependant les points suivants :

D'après Russel, A.-C. Ramsay attribuerait la couleur rouge des roches à l'oxyde de fer qui aurait probablement trouvé son chemin dans l'eau à l'état de carbonate ferreux. La cause de la déshydratation n'est pas donnée, d'autant qu'il est fait mention de dépôts jaunes dans les lacs salés de la région aride du Far West.

D'après Dawson, qui a étudié les conglomérats rouges de la Nouvelle-Écosse, l'oxyde ferrique proviendrait de l'oxydation, par la voie du feu, des pyrites de fer disséminées dans la roche à laquelle les grès rouges doivent leur origine. Cette hypothèse manque entièrement de base. Il en est de même de celle de Dana qui attribue la couleur rouge des grès du Newark à une influence ignée, car il y a des roches rouges qui certainement n'ont pas été calcinées.

Toutes les autres hypothèses font des roches rouges le résultat d'imprégnations ferriques par la voie de l'eau; mais elles ne touchent pas à la question de la déshydratation du composé ferrique. Elles serviraient donc plutôt, dans l'ordre des connaissances d'alors, à expliquer la formation des dépôts jaunes que celle des dépôts rouges.

Quant à Russel lui-même, il regarde l'oxyde ferrique des roches rouges comme provenant du délitement subaérien des roches cristallines primitives, et non comme provenant d'une solution de composés du fer.

En résumé, si l'on se tient au point de vue chimique, on reconnaîtra que la question de la déshydratation de l'hydrate ferrique par une voie autre que la calcination n'a guère été éclairée par les réflexions que l'étude des roches avait suggérées.

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