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CHAPITRE VII.

Situation.

Point de vue politique.

Pétion, Boyer, Rivière-Hérard. · Ce qui ressort de leur gouvernement. L'envahissement de la démocratie est la conséquence de l'antagonisme de Pétion et de Christophe. — Étrange situation sous Boyer. Les conséquences de cette situation apparaissent à sa chute. - Rapprochement entre les chefs noirs et ceux de sangmêlé. Fausse appréciation par un écrivain. Du principe démocratique dans les sociétés nouvelles. Point de vue social.-Antagonisme vainement dissimulé. Nouvelle erreur d'appréciation. André Rigaud. La vérité sur la situation.

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Ce que fut

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· Caractère du revirement

qui vient de s'opérer. - Il n'est qu'une halte dans l'anarchie. personnification de son pays.

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Ce qu'il faut penser de la présidence de Guerrier et de Pierrot. Nécessité et impuissance, tel paraît être le rôle des sang-mêlés. Ce qu'ils doivent faire pour mettre fin à cette situation. Toute civilisation vient de l'Orient. les différents éléments de la population. · race européenne sur les races africaines.

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- Manque d'équilibre dans De l'action nouvelle de la

Telle est la situation. Tels sont les événements qui sont encore en voie de s'accomplir au moment où nous écrivons.

Il nous reste à ramener au point de vue de leurs conséquences politiques, tous ces faits dont vainement peut-être nous avons essayé de coordonner l'incohérence, et à rechercher l'avenir que crée à

cette terre naguère française, ce funeste antagonisme des races dont la nature a si malheureusement écrit le principe sur les fronts.

Nous avons dit comment était mort Pétion, comment tombèrent Boyer et Rivière-Hérard. On a vu le premier chef mulâtre se consumer et s'éteindre en impuissants efforts pour maintenir le faisceau gouvernemental qu'il avait pu former sous l'impression des incessantes menaces de son rival du Nord. On a vu son successeur sapant à son profit toutes les institutions démocratiques de son pays, et marcher à l'autocratie avec une sourde mais infatigable persévérance; puis, souverain à peu près absolu, se courber comme instinctivement sous une loi mystérieuse qui semblait le condamner à l'immobilité, et traîner durant un quart de siècle son inféconde domination. Enfin, Boyer renversé, on a vu surgir deux hommes de sa couleur; deux hommes nouveaux et du même nom, qui trouvent dans leur étroite parenté l'union et la solidarité qui font la force. L'un, sans ambition personnelle, arrivé au pouvoir comme à son insu, supplée par son dévouement à la chose publique, et par une certaine honnêteté de cœur, à ce qui peut lui manquer du côté de l'intelligence. Doué d'une rare énergie, il est

prêt à la dépenser tout entière dans l'accomplissement de sa tâche nouvelle, comme il la mit au service de la révolution au jour où elle dut trouver son premier soldat. L'autre, que ses concitoyens citaient avec orgueil, esprit sérieux et cultivé, qui avait étudié le mécanisme des sociétés européennes et médité l'histoire de son pays, avec moins d'abnégation personnelle, entre dans la carrière avec la même confiance, avec le même besoin de succès.... La moitié d'une année ne s'est pas écoulée, que ces deux hommes, la tête et le bras de la révolution, proclamés la veille les sauveurs de la patrie, les restaurateurs de la liberté, sont balayés du sol, emportés par un revirement aussi subit qu'hétéroclitement consommé....

Faut-il ne demander aucun enseignement à cette succession du même fait qui se reproduit sous des formes diverses? Faut-il ne voir, d'un côté, que marasme et dégoût sceptique de la vie, impéritie et allanguissement d'une nature bornée et paresseuse; de l'autre, un simple effet de cette mobilité populaire dont la vulgarité proverbiale est de toutes les latitudes?

Nous croyons que ce rapprochement a une tout autre portée; nous croyons qu'il est le symptôme

d'une situation assez caractéristique pour être étudiée.

:

Pétion jeta le premier la semence républicaine sur le sol haïtien. Or, si la démocratie forme un extrême et l'absolutisme un autre, il est rare qu'en matière de révolution ces deux extrêmes ne se touchent. L'excès de l'un sera toujours la mesure de l'excès de l'autre on comprend comment le germe déposé par Pétion dans la constitution de 1806 se développa rapidement chez des hommes qui venaient de s'affranchir de la domination la plus absolue de l'esclavage corporel et de l'ilotisme politique. Aussi, tandis que de sa main de fer Christophe, séquestrant ses États de tout contact avec le Sud, maintenait dans le Nord l'absolutisme le plus énergiquement constitué qui fût jamais, les idées démocratiques se propageaient rapidement parmi les gouvernés de Pétion, favorisées qu'elles étaient d'ailleurs par les perpétuelles concessions que sa lutte avec le roi noir imposait au chef mulâtre. Lorsque, délivré des appréhensions que lui inspiraient les projets de conquête de son rival, et affriandé par l'exercice du pouvoir, Pétion voulut resserrer un peu les rênes et s'arrêter sur la pente qu'il sentait devenir chaque jour plus rapide, il

éprouva, même au milieu de son entourage le plus intime, une résistance qui dut lui révéler combien son peuple avait progressé. On le vit un jour envoyer des canons chargés à mitraille au sénat qui le mandait à sa barre, et un écrivain contemporain nous l'a représenté faisant «baïonnetter, pour cause d'opposition,» ses amis naguère les plus dévoués, ceux qui l'avaient aidé à monter au pouvoir'. En vain parvint-il, à force d'intrigues et d'intimidation, à reprendre en 1816 par les modifications qu'il fit introduire dans la constitution, une partie de ce qu'en d'autres temps il avait laissé tomber de démocratie dans la charte de son pays; en vain son successeur Boyer, fidèle sectateur de son école, marcha-t-il constamment dans la même voie : le fait même de l'unité territoriale qu'il parvint à réaliser, lui créa

"

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1 << Pétion se trouva trop à l'étroit dans ce pacte fondamental, auquel il <«< avait travaillé, lorsqu'il le croyait destiné à enchaîner un autre que lui. « Il lutta d'abord contre le sénat, qui voulait, après l'avoir nommé, le con«< tenir dans les limites de ses fonctions; et deux ans s'étaient à peine · écoulés, que le sénat était dispersé et Pétion maître de la république. La « plupart de ses anciens amis, Lacroix, Daumec, Lys, Peslasges, Bonnet, « et d'autres encore, tous des mieux famés et des plus haut placés, devin<< rent ses ennemis : quelques-uns même périrent. Son complice Gérin, qui << s'indignait de ses usurpations, fut bayonnetté par une compagnie de gre<< nadiers envoyés soi-disant pour l'arrêter...» (Colonies étrangères et Haïti, par V. Schoelcher, t. II, p. 148.) Quoique les accusations de M. Schoelcher ne soient pas toujours paroles d'Évangile lorsqu'il s'agit des hommes de couleur, nous devons dire que cet écrivain est ici dans le

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