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INTRODUCTION.

On ne peut comparer qu'à l'action du christianisme celle qu'ont exercée ces deux grands faits de l'histoire moderne : l'Amérique découverte, le cap de Bonne-Espérance franchi. Après ce premier mouvement d'enthousiasme, qui tint l'Europe comme suspendue à la merveilleuse odyssée du Génois et du Portugais, il y eut un immense entraînement de toutes les passions et de toutes les intelligences vers l'exploitation des mondes nouveaux, que la confusion des idées appela les deux Indes. Bientôt, on vit le courant commercial du monde se déplacer, les petites républiques marchandes de l'Italie et la confédération anséatique perdre le monopole de l'approvisionnement de l'Europe, dont elles s'étaient habilement emparées pendant les guerres incessantes que se livraient les grands États; puis enfin, ces grands États, rappelés en quelque sorte à eux-mêmes par l'énergique enseignement des plus surprenantes péripéties de l'histoire, arriver à comprendre que

leur génie et leur vitalité pouvaient se dépenser ailleurs que sur un étroit champ de bataille.

Mais cette heureuse perturbation de la vieille Europe ne pouvait se produire sans que chacune de ses phases portât le caractère de l'époque à laquelle elle se rattachait.

Ce fut d'abord un entraînement subit, inintelligent et irréfléchi, sorte de rut brutal de l'ancien monde sur les mondes nouveaux. La recherche des métaux précieux, avec cette ardeur fiévreuse, qui se perpétuait encore dans les laboratoires de l'astrologie; le commerce sans arrière-pensée de civilisation, au point de vue exclusif de l'extraction des richesses; la guerre au point de vue exclusif de la rapine et du pillage telle fut, pour les terres découvertes par Colomb et par Gama, la révélation du continent chrétien.

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Cette première période fut longue, car le travail de la civilisation européenne ne se fit pas non plus en un jour. Il a fallu plus d'un siècle au jet désordonné pour se régulariser et se creuser un lit. Oui, l'Europe mit cent ans à comprendre que Dieu n'avait pu lui jeter le reste du monde, comme une proie à dévorer; ou plutôt, à l'aspect des populations nouvelles se desséchant à son contact, et

de ses vaisseaux revenant chaque jour moins richement chargés, elle s'aperçut que le sol le plus fertile finit par s'épuiser, et qu'on ne peut toujours recueillir sans semer. Les premières années du xvII® siècle ouvrirent une ère nouvelle dans l'action de notre continent sur le monde transatlantique. Aux tentatives isolées et éphémères qui ne trouvaient de force que dans la violence, et pour lesquelles elle était comme une nécessité, succédèrent les entreprises collectives, qui embrassèrent l'avenir et trouvèrent la force en elles-mêmes. Les compagnies de commerce et de colonisation prirent naissance.

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Il faut placer en dehors de ce mouvement de transformation intelligente les deux nations qui, par droit d'invention, prétendirent au monopole des nouvelles découvertes: l'Espagne, à laquelle Rome avait adjugé les Amériques de Colomb et de Vespuce; le Portugal, ce petit pays aujourd'hui oublié, et qui avait su faire prévaloir ce principe de droit public, qu'à son pavillon seul il appartenait de franchir la route par Gama. L'Espagne, si bien partagée, et assez puissante pour faire longtemps respecter son privilége de possession et de commerce, n'eut besoin de recourir à aucune combinaison pour tirer de ses nouvelles provinces les fabuleuses richesses qui l'é

trouvée

b.

levèrent si haut. Lorsque fut déchiré à coups de canon par les marchands d'Amsterdam et de Londres le singulier droit maritime qu'il avait inauguré à son profit, le Portugal ne sut pas comprendre quelle force nouvelle sapait sa puissance. D'un côté, la résistance ne s'y éleva jamais aux proportions d'une lutte de pays à pays; de l'autre, les capitaux ne s'y associèrent jamais que dans d'étroites limites.

C'est dans le nord de l'Europe qu'il faut aller chercher les grandes associations auxquelles nous consacrons ce travail; et c'est le plus faible des États du Nord qui le premier en conçut et en exécuta la pensée.

Nous allons étudier dans leur organisation, dans leur développement, et dans leurs conséquences, les compagnies de Hollande, d'Angleterre et de France.

Tandis que, tourmenté du désir de tenter la glorieuse aventure de cette navigation des Indes orientales, dont les marchands de Lisbonne ne parlaient qu'à voix basse, mais respectant le principe de souveraineté sur les eaux du cap de Bonne-Espérance qu'avait posé le Portugal, le commerce hollandais s'épuisait à remonter vers le nord-est à la recherche de ce passage que Cook seul devait trouver1; un

On sait que Behring, plus heureux que Christophe Colomb, ne décou Ivrit que les premières côtes du détroit auquel la postérité a cependant laissé son nom.

bourgeois d'Amsterdam, Corneille Houtman, que ses affaires avaient appelé dans la Péninsule, s'informait avec soin de tout ce qui avait trait à la navigation du Cap. Sa curiosité faillit le perdre. Il fut jeté en prison, et condamné à une amende calculée de manière à ne pouvoir être jamais acquittée. Mais ses compatriotes ayant appris le fait et sa cause, se cotisèrent et lui firent passer les moyens de se li

bérer.

Corneille Houtman revint dans son pays, et la première association des marchands hollandais pour le commerce des Indes prit naissance. Ce fut la compagnie des pays lointains, qui remonte à l'année 1595.

Nous n'avons pu, malgré de persévérantes recherches, nous procurer l'acte constitutif de cette première société. Ce que nous en savons, c'est qu'elle était assez considérable pour être administrée par dix directeurs; qu'aucun privilége ne lui fut octroyé, et qu'elle s'organisa en dehors de l'action du gouvernement. Sa très-prompte modification semble d'ailleur impliquer l'idée que son contrat ne fut qu'un germe, et qu'il ne faisait que retracer les règles de la répartition des profits et des pertes. Aussitôt la formation de la compagnie, quatre vaisseaux étaient

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