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et de voir ce que sont parfois les assemblées non constituantes de l'Europe, pour avoir une idée du curieux spectacle qu'a dù présenter la grande convention du Port-au-Prince. Comme ces cortès portugaises, qui, dissoutes après trois mois de session, en étaient encore au premier paragraphe de leur adresse, les élus de la république africaine firent un tel abus de la parole, s'enfoncèrent tellement dans la définition des droits de l'homme et du citoyen haïtien, qu'impatienté, et inquiet de ces lenteurs qui prolongeaient les inconvénients de la situation, le chef du gouvernement adressa, au commencement de décembre, un message à l'assemblée, pour lui signifier que si au 15 elle n'avait pas terminé sa tâche, il donnerait sa démission, et laisserait à d'autres le fardeau du provisoire. Cette mise en demeure, assez peu parlementaire, provoqua une réponse très-brève, et qui ne manquait pas de dignité. Hérard la lut en présence de ses soldats. Il y eut un commencement d'émeute militaire : les sabres furent tirés, on poussa des cris très-peu constitutionnels, et quelques audacieux osèrent même proclamer leur général président. Cette manifestation n'eut pas de suites immédiates, mais elle fut le commencement de la lutte qui éclata entre les deux

Hérard et la logomachie parlementaire, lutte dans laquelle nous les verrons succomber.

Enfin l'impatience du pouvoir militaire ayant produit une certaine sensation, on se pressa un peu, on sacrifia quelques discours sur l'autel de la patrie, et on put, le 4 janvier 1844, proclamer le général Charles Hérard-Rivière, président de la république pour quatre années.

La cérémonie de l'installation eut lieu avec une grande pompe. Rien ne manqua à la solennité, pas même le jeune palmier, emblème de la république, dont la flèche aiguë, surmontée du bonnet de la liberté, décorait pittoresquement la salle. M. le contre-amiral comte de Mosges, commandant notre station des Antilles, et qui, au premier bruit des événements dont notre colonie était le théâtre, s'était porté devant Port-au-Prince sur la frégate la Néréide; M. le consul général Adolphe Barrot, envoyé par le gouvernement français pour traiter la question d'indemnité, et récemment arrivé sur la corvette l'Aube; le consul résident de France et les consuls des États-Unis et d'Angleterre assistèrent officiellement à la cérémonie1. Ils furent témoins d'un curieux spectacle.

'Le consul d'Angleterre était M. Usher, auquel, par parenthèse, les jour

L'élu de la république, après avoir juré la constitution nouvelle, prononça un discours qui attiédit singulièrement l'enthousiasme du moment par les restrictions qu'il semblait mettre au serment que l'on venait d'entendre. Ce document, où l'on reconnaît la touche assez littéraire d'Hérard Dumesle, était la suite de la manifestation que nous avons rapportée. C'était la protestation du bon sens contre une rapsodie démocratique aussi diffuse dans sa forme qu'inexécutable dans ses prescriptions; protestation un peu hâtive sans doute, mais qui cherchait en quelque sorte à prendre date. Au sortir de la séance, les soldats traduisirent en cris violents les réticences mesurées de leur chef. Il fut dès lors évident que s'ouvrait une nouvelle phase de la révolution : la lutte allait commencer entre le pouvoir exécutif appuyé du parti militaire, soutenu de tous les hommes doués de quelque instinct gouvernemental, et la constituante appuyée du journalisme et de tous les harangueurs de l'île.

Le premier éclat eut lieu dans le quartier de

naux haïtiens adressèrent le singulier reproche de ne s'être pas fait assez beau pour la cérémonie. L'honorable fonctionnaire s'en défendit avec une grande vivacité, et il demeura à peu près établi que, si le représentant de S. M. B. avait paru un peu terne, c'était uniquement par le contraste du splendide M. Barrot.

l'Artibonite, où, à la suite de différents mouvements, l'autorité militaire fit fermer le comité municipal, sorte de commune permanente empruntée à la révolution française, dont la constitution avait doté le pays. Ce conflit, dont l'origine n'a jamais été bien éclairée, fut considéré comme le gant que les deux Hérard jetaient au parti parlementaire. Les mesures prises par l'autorité supérieure pour rétablir l'ordre, soulevèrent les plus violentes récriminations. Le gouvernement ne put obtenir de l'assemblée l'autorisation de poursuivre un de ses membres, le député Bazin, représentant de l'Artibonite qu'il accusait de fomenter les troubles dont sa commune était le théâtre. Bazin, qui crut que son inviolabilité de député le suivrait partout, et qui s'était rendu sur le théâtre des événements, fut tué en se défendant contre les soldats envoyés pour l'arrêter. Nous ne pouvons mieux peindre la situation violente qui surgit de ces événements, qu'en laissant parler le principal acteur du drame.

Dans sa proclamation du 26 février, après avoir rappelé que tout prospérait à la révolution partie de Praslin, jusqu'au jour où le gouvernement provisoire convoqua les assemblées primaires et électorales pour former l'assemblée constituante, le

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général Hérard disait : « Les prévisions du moment << annoncèrent qu'elle serait le rendez-vous du dé– «<vouement, de la bonne foi, de l'expérience et « des lumières. Mais, dès le début de cette assem« blée, l'esprit qui devait y régner se manifesta. Sa << tendance à envahir tous les pouvoirs, à se cons<< tituer en convention nationale, fit craindre aux esprits pénétrants de voir renouveler, en Haïti, « les scènes de la France en 1793. Cette tendance << alarma tous les gens de bien..... Tant que les dé<«<fenseurs de la patrie qui inaugurèrent la révolu– <«<tion de 1843, et ces hommes d'élite qui applaudirent de bonne foi à leurs généreux efforts, <«< restèrent au sein de cette assemblée, ils neutra<< lisèrent l'esprit de parti qui s'est dessiné au milieu <«< de ses tumultueux débats; mais aussitôt qu'ils quittèrent leur siége, ou qu'ils se trouvèrent en << trop petit nombre, l'exaltation n'eut plus de «< bornes..... Après trois mois de discussions ora<< geuses, dans lesquelles on oublia les traditions << du passé et ses utiles enseignements, la constitu«<tion de 1843 parut. Les théories politiques qu'elle «< établit, ses créations, étaient toutes nouvelles pour << le peuple, et devaient naturellement fixer son atten«<tion. La liberté d'examen enfanta une sorte d'op

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