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qu'il n'avoit aucun pouvoir sur le prince, tant qu'il seroit talapoin, l'engagea, par ses belles promesses et par des caresses étudiées, à quitter l'habit qui étoit sa sauve-garde, et le fit ensuite mourir. On pourroit compter parmi les priviléges des talapoins, la liberté qu'ils ont de quitter la vie monastique, lorsqu'elle commence à les ennuyer. Plusieurs en effet rentrent dans le monde, lorsqu'ils se sont fait, des aumônes publiques, un fonds assez considérable pour subsister à leur aise le reste de leur vie. Le plus grand nombre des talapoins ne regarde cette profession que comme un moyen honnête de faire fortune. Quoique leur règle leur défende absolument de thésauriser, ni même de garder rien à manger du soir au lendemain, ils savent éluder la loi, et se ménager des ressources pour l'avenir. Aussi pauvres en apparence que nos capucins, ils ne peuvent toucher l'argent qu'ils reçoivent; mais ils ont des dépositaires fidèles, qui, dans le besoin, leur remettent le dépôt qu'ils leur ont confié.

Le lecteur verra peut-être avec plaisir un précis de l'ordre du jour qu'observent ces moines. Comme ils n'ont point d'horloge, c'est le son d'une cloche qui leur donne le signal pour se lever le matin. Ils ne quittent point le lit que le jour ne soit déjà assez grand pour qu'ils puissent discerner les veines de leurs mains. Ce n'est point la paresse qui a établi cet usage: il doit son origine à l'un des points fondamentaux de la doctrine des talapoins, qui leur défend de rien tuer. Ils ont peur que, s'ils se levoient avant le jour, ils ne marchassent dans l'obscurité sur quelque insecte, sans l'apercevoir, et ne se rendissent par là coupables d'un grand crime, même à leur insu. Dès qu'ils sont levés, ils se rendent au temple avec leur supérieur, pour offrir à leur divinité les premières actions de la journée. Ils chantent ou récitent quelques prières en

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langue balie, assis à terre, les jambes croisées, et agitant avec une espèce de mesure leur éventail ou parasol, qu'on nomme talapat. Leurs prières étant finies ils saluent l'idole, en se prosternant trois fois devant elle; cérémonie qu'ils observent aussi en entrant ensuite ils se retirent. Après s'être acquittés de ce pieux devoir, ils se répandent dans les diffé rens quartiers de la ville et font leur ronde pour re cueillir les aumônes des dévots. Ils n'importunent pas les citoyens, comme nos mendians: ils s'arrêtent quelque temps aux portes, dans un profond silence; et, lorsqu'ils voient qu'on ne fait point d'attention à eux, ils vont plus loin, sans murmurer. Mais il est très-rare qu'ils essuient cet affront; et, quand on supposeroit même qu'ils ne recevroient rien des autres citoyens, ils ne seroient pas encore embarrassés pour vivre. Outre les petites réserves qu'ils ont entre les mains de leurs dépositaires, ils peuvent compter sur des secours journaliers de la part de leurs parens.

Lorsqu'ils ont employé à la quête l'espace d'une heure, ils s'en retournent au couvent, où, grâce aux charitables Siamois, ils font un bon déjeuner, dont ils présentent souvent, par honneur, les meil leurs morceaux à leur idole, parce qu'ils savent qu'elle n'y touchera pas. Chacun fait son repas en particulier ce n'est point la coutume chez eux de manger en communauté. Le déjeûner fini, ils emploient à l'étude, ou bien à différentes occupations conformes à leur goût, le temps qui leur reste jusqu'au diner. Après le dîner, ils donnent quelques instructions aux élèves dont l'éducation leur est confiée, et qu'on nomme nens. Ils prennent ensuite quelque repos, nécessaire dans un climat aussi chaud, ou bien ils se promènent à l'ombre jusqu'au soir. Alors ils nettoient le temple, et, pendant l'espace de deux heures, ils s'occupent, comme le matin, à réciter on

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bien à chanter des prières; après quoi, si ce n'est pas pour eux jour de jeûne, ils font une légère collation qui consiste en quelques fruits, et vont se mettre au lit sur ce léger repas. On trouvera sans doute ce genre de vie bien doux; et il l'est en effet, à bien des égards.

Les talapoins ont un extrême respect pour leur 2 supérieur. Lorsqu'ils sortent du couvent, ou bien lorsqu'ils y rentrent, ils vont se prosterner humblement devant leur supérieur, qui est ordinairement assis les jambes croisées. Ils touchent la terre de leur front, et, prenant entre leurs mains un des pieds du supérieur, ils le mettent respectueusement sur leur tête. Les domestiques des talapoins se nomment tapacaou. Leur habit est le même que celui des moines; il n'y a que la couleur qui les distingue. Ils sont habillés de blanc, et les talapoins de jaune. Comme il n'est pas permis aux talapoins de toucher de l'argent, ce sont les tapacaou qui sont les dépositaires de celui qu'ils reçoivent. Ils sont aussi chargés de cultiver le jardin, et toutes les terres que possède le couvent; fonctions que la religion interdit à tout Siamois, mais que les talapoins font exercer sans scrupule à leurs domestiques, croyant conserver par ce moyen leur orgueilleuse sainteté. Tout ce qui resteroit à dire concernant les talapoins, se trouvera rangé à l'article qui convient à chaque chose.

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2. Dans le royaume de Pégu, les talapoins sont tout à la fois les prêtres et les moines. Ceux qui se destinent à cette profession, sont élevés dans un séminaire jusqu'à l'âge de vingt ans. Avant qu'ils soient admis dans le corps des talapoins, le chef de ces religieux leur fait subir un examen sévère, et leur fait un détail effrayant des devoirs que leur impose la profession qu'ils veulent embrasser. S'ils persistent dans leur résolution, on commence par les conduire en

triomphe dans toutes les rues de la ville, sur un che val couvert d'un riche harnois. Ils sont accompagnés des tambours et des instrumens de musique. Lorsqu'ils ont pris l'habit, on les mène en pompe au couvent, dans une espèce de litière, qui est la voiture ordinaire du pays. Les talapoins sont obligés de garder le célibat, et ne font qu'un repas par jour. Leur habillement consiste dans une longue robe serrée avec une ceinture de cuir de la largeur de quatre doigts: ils ont une bourse pendue à la ceinture, où ils mettent les aumônes des dévots. Ils ne quêtent jamais euxmêmes lorsque le revenu du couvent ne suffit pas à leurs besoins, ils envoient des novices mendier par la ville. Ces quêteurs sont revêtus d'un manteau jaune, et portent au bras gauche un panier de jonc. Ils ont un tambour, sur lequel ils frappent trois coups avec une baguette, lorsqu'ils se présentent à une porte. Si personne ne vient, ils recommencent à frapper. Il arrive rarement qu'on les laisse passer sans leur rien donner. Les cellules des talapoins sont extrêmement petites, et n'ont guère que sept ou huit pieds de hauteur. Elles sont situées sous des arbres sur le bord des grands chemins, quelquefois au milieu des bois; et alors ils suspendent au haut des arbres des espèces de cages qui les mettent à couvert des bêtes féroces.

Si l'on en croit la plupart des voyageurs, les ta lapoins du Pégu ne connoissent point les ruses et les fourberies, si communes parmi les moines des autres pays. Leur vie et leurs mœurs sont très-simples : ils sont humains, charitables, et dignes d'une meilleure religion. Le peuple leur porte un si grand respect, que, lorsqu'ils ont pris le bain, ce qu'ils ont coutume de faire une fois tous les ans, il boit par dévotion l'eau dans laquelle ils se sont lavés. Les Talapoins ont un grand-prêtre, qu'ils nomment rauli. Lorsqu'il est mort, ils embaument son corps, et le gardent pen

ant plusieurs mois. Lorsque le temps marqué pour s obsèques est arrivé, ils enfoncent en terre quatre âts ou piliers, distans l'un de l'autre de cent couées, et qui forment un carré : au milieu il y en a un lus haut que les autres, autour duquel ils dressent rois échafauds l'un sur l'autre, de manière que celui le dessous est le plus large, et celui de dessus le plus stroit. Ces échafauds sont environnés de barrières, et remplis de matières combustibles : il y a des cordes tendues depuis le mât du milieu jusqu'à ceux des angles, autour desquelles sont attachées plusieurs fuées. Une trompette donne le signal; aussitôt on met le feu aux fusées, qui le communiquent aux échafauds; et par ce moyen le corps du grand-prêtre, placé sur l'échafaud supérieur, est bientôt réduit en cendres. On fait aussi des funérailles magnifiques aux autres talapoins, et c'est le peuple qui en fait la dépense. Lorsque leur corps a été brûlé, l'on jette leurs cendres dans la rivière.

3. Les talapoins du royaume de Laos sont, au rapport des voyageurs, les moines les plus fourbes, les plus orgueilleux et les plus débauchés qu'il y ait dans les Indes. La plupart sont de la plus basse extraction, ce qui contribue à les rendre encore plus fiers et plus insolens. Ils ne sont admis dans l'ordre qu'à l'âge de vingt-trois ans il faut qu'ils aient fait auparavant un noviciat fort long, qu'ils soient bien instruits de la doctrine de Xaca, et des cérémonies de son culte. Lorsque le novice, après avoir été examiné par les ; commissaires nommés par la communauté, paroît avoir une capacité suffisante, on le reçoit, à la pluralité des voix, dans le corps des talapoins, et la cérémonie de sa réception se fait avec beaucoup de magnificence. Le nouveau moine commence d'abord par choisir ce que nous appelons un parrain. Son choix tombe toujours sur quelque personne distin

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