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De tels traités occupent une place à part dans les sources du droit des nations, car ils sont proprement et directement générateurs du droit international général. Ils peuvent souvent être considérés à juste titre « comme le résumé de l'expérience internationale d'une époque (1) ».

Ces actes sont fort rares encore dans le système actuel des rapports juridiques entre États. Le régime maritime des neutres en temps de guerre doit à l'un d'eux ses plus remarquables progrès. A ce titre, la déclaration du Congrès de Paris du 16 avril 1856 fait époque dans l'évolution de la neutralité elle marque une phase distincte de cette évolution, caractérisée par l'action des Puissances assemblées en Congrès et proclamant comme législation internationale générale les points fondamentaux du régime des neutres en une matière capitale : le droit maritime.

Voici le texte de la déclaration du Congrès de 1856 : « Les plénipotentiaires qui ont signé le traité de Paris du 30 mars 1856, réunis en Conférence;

>> Considérant que le droit maritime en temps de guerre a été pendant longtemps l'objet de contestations regrettables;

>> Que l'incertitude du droit et des devoirs en pareille matière donne lieu, entre les neutres et les belligérants, à des divergences d'opinion qui peuvent faire naître des difficultés sérieuses et même des conflits;

>> Qu'il y a avantage par conséquent à établir une doctrine uniforme sur un point aussi important;

>> Que les plénipotentiaires assemblés au Congrès de Paris ne sauraient mieux répondre aux intentions dont

(1) LORMER, Principes de droit international, trad. par Nys, 1885,

leurs Gouvernements sont animés qu'en cherchant à introduire dans les rapports internationaux des principes fixes à cet égard;

>> Dûment autorisés, les susdits plénipotentiaires sont convenus de se concerter sur les moyens d'atteindre ce but, et, étant tombés d'accord, ont arrêté la déclaration solennelle ci-après :

» 1° La course est et demeure abolie;

» 2o Le pavillon neutre couvre la marchandise ennemie, à l'exception de la contrebande de guerre;

» 3° La marchandise neutre, à l'exception de la contrebande de guerre, n'est pas saisissable sous pavillon ennemi;

>> 4° Les blocus, pour être obligatoires, doivent être effectifs, c'est-à-dire maintenus par une force suffisante pour interdire réellement l'accès du littoral de l'ennemi.

>> Les Gouvernements des plénipotentiaires soussignés s'engagent à porter cette déclaration à la connaissance des États qui n'ont pas été appelés à participer au Congrès de Paris et à les inviter à y accéder.

>> Convaincus que les maximes qu'ils viennent de proclamer ne sauraient être accueillies qu'avec gratitude par le monde entier, les plénipotentiaires soussignés ne doutent pas que les efforts de leurs Gouvernements pour en généraliser l'adoption ne soient couronnés d'un plein succès.

» La présente déclaration n'est et ne sera obligatoire qu'entre les Puissances qui y ont ou qui y auront accédé. » Fait à Paris, le seize avril mil huit cent cinquante

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«La déclaration du Congrès de Paris, a dit M. Arthur Desjardins, est non seulement le plus grand événement

qu'on ait signalé dans le droit international maritime, mais elle est en même temps la meilleure réponse qu'on ait faite à l'opinion sceptique de quelques hommes politiques et de quelques chefs militaires. Les publicistes avaient propagé dans le monde un certain nombre d'idées que beaucoup de cabinets regardaient encore comme de pures chimères. L'Europe s'assemble, s'approprie ces prétendues chimères, les condense dans un code de quatre lignes au bas duquel elle appose sa signature, et ce code, malgré certains tâtonnements et certaines velléités de résistance, est à peu près universellement appliqué (1). »

Trois États n'avaient pas adhéré jusqu'en ces derniers temps à la déclaration de 1856: l'Espagne, les ÉtatsUnis et le Mexique. Au début de la guerre hispanoaméricaine, les États-Unis ont officiellement déclaré que <«< la politique du Gouvernement américain sera de ne pas recourir à la course, mais d'adhérer aux règles de la déclaration de Paris ». L'Espagne a déclaré officiellement que, bien que le Gouvernement espagnol n'ait pas adhéré à la déclaration de Paris de 1856, il entend observer les règles admises par cette déclaration, sauf réserve de « son droit de concéder des patentes de course », réserve où vient expirer faiblement une institution surannée. Telle est done aujourd'hui la pénétration des principes du Congrès de Paris dans les mœurs et dans le droit des peuples civilisés, qu'un des premiers actes des gouvernements actuellement en guerre et non liés par la déclaration, a été un hommage rendu, en quelque sorte sur toute la ligne, à ces principes.

(1) ARTHUR DESJARDINS, Les derniers progrès du droit international. (Revue des DEUX MONDES, 15 janvier 1882.)

Certes, le Congrès de Paris, en abolissant quelques-uns des plus criants abus auxquels donne lieu la guerre maritime, n'a point résolu toutes les questions concernant la sécurité du commerce international. On peut signaler dans l'œuvre du Congrès des lacunes et des solutions tronquées. Les résultats obtenus n'en sont pas moins considérables; et pour qui sait de combien d'obstacles est semée la voie du progrès en droit international, ces résultats apparaissent comme honorant grandement notre siècle.

Le point de départ de cette mémorable réforme mérite d'être rappelé, parce qu'il montre comment une bonne volonté mutuelle peut souvent transformer un obstacle en appui pour la réalisation du progrès.

Lorsque la France et l'Angleterre entreprirent ensemble la guerre d'Orient et que se posa la question de la ligne de conduite à suivre pour les alliés à l'égard des neutres, la situation se présentait sous un aspect singulier.

L'Angleterre, conformément aux principes du Consulat de la mer traditionnellement appliqués par elle, était amenée à saisir la propriété ennemie sous pavillon neutre en respectant la propriété neutre sous pavillon ennemi. La France, en gardant fidélité au principe d'Utrecht, pouvait prétendre, au contraire, saisir la propriété neutre sous pavillon ennemi en respectant la propriété ennemie sous pavillon neutre. Adopter des systèmes de prises différents n'était guère possible entre alliés. Cumuler les rigueurs de l'un et de l'autre système aux dépens des neutres eût été aggraver leur situation d'une manière exorbitante et forger des armes à l'adversaire commun, ancien promoteur des ligues de neutralité armée.

3me SÉRIE, TOME XXXV.

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Le seul terrain d'entente véritable était le sacrifice réciproque, dans une transaction favorable aux neutres, de ce qu'il y avait d'inique et de suranné dans les prétentions isolées de chacun des alliés. Tel fut le point de vue libéral où se plaça la France et qu'elle eut l'heur de faire admettre par l'Angleterre, laquelle insista de son côté pour obtenir la suppression de la course maritime. Dès le 30 mars 1854, des déclarations concordantes furent faites sur ces points par les deux États, en ordre d'application au conflit existant.

La Russie adopta de son côté la même ligne de conduite.

La voie était ainsi ouverte à une réforme définitive. Cette réforme répondait au progrès des mœurs et aux besoins des peuples. Elle fut sanctionnée par le Congrès de Paris.

Les États-Unis, remarquons-le, en s'abstenant de donner leur accession à la déclaration, n'avaient pas procédé par voie de simple refus. Ils avaient mis comme condition de leur adhésion l'adjonction à la déclaration de l'alinéa suivant :

« Et la propriété privée des sujets de l'une ou l'autre des puissances belligérantes ne sera pas sujette à capture par les navires de l'autre partie, sauf en cas de contrebande de guerre (1).

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Le principal argument invoqué par le gouvernement de Washington en faveur de sa proposition était la solidarité entre l'abolition de la course et le respect sur mer de la propriété privée des belligérants. Ce point de

(1) Note de M. de Marcy à M. le comte de Sartiges, ministre de France à Washington.

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