Page images
PDF
EPUB

«

[ocr errors]

<< choix pour compléter le nombre des membres de «< ce gouvernement... Quant à moi, ma mission est remplie. Voici les actes et les pièces de mon ad«< ministration, je les livre à votre investigation. Je <«< rentre dans la classe des citoyens privés, avec la << conscience intime et la douce satisfaction d'avoir « exécuté fidèlement mon mandat, et d'avoir vu << mon pays, grâce à la divine Providence et au << courage de mes frères, accomplir la plus belle des « révolutions. » Il va sans dire qu'Hérard fut l'autre citoyen appelé par le gouvernement provisoire. Il partit bientôt à la tête des troupes disponibles pour parcourir le Nord et l'Est, et y proclamer l'autorité du pouvoir nouveau, pendant que ses collègues se préparaient à faire voter la quatrième constitution de la république.

Fidèle à son involontaire imitation des formes de notre passé républicain, notre ancienne colonie procéda par le vote à deux degrés à la formation de cette assemblée constituante; mode long et compliqué qui ne va pas aux temps de crise, qui ne va pas surtout à l'enfance politique des peuples. Le décret du 15 avril qui convoquait les assemblées primaires, fixait au 15 septembre l'ouverture de la constituante. Ce long ajournement ne suffit pas: il fallut qu'un

nouveau décret prolongeât le délai. Ces lenteurs donnèrent aux esprits, un moment surexcités par une révolution, le temps de retomber dans leur atonie. Et tandis que le gouvernement provisoire s'endormait dans l'inertie d'un gouvernement définitif, les réunions électorales, dont les présidents exhalaient leur républicanisme dans d'incroyables périodes oratoires, se complétaient avec une caractéristique insouciance. Il y eut des communes qui ne tinrent pas d'assemblées, et celle « du Port-au-Prince << qui devait réunir six mille électeurs, ne réussit, en dépit des publications réitérées des journaux, et « malgré le carillon de la liberté, qu'à en réunir << deux cents'. >>

[ocr errors]

Mais cette indifférence de la masse n'empêchait ni les conflits de caste, ni la dangereuse fermentation des ambitions individuelles. Ce fut même à une discussion électorale que fut due la première prise d'armes qui signala l'interrègne présidentiel.

D'un autre côté, le gouvernement provisoire se voyait débordé par un mal qu'il avait lui-même inoculé à ses gouvernés. Le héros de Praslin, qui du jour au lendemain échangeait son modeste

› Patriote du 1er juin.

grade de chef de bataillon pour celui de général de division; son cousin Hérard Dumesle, qui, se souvenant tout à coup qu'il avait autrefois servi, se décrétait aussi la feuille de chêne; l'avocat David Saint-Preux, le député Lartigue, pacifique planteur, et tant d'autres qui, séduits par cet exemple, firent payer par des épaulettes la haine dont les avait honorés le président Boyer, ouvrirent la voie aux menus ambitieux. La vanité africaine se pavana sous un flot de plumes de coq et de graines d'épinard; on n'entendit plus, dans les rues du Port-au-Prince, que la symphonie des grands sabres et des bottes éperonnées sonnant à l'unisson sur le pavé. Si cette épidémie fut d'abord un moyen de gouvernement comme un autre, si elle servit surtout à faciliter au général Hérard le succès de la tournée moitié militaire, moitié administrative, qu'il accomplissait dans le Nord et dans l'Est, elle devint un embarras et un péril, lorsque le gouvernement fut obligé de s'arrêter dans la distribution des grades, par la crainte bien légitime de ne plus avoir de soldats à force d'avoir des généraux. Les ambitions déçues, se compliquant, en quelques endroits, des hostilités de caste, plusieurs mouvements écla

tèrent.

La première prise d'armes eut lieu près des Cayes, cette localité essentiellement inflammable. Le noir Salomon, homme considérable de sa caste, molesté par les sang-mêlés dans l'assemblée électorale de cette commune, protesta contre ses opérations, et se retira en armes sur une habitation voisine, où de nombreux partisans l'entourerent. Tandis que le général Hérard, affectant l'ubiquité, envoyait du fond de la partie espagnole où il était alors arrivé, l'ordre de l'arrêter, le noir dissident répondait par des coups de fusil aux troupes dirigées contre lui, et les mettait en pleine déroute. Lazare dut marcher en personne, et proclamer une amnistie, pour mettre fin à cette levée de boucliers qui fut le prélude de celles beaucoup plus sérieuses dont la province du Nord fut plus tard le théâtre. Ce premier mouvement insurrectionnel était à peine apaisé, que le général noir Dalzon « fit le sien, » non pas dans une province éloignée, mais à Port-au-Prince, et sous les baïonnettes d'Hérard qui, après avoir fait proclamer la révolution dans toute l'étendue de la république, était de retour au siége du gouvernement. Par une nuit magnifique, que la lune illuminait comme un soleil, Dalzon, opé

rant la manœuvre froidement audacieuse qu'exé

!

cuta Pétion lors de sa défection, se rendit aux casernes, et ordonna aux troupes de le suivre au fort qui commande la place. Il avait entraîné un régiment, et prenait une position qui pouvait devenir formidable, lorsqu'en voulant brûler la cervelle à l'un des officiers que l'autorité militaire avait envoyés reconnaître l'état des choses, il fut tué presqu'à bout portant par l'un des soldats de l'escorte. On vit fuir et disparaître, sans pouvoir l'atteindre, un homme qui l'accompagnait. Mais reconnu distinctement, il fut bientôt arrêté. C'était le noir Mercure, juge de paix devenu colonel, et dont l'histoire a trouvé place dans les journaux de l'Europe. Après avoir subi l'agonie de cinq jugements successifs, il fut fusillé avec son fils et deux de ses complices. Il mourut en jetant au vent la fumée de son cigare, voulant montrer, par l'exagération de son courage, qu'il succombait comme champion d'un parti, et non pas comme victime d'une ambition purement personnelle, ainsi que le gouvernement prit tant de soin à le répandre.

Ce fut au milieu des préoccupations que laissaient dans les esprits ces agitations partielles, que commencèrent les travaux de la fameuse assemblée constituante. Il suffit de jeter les yeux autour de nous,

« PreviousContinue »