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dit un écrivain, si l'on se souvenait des anciennes indigoteries. Ajoutons que le fait de cette résurrection se rattache à l'une des situations les plus critiques qu'aient traversées les îles. Ce fut la ressource suprême offerte aux planteurs, vaincus et découragés par un fléau qui faillit leur faire abandonner la place: nous voulons parler de l'invasion des fourmis qui, à la suite de plusieurs ouragans successifs, fondirent sur les plantations de cannes qu'elles détruisirent presque complétement'. Les fourmis disparurent comme elles étaient venues, et la canne reverdissant sur le sol en expulsa de nouveau l'indigotier, qui ne se maintint plus qu'à Saint-Domingue, où, dans le chapitre suivant, nous le retrouverons en 1790. En 1776, l'indigo valait environ 5 liv. 10 sous la livre.

Suivant Valverde, le cacaotier croîtrait aussi spontanément dans l'île Espagnole, et cette opinion paraît fondée car on sait que le plus fin produit de cette plante est colui que fournissent les contrées que baigne le golfe du Mexique. Quoi qu'il en soit, on

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Une récompense d'un million de livres fut proposée pour celui qui trouverait le moyen de les détruire. Voyez au tome III, p. 249, 309, et 257 du Code de la Martinique; et dans les Annales du conseil souve rain de la même colonie, t. I, p. 127; t. II, p. 297, où se trouvent d'intéressants détails sur le président de Tascher, auquel la France dut alors le salut de ses possessions des petites Antilles.

le trouve à l'origine de la colonisation européenne, et il fut avec les métaux et le sucre le premier article d'importation que reçut l'Espagne. Il n'y avait pas, au xvie siècle, d'autre cacao que celui de SaintDomingue, qui approvisionnait sa métropole et faisait même quelques envois à l'étranger. Les Français empruntèrent donc cette industrie à leurs voisins; mais combattue en quelque sorte par l'indigotier et la canne, qui s'étendaient rapidement, elle ne prit jamais un bien grand développement. Elle s'amoindrit aussi rapidement dans la partie espagnole, dont cependant les plaines élevées et richement arrosées sont éminemment propres à la végétation de l'arbre qui porte la précieuse amande que la science appelle mets des dieux '.

L'introduction du café dans les colonies françaises d'Amérique est un point d'archéologie économique fort connu. Il n'est personne qui ne sache la touchante histoire de Desclieux, gentilhomme normand, chargé de porter à la Martinique deux plants sortis du jardin botanique de Paris, et qui, embarqué sur un vaisseau où l'eau vint à manquer, partagea avec les frêles arbustes la ration qui lui était chaque jour distribuée. Ces jeunes pousses étaient

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sorties d'un cafier dont les magistrats d'Amsterdam avaient fait don à Louis XIV dans les premières années du XVIIIe siècle, et qui provenait des possessions hollandaises de Java, où le précieux arbrisseau avait été depuis assez longtemps importé d'Arabie. En 1727, un tremblement de terre avait fait périr tous les cacaoyers de la Martinique, dont la culture était la seule ressource des colons qui ne possédaient pas des capitaux suffisants pour entreprendre celle de la canne. Ce fut pour venir en aide à cette population désolée que le cafier lui fut envoyé. Jamais industrie ne répondit mieux à l'espoir qu'on avait fondé sur elle. Lorsque Desclieux mourut en 1775, à l'âge de quatre-vingt-dix-sept ans, il avait vu une belle et riche culture grandir à la suite des deux pauvres arbustes dont il avait été le tuteur dévoué 1. Le cafier fut importé de la Martinique à Saint-Domingue. Il y prospéra merveilleusement; et après avoir résisté aux envahissements

1 Voyez les Annutes du conseil souverain, déjà citées, t. II, p. 6. On trouve dans la collection manuscrite de Moreau de Saint-Méry (partie de la Guadeloupe, t. I, p. 61) un document curieux, qui prouve que, dès 1636, la Compagnie des îles avait cherché à introduire le café dans cette colonie. Seulement, on ignorait alors que cette fève ne conserve que très-peu de temps son germe, et l'on finit par renoncer à cette tentative, en restant convaincu que les Hollandais faisaient subir une première torréfaction an café qu'ils envoyaient en Europe, pour conserver à leurs possessions le monopole de la production.

de la canne, comme à la grande commotion révolutionnaire qui fit disparaître toutes les cultures, il constitue encore aujourd'hui la seule industrie du pays. En 1737, la partie française de Saint-Domingue et nos colonies des Petites Antilles produisaient déjà assez de café pour qu'il fût possible d'en permettre l'exportation à l'étranger, malgré le goût de plus en plus prononcé que manifestaient toutes les classes de la société pour cette précieuse alimentation qui ne devait pas plus passer que les vers du poëte. Suivant Valverde, la partie française de Saint-Domingue produisait en 1776 la quantité de 30,450,000 livres de café, qui, se vendant à raison de 30 livres tournois le quintal, donnaient un revenu de 1,827,000 livres.

Nous reviendrons plus tard dans un chapitre spécial sur cet important produit, qui, selon nous, constitue l'une des belles questions économiques du moment, et dont nous faisons le pivot de la solution que poursuit ce travail.

Tels furent les premiers éléments de la prospérité de la belle colonie qui se créait toute seule pour la

1 Madame de Sévigné avait prédit que Racine passerait comme le café : malheureux pronostic qui prouve deux fois contre son goût.-Voyez, dans Moreau de Saint-Méry, Lois et Constitutions, t. III, p. 331, la Déclaration du roi, du 27 septembre 1732, qui permet l'exportation du café.

France. On peut dire que cette terre doublement féconde faisait sortir à la fois de son sein la civilisation et les tiges vigoureuses des plantes dont le germe lui était confié. Car, à mesure que les habitants lui demandaient les richesses dont elle était si prodigue, ils renonçaient à leur vie de déprédations et de violences: les héroïques forbans devenaient d'intelligents et courageux planteurs.

C'est une curieuse histoire, et qui serait bien digne d'arrêter aujourd'hui l'attention de la France, que celle de la colonisation de la partie française de Saint-Domingue! Elle offre, en effet, un sujet d'étude unique dans l'histoire de ce xvII° siècle qui entreprit le défrichement civilisateur du monde nouveau que l'illustre Génois avait ouvert à l'Europe. Là, ce n'était pas la lutte d'hommes bardés de fer, et lançant la foudre contre de pauvres sauvages qui les prenaient pour des dieux; c'était la lutte de deux nationalités également fortes, disposant des mêmes moyens de dostruction, et dont l'une demandait place à l'autre. Ah! si jamais lutte fut instructive, c'est bien celle-là! si jamais le passé a légué un événement à l'avenir, en lui disant : Voilà comme il faut faire! c'est bien celui-là. L'occupation de la côte de Saint-Domingue par l'héroïque descendance de la

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