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rêts; plusieurs familles siamoises, fuyant la tyrann du prince, s'y retirent souvent, comme dans un as assuré. Il est permis indifféremment à tout Siame d'embrasser la profession de talapoin. Celui qui sent du goût pour cet état, va trouver le supérien de quelque couvent, et lui demande s'il veut le rece voir. Lorsqu'il a obtenu son consentement, il se dresse à un sancrat, espèce d'évêque talapoin, qu lui donne l'habit. Si le supérieur qui l'admet dan son couvent est lui-même revêtu de la dignité de sancrat, le postulant reçoit de ses mains l'habit de l'ordre.

Cette prise d'habit est accompagnée de plusieur cérémonies. Les parens et les amis du postulant Is conduisent au temple, comme en triomphe, au son des instrumens de musique. On s'arrête plusieurs fub en chemin pour chanter et pour danser; mais tout cortége profane reste à la porte du temple : le cand dat entre seul. Là, on lui rase les sourcils, les cheveux et la barbe. Ensuite, s'étant dépouillé de ses habits séculiers, il prend, des mains du sancrat, le vêtement de sa nouvelle profession, et le met lui-même. Pendara qu'il endosse le saint habit, le sancrat prononce quel ques paroles mystérieuses en langue balie; après que le nouveau moine se rend au couvent qu'il doit ha biter. Il y est conduit par le même cortége qui l'ac compagnoit en venant au temple. Quelques joun après, les parens du nouveau talapoin donnent un grand festin à tout le couvent. Ce festin est accomp gné de chants, que le nouveau moine ne doit po entendre, de danses et de spectacles, qu'il ne doit) point regarder.

Les talapoins ont toujours les pieds nus, ainsi que la tête: mais ce n'est pas une austérité qui leur s particulière; ils ne font qu'imiter en cela le reste d peuple. Ils sont habillés de jaune. Cette couleur es

plus noble dans ce pays: c'est celle des rois de m. Quatre pièces différentes composent leur halement. Ils portent sur l'épaule gauche une bandoute de toile jaune, qu'ils attachent sur la hanche bite avec un bouton, et qu'ils nomment angsa. Ils t par-dessus une espèce de scapulaire, qui traîne esque jusqu'à terre par devant et par derrière, et 'ils appellent pa- shivou. Il ne leur couvre que l'éule gauche, et revient à la hanche droite; de maère qu'ils ont les deux bras et l'épaule droite entièment libres. Ils se couvrent encore l'épaule gauche ine autre toile en forme de chaperon, qui descend qu'au nombril, par devant comme par derrière, qu'on nomme på-pat. Les supérieurs et les anciens apoins portent quelquefois le pd-pat d'une couleur age. Une écharpe, nommée rappacod, qui leur enonne le corps, sert à assujettir ces diverses bandes toile, et forme la quatrième pièce de l'habillement 5 talapoins.

:

Le premier jour de la nouvelle et de la pleine lune, ont coutume de se raser la tête, le visage et les ircils, avec des rasoirs de cuivre. Personne ne rase supérieur; ce seroit outrager sa dignité, que d'oser toucher la tête ainsi il est obligé de se rendre à -même cet office. Il en est de même des vieux talains, qui sont réduits à se raser eux-mêmes, parce les jeunes se feroient un scrupule de les toucher; is rien n'empêche les vieux de raser les jeunes. Ces rs de barbe sont pour les talapoins des jours ennels sanctifiés par le jeûne. Les Siamois sont suadés qu'il n'y a que les talapoins qui puissent avenir à la sainteté et à la perfection. Ils les regart comme des gens faits pour expier les péchés des res, et qui n'en commettent jamais eux-mêmes. Si talapoins ne pèchent pas par eux-mêmes, ils ne se aucun scrupule de faire pécher les laïques, sans

penser que les péchés qu'ils font commettre par d tres doivent leur être imputés. Il leur est défendu faire bouillir du riz, parce que ce seroit détruire m femme. S'abstiennent ils pour cela de manger du non. Ils ordonnent à leurs domestiques ou aux jeu gens qu'ils élèvent, de faire bouillir du riz; ensuited le mangent. Ils ne peuvent, sans pécher, allumer feu, parce qu'ils détruiroient la matière dont k serviroient pour l'allumer: par la même raison, seroit pour eux un crime de l'éteindre quand il allumé; mais ils font faire l'un et l'autre par leur serviteurs.

La Loubère nous a donné un recueil des princip les maximes qui composent la morale des talapot En le lisant, on ne peut s'empêcher d'être surpris & la gêne que leur loi leur impose. Il leur est expres ment défendu d'uriner, soit sur le feu, soit dans fem. soit sur la terre. Ils ne peuvent faire aucun cre dans la terre, ou, s'ils en ont fait un, il faut qu' remplissent. Ce seroit un crime pour eux d'apost pher d'une manière injurieuse aucun être, même in nimé. Ils ont une extrême vénération pour les élémen et pour toute la nature; mais on remarque en géné ral, dans toutes leurs maximes, plus de bienséances extérieures que de véritables vertus. Ils négligent solide pour s'attacher aux minuties. La modestie une des vertus qui leur est le plus recommandé doivent marcher les yeux baissés, éviter les reg des femmes. Il faut qu'il n'y ait rien de recherché d leur habillement, rien qui ressente la molless l'affectation. L'usage des parfums et des fleurs le absolument interdit. Un seul vêtement doit le fire, et l'on exige qu'il soit simple et sans a

nement.

de pre

Ce grand nombre de règles austères, gênans, ne rendent peut-être pas les talapos

ints que les autres hommes; mais, à coup sûr, ils ur inspirent un orgueil pharisaïque, bien éloigné la véritable vertu. Un talapoin regarde en pitié les ques; il ne les croit pas formés du même limon que Il ne pense pas qu'il y ait aucune comparaison à re entre de vils pécheurs et un saint comblé de mées. Toute sa conduite se ressent de cette fierté: à ine daigne-t-il rendre à un laïque le salut ordiire. Il affecte toujours de prendre au-dessus de lui place d'honneur. Il croiroit profaner sa douleur et larmes, s'il pleuroit la mort d'un séculier, quand me il seroit son plus proche parent. Il est étonnt que l'esprit de charité puisse s'allier à tant d'oreil. Cependant les talapoins sont charitables, et me ne font pas, dans leurs charités, de distinctions ieuses. Tous les hommes, de quelque religion qu'ils ient, leur paroissent dignes d'être soulagés, lors'ils sont malheureux. Les pauvres voyageurs trount dans leurs couvens un asile. Il y a deux maisons stinées à cet usage, des deux côtés de la porte de aque monastère de talapoins. Ils se donnent aussi tr'eux des secours mutuels; cependant il leur est dédu de partager ensemble les aumônes qu'ils reçoiit. Si l'on vouloit empoisonner la charité des talains par quelque motif bas et grossier, on pourroit tribuer à l'intérêt, et penser que ces moines, dont nique revenu est fondé sur la charité du peuple, ilent eux-mêmes lui donner l'exemple d'une vertu mportante pour eux.

La chasteté peut encore être comptée pour une des tus des talapoins, au moins du grand nombre; et crainte a presque autant de part à leur retenue sur article, que le désir de la perfection. Un talapoin pris avec une femme est condamné au feu sans miicorde. Ce genre de faute ne se pardonne jamais. ont bien des dédommagemens d'une vie si dure;

et d'abord ils sont dans une extrême vénération parmi le peuple, ce qui flatte beaucoup leur orgueil natu rel. Cette vénération est fondée en partie sur leu sainteté apparente, et en partie sur leur ancienneté Leur origine est si obscure, qu'on les croit commune ment aussi anciens que le monde. On ne leur connoit point de fondateur; et tous les grands hommes qui sont adorés comme des saints et des dieux à Siam, ont porté, selon l'opinion vulgaire, l'habit de talapoin. L'éducation des enfans, dont ces moines sont chargés, le ministère de la prédication qu'ils exercent, sont des fonctions qui ne laissent pas de contribuer beaucoup au respect que le peuple a pour eux. Il y a de grands priviléges attachés à la profession de talapoin. Ils sont exempts de travailler pour le Roi pendant six mois; corvée à laquelle sont obligés tous les Siamois, qui sont esclaves nés du prince. Un si beau privilége rendroit l'ordre des talapoins plus nombreux qu'il ne convient aux intérêts du Roi, si ce monarque n'avoit soin de faire subir de temps en temps un examen rigoureux à ces moines privilégiés. S'il se trouve qu'ils n'aient pas une connoissance suffisante de la langue balie et des livres qui sont composés en cette langue, on les fait rentrer dans l'ordre des séculiers. On fit, par ce moyen, une réforme considérable dans les couvens des talapoins, vers l'an 1697; et l'on chassa ignominieusement plusieurs milliers de ces moines ignorans.

Un autre privilége non moins considérable des talapoins, c'est que leur personne est sacrée, et qu'il n'y a aucune puissance qui puisse leur ôter la vie. En 1688, un usurpateur s'étant emparé du trône de Siam, un prince de la famille royale se réfugia dans un couvent de falapoins, et prit l'habit de cet ordre. Il y eût été dans la plus grande sûreté, s'il se fût défié des piéges de l'usurpateur; mais ce tyran, sachant

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