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Lorsqu'en se reportant au règne de Louis XIV on lit le nom hollandais dans les pages de l'historien, aussi bien que dans les vers du poëte qui ont célébré les exploits du grand roi; lorsqu'on voit sans cesse l'armée des Provinces-Unies, la flotte des Provinces-Unies s'entre-choquant avec l'armée et la flotte de la France, on éprouve d'abord un véritable embarras à se rendre compte de cette lutte en apparence si inégale, et cependant si fièrement soutenue. Mais lorsque l'on étudie l'ensemble de la situation; lorsqu'on se fait une idée de l'immensité des ressources que le commerce des Indes fournissait à la Hollande, de la trempe énergique de ses marins qu'avait bronzés cette navigation où la terre n'était plus qu'un accident pour l'homme, on arrive à comprendre le secret de cette puissance qui fit de la Hollande le boulevard de l'Europe contre la politique envahissante de Louis XIV, et lui permit à elle, petite nation ayant en tête la France, de prendre ce rôle de résistance obstinée que l'Angleterre a eu de nos jours tant de peine à conduire à fin.

Alors, en remontant le fil des événements pour se rendre compte de leurs causes déterminantes, on arrive à ce curieux rapprochement, que l'aventure tentée par un bourgeois d'Amsterdam, en

1602, a dominé la politique du xvn siècle............. La compagnie hollandaise a fini, parce que, pour une raison ou pour une autre, tout doit prendre fin. Sa prospérité dura jusqu'à la guerre de 1780, qui lui porta les premiers coups, en lui faisant perdre de riches chargements, en enlevant une partie de ses possessions territoriales, et en détruisant la marine nationale qui pouvait la défendre. Celle de 1795 acheva l'œuvre. La compagnie déjà ébranlée n'était pas de force à soutenir contre la France révolutionnaire la lutte qu'elle avait soutenue contre la France de Louis XIV. La Hollande demeura un moment effacée de la liste des nations, et avec elle disparut la puissante corporation qui avait fait sa force.

La compagnie ne se releva pas avec la nationalité néerlandaise ; mais lorsque les grandes conventions de 1814 et 1815 replaçant la Hollande au rang des puissances, voulurent lui rendre en partie les fleurons de sa couronne maritime, ce furent les établissements créés par l'association de 1602 qui lui furent rétrocédés. Elle eut à Java, le royaume de Jakatra où s'élève la célèbre ville de Batavia, les provinces de Tayal, de Samarang, de Japara, de Sourabaya, les royaumes de Chéribou et de Mataram; dans l'île de Madura qui l'avoisine, le beau

district de Pamakassi; à Sumatra, les provinces de Lampong, les îles de Banka et de Billeton qui en dépendent; les provinces occidentales des Célèbes dont fait partie le royaume de Ternate, la partie occidentale de l'île de Timor, et les îles adjacentes ; enfin, les célèbres Moluques, que les Hollandais appellent les grandes Indes orientales (Groot oost), au nombre desquelles se trouve Amboine où prit terre le premier armement de la compagnie. Tous ces territoires et leurs nombreuses dépendances étaient ou tributaires de la compagnie, ou possédés par elle. Ils relèvent aujourd'hui au même titre du gouvernement néerlandais. Leur population est évaluée à 8,000,000 d'âmes, c'est-à-dire, à près du double de celle de leur métropole.

Enfin, et ce rapprochement nous semble du plus haut enseignement, lorsque de nos jours une révolution est venue de nouveau rompre l'antique unité des provinces de la Néerlande, et que l'héritier des glorieux Nassau du xvi° siècle a entrepris de résister à la politique de l'Europe, c'est à ces mêmes possessions des Indes, c'est à ce même commerce des Indes qu'il s'appuya dans son isolement.

Nous n'avons pas besoin de constater quels ont

été les résultats matériels de l'incorporation des marchands de Londres. Là, le succès n'a pas seulement comblé les espérances, il a encore dépassé l'ambition. L'occupation d'une partie de l'Asie par une association de bourgeois européens, la manière dont cette occupation est maintenue, resteront à tout jamais l'une des pages les plus surprenantes de

l'histoire.

Nous avons indiqué les modifications successives qui, de la petite association formée par d'Énambuc, avaient fait la grande compagnie des Indes occidentales. Créée pour quarante ans, celle-ci n'en dura que dix, le roi ayant ordonné la liquidation et ayant fait opérer le retour à la couronne des territoires qui lui avaient été concédés. Ce fait, diversement interprété, ne saurait être considéré comme révélant une impuissance caractéristique de la compagnie en présence de son œuvre. L'édit de dissolution reconnaît que, malgré « les grandes et nécessaires dépenses auxquelles l'avoient entraînée la guerre qu'elle avoit été d'abord obligée de soutenir contre les Anglois, elle eût pu s'en dédommager tant par son commerce que par les possessions de tant de pays où elle jouissoit déjà de tant de reve

nus. » Savary et Valin, si versés dans ces matières, confirment ce témoignage officiel '.

Pour nous, la vérité est dans ce fait, qu'à la différence de la compagnie de l'Orient, celle de l'Occident était plutôt de colonisation que de commerce; d'où cette conséquence que, trouvant une œuvre déjà vigoureusement ébauchée par les différentes associations qui l'avaient précédée, elle put, à l'aide des grands moyens dont elle disposait, la faire arriver rapidement au point où la royauté pouvait la recevoir de ses mains. C'est encore là ce qui résulte de l'édit de révocation, qui reconnaît que « le but également utile et glorieux que le roi s'étoit proposé, avoit eu le succès désirable. » Loin donc de trouver aucun argument contre le rôle que nous attribuons aux anciennes compagnies dans l'histoire du dix-septième siècle, dans la courte durée de celle des Indes occidentales, on peut dire que cette association est de toutes, celle qui a le mieux concouru à son but. Il ne faut point oublier que la fonction des entreprises de cette nature est, avant tout, de préparer l'œuvre supérieure de l'État; et ce qui, à première vue, semble un insuccès, rend pour nous l'association des

1 Voy. le Dictionnaire du Commerce précité, au mot Compagnie des Indes occidentales. Et Valin, Op. cit.,'t. 1, p. 12.

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